POCHESCI Bruno 01
Salut Bruno ! Le moins que l’on puisse dire à ton sujet, c’est que tu es un auteur prolifique. Depuis 2013, tu défrayes la chronique avec plus de cinquante nouvelles semées un peu partout, sans parler de tes nombreux prix.L’année dernière paraissait chez Rivière Blanche ton premier roman, Hammour, lequel a reçu un accueil enthousiaste de la part de tes lecteurs.Tu reviens à présent avec un recueil de nouvelles, L’amour, la mort et le reste, ainsi qu’une novella, Scories, respectivement parus chez Malpertuis et aux Éditions 1115. Raconte-nous un peu comment sont nés ces projets.
Bonjour Émilie ! Hammour était le seul projet littéraire que je portais déjà en moi avant que le petit monde de la SFFF ne m’adopte. Je devais avoir une dizaine de nouvelles à mon actif lorsque Philippe Ward m’a demandé si, à tout hasard, je n’avais pas du space op’ sous le coude. Je lui ai répondu que non, bien sûr, mais que s’il n’avait rien contre je pouvais retoquer un roman qui, à défaut de SF, relevait indéniablement de l’Imaginaire (même si va savoir dans quelle catégorie !). Concernant L’amour, la mort et le reste, ayant déjà publié deux nouvelles avec Christophe Thill et Thomas Bauduret, je me suis enhardi à leur soumettre une sélection de textes parus dans diverses revues et anthologies plus un inédit, qu’ils ont fini par accepter. Enfin, tout comme pour les amis susmentionnés, le courant passa également avec Frédéric Dupuy, rencontré lors des Aventuriales de Ménétrol. Scories m’était resté sur les bras après avoir été recalé lors d’un concours, mais j’avais foi en son potentiel et ne fus pas le seul de toute évidence.
C’est toi qui as choisi le titre ? L’amour, la mort et le reste : la vie réduite à l’essentiel… et au superflu ? Et pour Scories ?
Oui. Énorme clin d’œil à Douglas Adams à part (ainsi qu’à Richard Matheson, ou bien encore Sergio Leone), je le trouvais chouette, accrocheur et quelque part définitif. J’en profite dans la foulée pour t’informer que son « jumeau » SF, L’Espace, le Temps et le reste paraîtra courant 2019 chez Flatland. Pour ce qui est de Scories, Frédéric m’a proposé d’emblée un changement a priori anodin, mais qui désormais m’apparaît comme une évidence : supprimer l’article « Les » initialement prévu dans le titre d’origine !
Tu sévis donc également dans le domaine de la nouvelle de science-fiction. Est-ce que tu abordes différemment les choses lorsque tu écris de la SF ? Les thèmes se recoupent-ils ? Tes idées proviennent-elles des mêmes sources d’inspiration ? D’ailleurs, comment te viennent-elles, ces idées ? Au détour d’une musique, d’un coin de rue ou de table ?
La seule différence notable c’est que pour la SF je fais un peu plus attention à la vraisemblance – ou à tout le moins la cohérence – de ce que j’écris, étant donné mes lacunes spectaculaires en matière de savoir scientifique. Pour le reste, c’est le même processus d’évasion jubilatoire qui s’impose, consistant grosso modo à sortir de nulle part des personnages le plus souvent grotesques pour leur en faire voir de toutes les couleurs. Il suffit d’un simple échange, d’une saynète impromptue, d’un bout de phrase, de film... Tout est à même de déclencher l’étincelle qui mettra le feu aux poudres de l’imagination (c’est beau comme du Paulo Coelho ça, tiens !).
Est-ce que tu peux nous parler un peu des livres, des poèmes ou des films qui ont marqué ton imaginaire fantastique ?
Eh bien, disons que Paulo Coel... non, je déconne ^^ Allez, en vrac et à cet instant T : Le désert du monde de Jean-Pierre Andrevon a eu sur moi un énorme impact, tant pour le style que pour son entrée en matière fantastique qui progressivement glisse vers la SF ; les romans et les nouvelles de Italo Calvino et Dino Buzzati, qui sont divinement écrits et étonnants de poésie et inventive, avec loin derrière Stefano Benni, qui tout de même rafle le bronze ; la trilogie pessimiste de Charlton Heston – La planète des singes, Le survivant et Soleil vert –, qui fait qu’on lui pardonne même ses prises de position réacs dans la dernière ligne droite de son existence, en matière d’armes à feu ; enfin, une dizaine d’incontournables chefs-d’œuvre du septième art, commis par un autre triumvirat rital, messieurs Bava, Fulci et Argento pour ne pas les nommer, allant du Masque du démon à Inferno en passant par L’au-delà... Tout ceci et bien plus encore à cet instant T donc et... Ah, zutre... Je n’ai cité que des mecs et mis les années 70 en trop belle évidence... Tant pis. J’espère qu’on me le pardonnera, tout comme au père Charlton !
On dit souvent que le fantastique naît lorsque le surnaturel ou le paranormal fait irruption dans la trame du réel. Qu’en penses-tu ?
C’est sans doute une bonne définition, mais pas totalement satisfaisante. Tout objet, toute présence incongrue et ne relevant pas forcément du surnaturel ou du paranormal peut générer une sensation d’inquiétude, de basculement dans l’irrationnel. Pour faire un exemple, je me suis tout récemment retrouvé bloqué dans un bouchon entre les portes d’Italie et d’Orléans. Eh bien, un vif sentiment de malaise, voire d’irréel, m’a saisi à la vue de tous ces véhicules coincés les uns contre les autres et jouxtant les tombes alignées à perte de vue du cimetière de Gentilly, qui s’étend en bordure du périphérique. Je me suis mis à fantasmer que nous ne repartirions plus jamais pour quelque raison inconnue. Des trucs genre « on est tous morts et on ne le sait pas », ou encore « il y a une horde de morts-vivants vénères qui bloque le trafic un peu plus loin, avec des piquets de grève, et qui crame des croix comme d’autres des pneus pour exiger qu’on déplace ailleurs cet axe routier infernal, parce que bordel y en a ras-le-tibia ! Pas moyen de se reposer, avec ces centaines de milliers de bagnoles qui quotidiennement longent nos ultimes demeures ! ».
Au départ, tu es musicien, troubadour, compositeur, guitariste. L’écriture est venue au détour d’une rencontre, de ton amitié avec Jean-Pierre Andrevon, auteur que tu admires beaucoup par ailleurs comme tu viens de nous le dire, et qui signe aussi l’illustration de couverture de ton recueil. Pour toi, écrire, qu’est-ce que ça représente ? Tu crois qu’il faut mettre un L majuscule à littérature ?
C’est sans doute d’une banalité confondante (Coelho déteint de partout, surtout en phase interview), mais ce que je cherche dans l’écriture, c’est la même chose que lorsque je joue ou compose : arracher au néant des parcelles de grâce et m’en émerveiller ; graver des instants de liberté, des je-ne-sais-quoi émouvants, hilarants, le plus souvent dérisoires et pour sûr illusoires, mais qui font qu’un court instant j’aurai eu l’impression de claquer un gros bras d’honneur au temps qui passe et d’avoir éventuellement permis à ceux qui me lisent ou écoutent d’en faire de même. Je dis cela en toute modestie, hein, malgré mes tournures baroques, car comme le disait ce grand auteur de SF que fut Émile Zola : « Quand la terre claquera dans l’espace comme une noix sèche, nos œuvres n’ajouteront pas un atome à sa poussière ». L’art ne sauve personne, mais c’est un sacré soin palliatif.
Bien, les questions sérieuses ayant été posées, passons au reste. Quelle est la couleur qui te touche le plus ? Le noir, le rose, l’arc-en-ciel ? (Interdit de répondre « gris » !).
Cela se joue probablement entre le vert et le bleu. On va dire le bleu, parce que j’aime toujours autant porter des jeans que lorsque j’étais adolescent. Et pour les couchers de soleil d’été sur ma chère Méditerranée.
La musique qui te fait vraiment planer, qui t’inspire ?
Je ne pense pas que la musique soit une grande source d’inspiration en ce qui me concerne. Je n’en écoute que rarement en écrivant (nano-scoop : je ne lis pas non plus, en jouant d’un instrument ! ^^) et elle doit être rigoureusement instrumentale. Par contre, j’adore glisser des allusions, citer, détourner, voire massacrer certaines de mes références maîtresses, surtout en matière de rock. Scories et Hammour en sont farcis, tout comme plusieurs des nouvelles figurant au sommaire de L’amour, la mort et le reste. Une vie ne suffit pas et In vinylo veritas, en particulier.
Tes moments préférés pour écrire ?
Plutôt le soir. La tranche 22h-1h est celle où je suis généralement le plus efficace.
Ta définition du bonheur…
La santé pour ceux que j’aime et pour moi-même. Créer et donner, tout en espérant recevoir. Avoir de quoi vivre décemment. Le reste devrait suivre.
Merci, Bruno !
Merci à toi, Carissima ! ^^