Lola Cordova

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Illustrateur / Dessinateur: 

Toute image est agrandie d’un clic !

Bonjour à toutes et tous.

Aujourd’hui, une très belle découverte que je tiens à partager avec vous, Lola Cordova, scénarisée et dessinée par Arthur Qwak, parue aux éditions Casterman en 2005, dans la collection un monde.

Je viens de le relire à nouveau, vraiment c’est un album graphiquement très réussi, parvenant à mêler avec humour la sinistre réalité sociale de la prostitution, extra-terrestres libidineux, menace d’un génocide de l’espèce humaine, drogue pour le moins pas banale, enquête policière et la revue Galaxie, revue et corrigée.


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Mais tout d’abord, le petit résumé d’usage.

Lola, pute de profession, a été enlevée par des extraterrestres. Ayant découvert leur drogue bien plus tripante que l’héro, elle vend dorénavant ses charmes aux Bloziens ou autres clients à tentacules, en échange de nanopsules qu’elle s’injecte dans le cerveau et qui contiennent tout type de connaissances.

Elle gagne ainsi en intelligence. Mais elle apprend l’imminence d’une extermination de la race humaine. Malgré son mépris pour les hommes, elle décide de tout faire pour revenir sur terre, sauver ses copines...
Seulement, les policiers qui l’interrogent ont quelque mal à la croire…
Je vais revenir sur l’histoire, mais je dois évoquer en premier le complexe et enthousiasmant graphisme au style "hip", "à la mode", "design", peu importe le mot employé. Arthur Qwak nous délivre là une narration que d’aucun à la vision de deux ou trois pages trouverait superficielle, voir gratuite.


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Il n’en est absolument rien. Une fois plongé dans l’histoire, j’en ai savouré chaque page, chaque trouvaille graphique, comme les scènes d’injection de drogues, traitées comme une accélération brutale de l’image. Chaque shoot de Lola devient pour nous lecteur un shoot visuel.
Littéralement, chaque page est conçue différemment dans la disposition des cases, le rythme, les différentes techniques de trait, et nous embarque dans un univers qui ressemble certes à celui d’avant et celui d’après par le dessin des personnages, mais propose une ambiance propre, reflet du moment. Un univers composés d’univers en enfilade donc.

Il me semble même nécessaire de lire plusieurs fois Lola Cordova pour en découvrir toutes les facettes graphiques. D’ailleurs, l’album mériterait d’être réimprimé en plus grand format, afin que l’on puisse encore mieux être impressionné(e) par tant de virtuosité jubilatoire.


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La couleur réalisée par ordinateur atteint également un haut niveau émotionnel, complètement au service du récit, loin de séries SF mal et trop vite colorisées que les éditeurs tentent de nous vendre. À chaque partie du récit correspond une couleur de fond, marron, violet, bleu, noir, qui se retrouve sur deux, trois pages de suite, renforçant l’aspect multi-univers du récit.
Côté narration, l’essentiel évidemment a été de prendre comme héroïne une "pute", une fille de la rue, une fille de rien en passe de sauver le monde. Ce personnage, tout droit sorti de la réalité sociale, entraîne le récit ailleurs, renouvelant l’ambiance SF. Moitié victime, moitié manipulatrice d’entités masculines en tous genres, Lola Cordova se débrouille tout aussi bien qu’un super héros masculin... À sa manière, elle est un personnage féministe qui défend sa liberté comme elle peut, avec ce qu’elle a, "son cul" comme elle le dit elle-même...

La sexualité libidineuse des E.T. est traitée de manière très drôle, étonnamment proche de celle des mâles humains, cela va sans dire. Leur découverte de la jouissance du corps de la femme tient certes de l’animalité pure, mais aussi de l’étonnement intellectuel autant que physique devant les talents de Lola Cordova. La rencontre, le contact entre espèces humaine et extra-terrestre passe donc par le sexe, hypothèse hautement répandue dans la SF classique.


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Sauf qu’encore une fois, Arthur Qwak parvient à renverser les clichés. Ici, il ne s’agit point d’affreux monstres enlevant de pauvres terriennes terrorisées, dont l’on pressent que le triste destin sera d’être violées, tels que les revues pulps des années 30 à 50 les ont vulgarisés. La sexualité reste une arme de conquête, mais utilisée cette fois par une terrienne plus du tout effrayée. La morale de Lola Cordova pouvant se résumer à « les mecs sont bien tous les mêmes partout ».

Ce n’est plus la monstrueuse sexualité E.T. qui vient bouleverser l’Humanité en apportant le chaos, mais la sexualité assumée, compétente, professionnelle de l’Humanité qui vient bouleverser l’espèce E.T.


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Heureusement, Arthur Qwak parvient complètement à sortir de l’utilisation purement commerciale des scènes de sexe. En prenant une prostituée comme héroïne, les scènes où elle fait son métier, traitées avec grande ironie, appartiennent à l’ossature même du récit, sont justifiés et ne constituent pas un vulgaire rajout, sans intérêt autre que attirer le lecteur en quête de concupiscence...

La drôlerie et la pertinence des dialogues enlève également toute trace possible de vulgarité.

Pour moi, une des grandes qualités du récit de Lola Cordova, tant sur le fond que la forme, consiste en une forme de récit SF pulvérisant toute distinction entre lectrices et lecteurs. Cette bande dessinée s’adresse autant aux femmes qu’aux hommes, chacun étant confronté à sa propre nature, ses propres idées et sentiments par rapport à la prostitution dans l’histoire humaine.


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Dans toute cette drôlerie et fantasmagorie visuelle, l’on s’adresse à nous comme à des adultes. Et c’est particulièrement plaisant je dois dire.
Prendre grand soin à choisir ses personnages, à ne pas s’enfermer dans l’ethnocentrisme tant sexué que social, leur donner une modernité, c’est signe pour moi d’une œuvre aux bases solides, ce qu’à su parfaitement faire Arthur Qwak en refusant de faire une énième bande dessinée SF trop masculine pour être honnête…

Autre idée remarquable de narration, ces fameuses drogues extra-terrestres qu’apprécient particulièrement Lola Cordova, les nanopsules, qui sont donc un concentré de savoir.


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Il s’agit donc d’une drogue d’intelligence, de culture, permettant soit de s’instruire, soit de vivre une autre vie, d’en acquérir toutes les caractéristiques.

Ce renversement des valeurs est très intéressant, une idée SF par excellence. Elle offre aussi à Lola Cordova, pute de son état, l’accès à la culture, au savoir qui lui est refusé sur Terre. Voilà aussi une raison de son hésitation à retourner sur Terre. Dans l’univers E.T., son moyen de survie est le même que parmi les humains, mais en plus elle peut s’instruire.


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Plus douloureusement, Lola Cordova, par ce besoin incessant de drogue pour oublier ce que lui font subir les E.T., est un personnage profondément ancré dans la réalité sociale de beaucoup de prostituées, qui usent de drogues pour supporter la dureté de leur vie, pour oublier.
Derrière la comédie, le jubilatoire délire SF, Arthur Qwak est au plus juste humainement. Aucune idée narrative dans Lola Cordova n’est gratuite, toute la fiction se construit à partir de réalité.

Suprême gâterie, si je puis employer ce mot, l’album est parcouru de fausses couvertures énigmatiques de la revue SF Galaxie des années 60, 70, qui nous annoncent par exemple les dernières nouvelles de Poul Anderson, Tire-bouchon spatial ou L’espace aux Beatniks de Fritz Leiber. Là encore, Lola Cordova est un album d’une rare richesse graphique qui fait plaisir à lire.

Alors, évidemment ces Galaxie réinventés n’ont rien de gratuit... Pleine page, absolument pas discrètes donc, ces fausses couvertures sont en réalité l’expression de la pirouette finale qui clôt bien à mon goût l’album. Mais je vous en laisse la surprise...


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Car je ne saurais assez vous conseiller d’offrir, d’acheter ou de faire acheter Lola Cordova par votre bibliothèque. Comme l’on dit, il s’agit d’une œuvre injustement méconnue, résolument contemporaine, intelligente et drôle, qui mérite vraiment d’être lu par les passionné(e)s de Science Fiction, de bande dessinée de qualité.

Lola Cordova, notre nouvelle Barbarella.

Titre : Lola Cordova

Scénario : Arthur Qwak

Dessin : Arthur Qwak

Edition : Casterman

arthurqwak.com

A signaler aussi qu’Arthur Qwak a coordonné la réalisation d’une très bonne série de dessin animé pour enfants, au ton moderne et ironique, "Chasseurs de Dragons", disponible en dvd. Un long métrage a été également tiré de la série.


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