Jour où la terre trembla (Le)
Amoureux des « mondes perdus », des peuples oubliés, de l’Atlantide et autres pays légendaires, réjouissez-vous : ce roman est pour vous ! Bien sûr, l’on reconnaît en Sir Henry Rider Haggard (1856-1925) un pionnier et un maître du genre, avec des chefs-d’œuvre tels She (1888) ou Le Peuple du brouillard (1894). She fera l’objet d’un cycle, rejoignant celui d’Allan Quatermain (celui des célèbres Mines du Roi Salomon, qui inspirera la figure d’Indiana Jones), un peu à l’instar de Tarzan apparaissant dans l’univers de Pellucidar d’E.R. Burroughs, auteur fort influencé par Haggard.
Le Jour où la terre trembla est une œuvre plus tardive (1919), trahissant un certain pessimisme dû à la Grande Guerre, directement évoquée. Une introduction un rien longuette nous fait connaître les trois protagonistes : Arbushnot le narrateur, curieux de tout, riche et oisif après le décès inopiné de sa jeune épouse, Bastin, prêtre à la foi inébranlable, et Bickley, médecin totalement sceptique.
Tous trois partent vers les mers australes et, après un terrible cyclone, accostent, plus morts que vifs, à Oroféna, une île inconnue au large de Samoa. C’est ici que l’aventure commence. L’île est peuplée de sauvages primitifs que Bastin, immédiatement, se met en tête d’évangéliser. Une autre île se situe au centre du pays, entourée d’un lac et surmontée de ruines sacrées surgies le jour même du cyclone. Elle abriterait le dieu Oro. La curiosité innée d’Arbushnot lui fera découvrir le secret : deux sarcophages enfouis abritent les momies d’un vieillard et d’une jeune fille qu’il sortira d’un sommeil de… 250.000 ans !
L’intrigue, devenant alors palpitante, se partage alors entre l’amour naissant d’Yva, la princesse millénaire, pour le héros, et l’ambition dévorante de son père, Oro, grand-prêtre d’une antique et puissante civilisation supérieure à la nôtre, et avide de connaître à nouveau le pouvoir absolu. Les fascinantes descriptions de la cité souterraine, de la résurrection des deux derniers « Fils de la Sagesse », de la vie de la patrie perdue (surprenante reconstitution ‘cinématographique’) sont tempérées par les commentaires divergents de Bickley et Bastin, empreints d’humour.
Oro qui, jadis, détruisit la moitié du monde par un déluge universel rappelant la catastrophe atlantidienne, réussira-t-il une seconde fois à faire trembler la terre ? Au cours d’un voyage astral, il visite l’Europe de 1917 en proie à la guerre, l’Arménie en pleine tuerie, l’Australie, la Chine… et se rend compte, tout au long de cet extraordinaire chapitre XX, que les humains ne sont ni pires ni meilleurs qu’il y a 250.000 ans. Il emmènera donc sa fille et les trois hommes au centre de la terre afin de faire basculer son axe, pour une seconde vengeance : les continents redeviendront mers et les mers continents ! La descente dans le puits infernal puis le dénouement cataclysmique illustrent de manière éclatante le puissant génie évocateur de Rider Haggard. Cette fois pimenté d’un scepticisme certain (envers la religion, par exemple) et surtout d’un profond pessimisme : qu’est-ce donc que la Destinée de l’homme et de la terre face à l’Univers ? Le personnage d’Oro, en particulier, est sans conteste l’une de ses plus brillantes réussites psychologiques, et sa douloureuse et pathétique trajectoire spirituelle se grave dans la mémoire (poignante prière à la statue du Destin). Inspiré par une pensée forte savamment distillée dans le cadre d’un roman d’aventures exotiques, Le Jour où la terre trembla, restera, malgré quelques longueurs, l’un des meilleurs romans de Rider Haggard, Maître suprême de la littérature de l’Imaginaire.
H. Rider Haggard, Le Jour où la terre trembla, (remarquablement) traduit et postfacé par Jacques Finné, 420 p., Editions José Corti, collection Merveilleux n°33, Paris 2007
P.S. Je signale ici que les mêmes Editions Corti publient un autre roman de Rider Haggard, d’heroïc-fantasy celui-là, Eric aux Yeux brillants, inspiré de sagas islandaises. J’y reviendrai.