Caviardages
Né en 1967, Timothée Rey est professeur de lettres dans un lycée. Il écrit depuis longtemps et ses nouvelles sont parues dans diverses revues comme Codex Atlanticus, Géante Rouge ou... Phénix.
Ce recueil, son premier, en reprend quatre et en ajoute trois originales. La première, qui lui donne son titre, est basée sur une idée fulgurante : effacer un mot du dictionnaire est effacer le concept même qu’il représente. Ainsi, quand Gabriel tache accidentellement un dictionnaire bizarre qu’il vient d’acquérir, et supprime le mot ’fourchette’, toute fourchette disparaît de son monde, remplacée par un autre ustensile, la piquevrille. Fasciné par le pouvoir de son livre, Gabriel va-t-il effacer les mots ’mort’, ’guerre’, ’souffrir’ ? Une perle fantastique en treize pages.
Rey est un auteur complet et touche à tous les genres avec bonheur. L’humour par exemple, avec On n’est jamais trop prudent, ou l’histoire d’un homme archi-précis, qui mesure le moindre instant de sa vie quotidienne à l’aune des risques qu’il pourrait courir et s’entoure, dès lors, de rituels méticuleux. Jusqu’au jour où... La poésie n’est pas absente de son univers non plus, comme en témoigne Reperdre Giulietta qui se déroule dans une Italie onirique dérivée directement des toiles surréalistes de Giorgio de Chirico : superbe ! Le fantastique pur et dur, ’canonique’ comme dirait Jacques Finné, reprend ses droits dans Quand ça part en brioche qui voit l’alliance de la pâtisserie et de la légende du golem, ou dans Dans la galette, assez horrible récit d’un fou de jazz pris dans les rêts d’une secte aux relents lovecraftiens. Peu de dialogues, une langue châtiée et des thèmes attachants et surprenants : tout est réuni pour un recueil qui fera les délices des amateurs de fantastique, gâtés ces temps-ci.
Après Le Passage de Sylvie Huguet, que j’ai si bien accueilli ici-même il y quelque temps, La Clef d’argent frappe fort, décidément.
Timothée REY, Caviardages, couverture de Sébastien Hayez, La Clef d’argent, coll.« KholekTh », 106 p. 9 €