Pourvu que ça brûle

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À la fois récit autobiographique, genèse de ses thrillers et collection d’anecdotes vécues lors de ses différents voyages, l’auteur français Caryl Férey propose avec Pourvu que ça brûle non pas une fiction, mais « un carnet de route très rock » (pour un fan de musique rock en général et des Clash en particulier, on en attendait pas moins !).

 

Un mot sur l’auteur

Pour moi, il ne fait aucun doute que Caryl Férey est le meilleur auteur actuel de polars français, et l’un des meilleurs au monde. Il produit moins que Fred Fargas, Franck Thilliez, Jean-Christophe Grangé ou Maxime Chattam. Mais l’intensité qu’il donne à ses personnages, le travail de recherche qu’il fournit avant chacun de ses romans, son écriture enragée, engagée, tour à tour violente (voire très violente) et poétique, en font un véritable auteur, bien plus qu’un « simple » faiseur d’histoires. C’est un romancier qui ne renie pas ses convictions, politiques ou artistiques, quelqu’un d’entier, qui ne triche pas, toujours sur le fil du rasoir, qui vit à fond de train, quelqu’un qui se consume. D’où le titre de cet ouvrage.

 

Mon avis

Caryl Férey avait déjà exploré l’envers du décor du métier d’écrivain avec son essai Comment devenir écrivain lorsqu’on vient de la grande plouquerie internationale, qu’on pourrait rapprocher du très bon Écriture : mémoire d’un métier de Stephen King. Pourvu que ça brûle ne traite pas tout à fait du même sujet. Certes, Caryl Férey y revient sur son rapport à l’écriture ou ses aventures éditoriales, mais il s’est surtout attaché à revenir en détails sur ses voyages autour du monde et sur la manière dont il a imaginé ses romans, ses intrigues, ses personnages. Il s’agit d’une sorte de carnet de voyage, mais pas d’un guide touristique. Le guide du routard déconseillerait la plupart des endroits visités par l’écrivain et ses compagnons dans les bas-fonds de Johannesburg, Buenos Aires ou Auckland.

Nul n’est prophète en son pays, prétend le proverbe. C’est à moitié vrai (ou à moitié faux, du coup), toujours est-il que si Caryl Férey a réussi à imposer son style sombre et percutant, à contre-courant des tombereaux de polars formatés qu’on trouve sur les rayons des supermarchés à côté des boîtes de conserve en promo, il le doit à ses voyages. Tout a commencé en Nouvelle-Zélande, où la plume du jeune auteur a trouvé une inspiration sans égal, et où le jeune homme a trouvé un sens à sa vie, délaissant l’automutilation, mais pas la révolte devant les grandes injustices. L’homme et l’écrivain se confondent, il n’y a pas de frontière. En cela, Férey est une traduction littéraire du rock n’ roll.

Haka ne fut pas un succès public, malgré la claque monumentale que l’on prend en le lisant, mais sa première grosse publication, celle qui donne confiance à un artiste débutant. Il préparait le terrain pour Utu, suite néo-zélandaise qui a fait connaître son nom, et surtout Zulu, le roman qui l’a fait changer de dimension. Adapté au cinéma (par Jérôme Salle, de manière plutôt réussie, même si le film est un peu trop porté sur l’action à mon sens, mais les acteurs – Forrest Whitaker et Orlando Bloom – sont énormes) l’épisode sud-africain condense la maîtrise narrative de l’écrivain, sa colère et son regard acéré sur les pages torturées de l’histoire. La suite, ce fut l’Amérique du Sud, ce chef-d’œuvre de la littérature noire qu’est Mapuche et le non moins excellent Condor, en attendant son prochain roman qui se passe en Colombie.

Caryl Férey prend du temps pour écrire. Il lui faut deux ou trois ans pour sortir un livre. En lisant Pourvu que ça brûle, on comprend pourquoi. Il pourrait sans doute écrire deux fois plus et gagner plus d’argent, investir sur son nom comme le font tant d’écrivains à succès qui ne soucient plus guère de la qualité de leurs travaux, mais ce n’est pas pour ça qu’il écrit.

« Pour moi, un écrivain, c’est quelqu’un qui écrit. Édité ou non, le seul critère est la ferveur qu’on y met. J’ai été assez longtemps écrivain au chômage pour mesurer la solitude de l’écrivain livré à lui-même devant son écran. Elle reste la même, qu’un éditeur attende votre texte ou non. La seule chose qui compte est de parvenir à retranscrire correctement ce qui nous brûle la cervelle. »

On prend un grand plaisir à plonger dans l’intimité de l’auteur, à suivre avec lui son cheminement physique et intellectuel, sa méthode de travail qu’aucun éditeur ne conseillera à ses poulains. Caryl Férey est unique. Ses romans aussi. Parce qu’il se confronte aux réalités dont il parle et parce qu’il suit sa propre voie.

Rock n’ roll is not dead.

 

En conclusion

Pourvu que ça brûle est davantage un carnet de route qu’une biographie au sens strict et n’est pas non plus une méthode d’écriture. Certes, Caryl Férey revient un peu sur son adolescence, nous parle de ses influences, notamment musicales (The Clash, David Bowie, Jacques Brel), ainsi que de ses maîtres littéraires (Romain Gary, Kessel, René Char, Nietzsche), mais il nous invite surtout à revenir sur la genèse de ses romans et nous dévoile l’envers du décor, là où il tisse ses récits : sur les trottoirs d’Auckland, dans les bars de Buenos Aires, les townships de Johannesburg, les montagnes et le désert de l’Atacama. Intéressant pour ses lecteurs, passionnant pour ses admirateurs, Pourvu que ça brûle sera sans doute déroutant pour ceux qui ne connaissent pas l’auteur et n’ont pas lu ses livres. Je ne suis pas certain qu’ils y trouvent beaucoup d’intérêt, puisque Caryl Férey revient parfois en détail sur ses personnages ou des points précis de ses intrigues.

C’est donc un ouvrage que je recommande à ceux qui le connaissent déjà et attendent la sortie de son prochain roman avec impatience. Aux autres, je conseille sans plus attendre de se ruer chez leur libraire et d’en repartir avec l’intégrale.

 

Pourvu que ça brûle de Caryl Férey, Éditions Albin Michel, janvier 2017.

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