PETROSKY Stanislas 02
Je vous connais comme auteur de polar teinté d’humour. Là, je vous découvre dans un registre totalement différent. Pouvez-vous nous parler, en quelques mots, de l’origine de Ils étaient vingt et cent…
Une enquête lue, il y a quelques années, dans le journal Le Monde, comme quoi 2 personnes sur 10 ne savent pas ce qu’est la Shoah. On arrive à 4 sur 10 pour les moins de 20 ans… C’était hier, c’était des millions de morts, on n’a pas le droit d’oublier. Mon métier c’est d’écrire, j’ai essayé de faire ce que l’on pourrait nommer un devoir de mémoire.
Avez-vous fait le choix conscient d’une écriture très « sensorielle » ? Ou s’est-elle imposée à vous au fil de l’écriture ?
Je vais dire que c’était un choix qui s’imposait, je ne me voyais pas être « distant » de Gunther… Je devais ressentir mon personnage, tenter de me mettre à sa place, de penser comme lui.
Avez-vous pratiqué, au fil du récit, une forme d’auto-censure, pour éviter qu’une trop grande atrocité n’éloigne les lectrices/lecteurs du propos ?
Non, j’ai écrit ce que je voulais, nul besoin de sombrer dans le gore, d’entrer dans des détails « voyeuristes », je ne pense que cela soit nécessaire de vouloir faire dans la surenchère du détail ultraviolent, même lorsqu’il a existé…
Pensez-vous qu’avec la disparition des témoins directs, la fiction puisse être un outil pertinent pour entretenir la mémoire de la barbarie ? Pour certains, la fiction est une trahison et seuls les historiens devraient pouvoir aborder la chose (c’est l’éternelle lutte entre La liste de Schindler et Nuit et Brouillard…), qu’en pensez-vous ?
Je le précise en début du livre, je ne suis pas historien, je suis un simple auteur. J’ai entrepris énormément de recherches pour faire ce roman, je voulais coller le plus possible à la réalité, sans être fictionnel pour l’Histoire. La romance entre Gunther et Edna est, elle, issue de mon imagination. Je pense que l’on peut apprendre énormément dans une œuvre de fiction, lorsqu’elle est inspirée de faits réels comme l’on dit. Elle peut aussi induire le public en erreur, c’est certain. En revanche les gens ne sont pas des imbéciles, s’ils veulent lire un ouvrage historique sur une période bien précise, sans aucune erreur, pour apprendre, ils vont acheter un livre d’Histoire. Les romans sont, eux, des œuvres de fictions, même si certains contiennent une grande part de vérité, il y aura toujours une part de fiction, de mensonge : l’auteur est un menteur professionnel…
Pensez-vous que l’homme est fondamentalement une créature monstrueuse vernie d’un peu de civilisation ou, au contraire, une créature civilisée pour qui la monstruosité n’est qu’un dérapage ponctuel ?
L’homme est le supra prédateur… L’homme est civilisé, il a la culture, l’intelligence, il « règne » sur toutes les autres espèces, il est le « maître du monde ». Mais l’homme a le vice, la barbarie, l’égoïsme, la trahison et que sais-je encore enfoui au fond de lui… Il suffit de prendre un livre d’Histoire, de voir de quoi il a été capable pour la conquête d’un territoire, une religion… On peut lire des faits divers d’une grande ignominie chaque jour dans les médias. On ne peut pas parler de dérapage. Il y a déjà eu tant de génocides, il y a encore tant de conflits à travers la planète, de migrants à la recherche d’une terre d’asile. Notre problème, c’est que nous ne savons pas apprendre des leçons du passé, nous commettons à nouveau des erreurs qui nous entraînent dans une spirale infernale. Les camps n’ont pas arrêté d’exister le 27 janvier 1945 avec la fermeture d’Auschwitz, loin de là. L’an dernier, un journaliste chinois travaillant pour une télévision japonaise révélait l’existence d’un camp de concentration à Sujiatun, dans la ville de Shenyang en Chine... Donc l’homme peut se révéler barbare n’importe quand, qu’il perde juste un instant certaines notions, et il peut devenir « monstre » pour une idéologie, un Dieu, un fantasme...
Critique de Ils étaient vingt et cent ici