Contes carnivores

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Quand j’ai appris que le Prix Rossel 2008 (un peu l’équivalent belge du Prix Goncourt) était attribué à un recueil de nouvelles fantastiques, mon sang n’a fait qu’un tour et je me suis précipité chez mon libraire. Un prix décerné à un livre relevant des littératures de l’Imaginaire : voilà qui est assez rare que pour être souligné !

Bernard Quiriny est Français mais né en Belgique (en 1978), et ces « Contes carnivores » est son deuxième ouvrage après « L’Angoisse de la dernière phrase », paru chez Phébus en 2005. Après dévoration immédiate (comme le conseille la bande publicitaire), je dois avouer que ce recueil est tout à fait remarquable. Il ne s’agit pas de fantastique traditionnel, mais plutôt de ’réalisme magique’ ou de ’merveilleux’ au sens latino-américain. De ces quatorze nouvelles, certains textes ne sont d’ailleurs pas vraiment fantastiques, mais étranges, ou insolites. La marge est étroite.

Prenons quelques exemples. Pour faire l’amour avec une jolie jeune fille rencontrée par hasard, vous devez... la peler car sa peau est... (Sanguine, conte initial). Un évêque vit avec deux corps et se transpose tantôt dans l’un tantôt dans l’autre (L’épiscopat d’Argentine). La langue des Yapous est totalement incompréhensible car reposant uniquement sur des malentendus (Quiproquopolis). Une société d’admirateurs de marées noires s’est constituée, et ses membres courent d’une catastrophe à l’autre pour en juger l’esthétique (Marées noires). Un critique musical n’écoute pas la musique, mais... la sent, à l’odeur (Chroniques musicales : Synesthésie). Un peintre renommé couronne son oeuvre en se faisant tuer en plein vernissage : le tableau criblé de son sang est à présent terminé (Souvenirs d’un tueur à gages : Autoportrait). Le ’zveck’ est un alcool très dangereux : il ne tue pas, mais rend saoûl pour la vie (Une beuverie pour toujours).

Tout ceci vous démontre le talent infiniment varié de Bernard Quiriny : il détache de la réalité l’élément qui constituera le fil de son idée et en orne sa fantaisie. Quelques récits sont tout de même de pure obédience fantastique, tel Qui habet aures, l’histoire d’un homme qui entend les pensées des autres quand elles le concernent directement. Et lorsqu’il entendra la voix d’une femme qui l’aime, mais dont il ignore tout, le drame s’enclenche... Mélanges amoureux racontent les complexes circonvolutions d’un personnage marié, et amoureux de trois autres femmes, dont le reflet se révèle dans les miroirs de chacune... des autres. Un peintre sur oeufs est amené un jour à illustrer un oeuf... né d’une femme (L’oiseau rare). Quant à la nouvelle titulaire, qui conclut le volume, qu’il me suffise de vous dire qu’elle relate la troublante relation entre un botaniste et ses dionées qui, comme chacun le sait, sont des plantes... je n’irai pas plus loin.

Chaque nouvelle est courte, et écrite à la pointe sèche, souvent caustique. Deux d’entre elles se subdivisent en sous-nouvelles : Chroniques musicales, et Souvenirs d’un tueur à gages. Ah, il y a aussi une mini-série de notices biographiques d’écrivains imaginaires. Et puis, qui est ce Pierre Gould, qui apparaît de façon récurrente ? Vous le voyez, ce livre est une mine de fascinations curieuses de toutes sortes, et qui hantent l’esprit longtemps après lecture. La préface d’Enrique Vila-Matas est aussi mystérieuse que les textes qu’elle introduit. Ce Prix Rossel, amplement mérité, est une véritable découverte, qui réjouira tout ceux qui souhaitent un fantastique « neuf » !

Bernard QUIRINY, Contes carnivores, 250 p., Editions du Seuil

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