Assoiffées (Les)

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En 1970, une révolution renverse le pouvoir aux Pays-Bas. L’année suivante, elle s’étend à la Belgique puis au Luxembourg. L’ancien Benelux est aujourd’hui, au coeur de l’Europe, le pays le plus fermé du monde.

Pareil incipit ne peut qu’accrocher l’amateur d’uchronie. Les plus folles rumeurs courent évidemment sur ce nouvel état aux frontières fermées et régi par des femmes uniquement. Après des années de négociations serrées, un petit groupe de journalistes français est autorisé à y pénétrer, sous la houlette du fantasque Gould, personnage récurrent de Quiriny, déjà croisé dans les Contes carnivores. Arrivés à la zone neutre, les journalistes passent par un check-point. On leur enlève appareils photos et montres, puis ils assistent à une grande cérémonie d’accueil avec discours, danses et films. Avant cela, ils se sont documentés sur l’histoire du régime : renversement de la reine Juliana puis du roi Baudouin, naissance de l’empire des femmes puis de partis frères européens, interdiction du mariage hétérosexuel, fermeture du territoire et rupture de toute relation diplomatique.

Dans la plus pure tradition romancière, Bernard Quiriny interrompt régulièrement la relation du périple du groupe par le journal d’Astrid Van Moor. Celle-ci, simple citoyenne de l’empire belge, décrit sa vie quotidienne. On découvre ainsi le sort des hommes malades, de ceux qui se cachent ou qui servent comme « larbins » après avoir accompli leur « reniement » : on apprend la féminisation des mots ou l’existence d’une opposition et d’un système de délation et d’autocritique. Tout cela fait fort soviétique, pense le lecteur avisé, qui bénéficie ainsi d’un regard tant externe qu’interne sur cet étrange pays tout neuf. Astrid sera choisie, par tirage au sort, pour porter le cadeau offert à Judith, la « Bergère » qui gouverne l’Etat belge. Le même monde donc, mais vu selon une double perspective. Les journalistes découvrent ainsi la Transimpériale, autoroute immense et déserte, un Bruxelles complètement redessiné, une bibliothèque sans aucun livre écrit par un homme, un Manneken-Pis dont on peut casser la verge avec un petit marteau, une messe laïque à la gloire de Judith, un camp de rééducation, un cimetière de victimes fictives du féminisme, une usine de fabrication de gamètes et de conservation de sperme, etc. De l’autre côté du miroir, on suit l’ascension d’Astrid qui sera « élue » par la Bergère et deviendra sa favorite : description de la Cour et ses folies extravagantes qui culmineront par une scène d’orgie à la mer.

Tout cela est extrêmement jouissif, malgré l’évident côté caricatural de la chose. On oscille sans cesse entre la dystopie et le conte philosophique.

Malheureusement, la fin précipitée en quelques chapitres détruit toute la construction savamment érigée. Un coup d’état renverse en effet subitement Judith, qui sera capturée puis fusillée. Non que cet épilogue ne soit justifié, mais l’auteur le bâcle en quelques pages, sans préparation ni explication.

Dommage car l’ensemble du roman, brillant, se lit avec plaisir, intérêt et effroi même, quelquefois. Dommage que la chute brutale vienne tout gâcher.

Bernard Quiriny, Les Assoiffées, Editions du Seuil 2010, 413 p., 7,70 euros.

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