Petites lectures de vacances

Sous le chaud soleil tunisien, et profitant d’une quinzaine de jours de repos bien mérités, je lus quelque peu et vous livre ici une petite chronique improvisée. Oh ce ne sont pas là critiques officielles mais de simples impressions de lectures qui m’ont fait passer un temps agréable.

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Et tout d’abord Le concours du Millénaire, de Roger Zelazny et Robert Sheckley, pavé de mille pages. Quand on part en vacances, on prend toujours une grosse brique, non ?
Folio SF réunit pour la première fois en un volume la trilogie iconoclaste des deux compères : Apportez-moi la tête du prince charmant, A Faust, Faust et demi et Le démon de la farce, romans publiés initialement de 1991 à 1995. Mythes et humour se télescopent joyeusement pour le plus grand plaisir du lecteur qui ne sait jamais très bien qui a écrit quoi (quoique, parfois…). Azzie Elbub, démon finaud comme un renard, quitte son emploi dans les fosses de l’Enfer pour participer au grand concours qui établira la suprématie du Mal ou du Bien sur terre. Dans un premier temps, il reconstruit l’histoire de la Belle au Bois Dormant, dans un second celle de Faust. Ces deux romans, brillants, sont emplis de péripéties inénarrables. Ayant toujours été passionné par la légende de Faust, ma préférence va donc au deuxième. Le fameux pari, objet du prologue de Goethe, ici, a lieu dans les Limbes. Pendant la promenade pascale de Faust, Mack, un jeune cambrioleur assez futé, s’introduit dans le cabinet de l’illustre docteur. C’est à ce moment qu’apparaît Méphistophélès qui, le prenant pour sa victime, lui fait signer le fameux pacte. Mack devra, pour gagner le concours « moralo-temporel », choisir librement parmi trois choix historiques dans lesquels il sera placé. Et voilà le faux Faust, poursuivi par le vrai, entraîné dans cinq aventures désopilantes. Elles le mèneront successivement au siège de Constantinople durant la quatrième croisade, à la cour de Kubilaï-Khan où il rencontrera Marco Polo, dans la Florence de Laurent le Magnifique et de Machiavel, en 1588 à Londres lors de la création de La Tragique Histoire du Docteur Faust de Marlowe, et enfin à Paris en pleine Révolution où il jouera un rôle majeur dans la fuite des souverains déchus à Varennes. L’uchronie guette… Ajoutez à tout cela les présences attendues de Marguerite et d’Hélène de Troie, celle d’Ylith, sorcière devenant ange, et celle des anciens dieux grecs désirant retrouver une existence, vous aurez une idée de ce cocktail explosif tout à fait jubilatoire. La troisième partie de la trilogie ne s’élève pas à la hauteur de ses deux prédécesseurs. On y retrouve Ylith et Azzie, évidemment. Ce dernier envisage de produire une pièce de théâtre immorale et contacte l’Aretin, dramaturge de la Renaissance italienne. La pièce sera jouée par sept ‘pélerins’ ignorant sa finalité. Tout se termine dans une Venise inondée. Le roman se lit avec plaisir mais ne possède pas cette constante richesse d’invention des deux premiers.

Mythologies pour mythologies, je passai à Hadès Palace, l’un des derniers ouvrages de Francis Berthelot, grand-maître de l’insolite, ce ‘domaine entre les domaines’ qu’il disséqua finement dans sa Bibliothèque de l’Entre-Monde (Folio SF 525). Sixième volume du cycle « Le Rêve du Démiurge », Hadès Palace peut parfaitement se lire de manière autonome. Maxime Algeiba, mime et contorsionniste, est contacté par l’imprésario du Hadès Palace, complexe culturel dans le Gers. Désirant échapper à un début de carrière hésitant, il accepte d’enthousiasme. Pour se retrouver aux mains d’Hadès et de ses trois acolytes dont les noms évoquent les trois juges des Enfers antiques, bien évidemment. Il se perfectionne dans son domaine et réussit ? Le voilà star au premier cercle. Il rate ou déçoit ? On l’envoie au deuxième cercle pour être ‘recyclé’ au moyen de traitements… particuliers. S’il échoue encore, le troisième cercle, dont personne ne sait rien, l’attend. Sur cette trame passionnante, Berthelot construit une intrigue en tous points exemplaire. Le pauvre Algeiba, bien sûr, traversera les trois cercles, en un parcours initiatique haletant. Poésie, mythes et émotion font ici alliance, l’auteur évoquant parfois Kurt Steiner et Ortog et les ténèbres. La splendeur stylistique n’étant pas leur moindre lien.

 

Autre « jeu », celui que se livrent inconsciemment Minner Burris et Lona Kelvin dans Thorns (Un Jeu cruel) de Robert Silverberg (1967), récemment traduit. Tous deux ont été gravement marqués par l’existence, l’un comme astronaute détruit puis reconstruit par des extraterrestres , l’autre comme jeune fille de 17 ans, mère d’une centaine de bébés par prélèvement d’ovules. Leur rencontre aura lieu, pour le plus grand profit d’une entreprise de divertissement. La psychologie des deux protagonistes est admirablement décrite, ce qui n’est pas étonnant de la part de l’auteur, homme de compassion avant tout. Ayant dévoilé la machination dont ils ont été l’objet, Burris et Kelvin exerceront leur vengeance, terrible. Sans être un chef-d’œuvre absolu, une belle réussite de Silverberg.

 

Continuant sur ma lancée (vous savez que je suis un fan de Silverberg), j’abordai ensuite une œuvre plus tardive, Le long chemin du retour (2002), belle ‘planet romance’. Joseph, fils d’une des grandes familles de Maîtres régnant sur Patrie, est en séjour tout au Nord, à 10.000 kilomètres de chez lui. C’est à ce moment que se déchaîne la révolution du Peuple. Echappant par miracle au massacre de la Maison de son hôte, Joseph est contraint de rentrer chez lui, totalement seul. Commence alors, pour cet adolescent, ignorant privilégié, un immense périple, une quête relative à ce Monde qu’il connaît si mal. Il vaincra la faim grâce à un autochtone mi-homme mi-animal, se mêlera aux véritables tribus indigènes, tombera amoureux, découvrira la vérité quant à la politique de ces Maîtres qu’il représente, pour, enfin et transformé par son aventure, retrouver sa Maison et les siens. Superbement écrit comme toujours, le roman, magnifique leçon de vie, se termine un peu abruptement : on aurait aimé voir approfondir l’impact du retour définitif de Joseph.

 

Autre leçon de vie, fort différente. Celle que nous donne la très jeune Manon Fargetton (elle a 18 ans !), dont le premier roman Aussi libres qu’un rêve paraît dans le célèbre collection « Autres mondes ». L’idée de base est originale. Fin XXIè siècle, l’avenir de chacun est régi par sa date de naissance. Si vous naissez en janvier, à vous les meilleurs emplois. Mais malheur à vous les natifs de décembre : ne vous restent que les métiers les moins gratifiants. L’intrigue raconte les parcours parallèles de jumelles, l’une née le 31 décembre et l’autre bien entendu, à quelques minutes près, le premier janvier. La trame est corsée par un échange d’enfants frauduleusement effectué par le Président, s’assurant ainsi d’un héritier Janvier. Et l’on suivra ainsi quatre destinées, celle des jumelles et celle des deux garçons échangés. La première partie, passionnante et très « actuelle », voit se connecter ces différentes individualités par le biais de concerts clandestins ou d’échanges email jusqu’à l’éclatement de la vérité. La seconde partie, ouvertement politique, me semble moins convaincante et par trop naïve. Le personnage du Président est caricatural et sommaire. L’épilogue a du souffle, mais on ne comprend pas très bien la tragédie finale, qui eut pu être évitée. Manon Fargeton, qui écrit fort bien, je le précise, corrigera certainement ces défauts de fond. Un grand merci à « Autres Mondes » de donner la plume à de jeunes écrivains : ils sont l’avenir d’un genre qui nous est cher, et qui dépend d’eux.

 

- Roger ZELAZNY / Robert SHECKLEY : Le concours du Millénaire, regroupant les romans « Apportez-moi la tête du prince Charmant », « A Faust, Faust et demi » et « Le démon de la farce », traduits par F-M. Watkins, Ph. Safavi et A.Girard (traductions revues par Roland C.Wagner), Gallimard, coll. Folio SF n° 286, 2007, 989 p.
- Francis BERTHELOT, Hadès Palace, Gallimard, coll. Folio SF n° 284, 2007, 335 p.
- Robert SILVERBERG, Un jeu cruel, traduit par M.Deutsch (révisée par Julie Pujos), Gallimard, coll. Folio SF n°281, 2007, 296 p.
- Robert SILVERBERG, Le long chemin du retour, traduit par Raphaële Provost, Robert Laffont, coll. Science-Fiction n°27001, 349 p.
- Manon FARGETTON, Aussi libres qu’un rêve, Mango, coll. « Autres Mondes » n°39, 2006, 201 p.

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