Océan au bout du chemin (L')
Neil Gaiman aime à écrire sur l'enfance, sa magie et ses terreurs. Des ouvrages tels que Coraline ou L'étrange vie de Nobody Owens ont déjà montré de la prédilection de Gaiman pour cette période de la vie où tout n'est que rêves et fantasmes.
L'Océan au bout du chemin, paru au Diable Vauvert en octobre 2014 alors que l'auteur s'apprête à fêter son cinquante-quatrième anniversaire, est plus que tout un récit sur l'âge tendre. C'est un roman initiatique autant que fantastique.
Le texte entier est d'ailleurs écrit à la manière d'un jeune garçon, une prose balbutiante, simple et néanmoins addictive qui rend la poésie inhérente aux textes de Neil Gaiman plus fragile encore, plus palpable. Comme le héros, nous nous trouvons plongés dans un monde perdu entre imagination et réalité, face à nos souvenirs et à notre propre jeunesse, face à nos tourments également.
Car l'angoisse est omniprésente dans le roman, une angoisse sourde qui tenaille de même l'enfant et le lecteur.
Ici les peurs sont des fantômes matérialisés par des fragments de chair et de brume. Les terreurs infantiles comme la nuit, l'inconnu, les parents désunis, les maltraitances et les nourrices cruelles prennent vie à travers d'abominables apparitions. Seuls la magie et la pureté auront raison des violences perpétrées par les adultes. La littérature est également pour le garçonnet un moyen de s'évader d'un univers trop brutal et cet enfant amoureux fou de contes et légendes n'est pas sans rappeler l'auteur lui même.
L'océan au bout du chemin est aussi un livre sur la mort, cette peur primaire qui habite l'enfant comme l'adulte. Dès les premières pages, nous apprenons que le narrateur n'est retourné sur les lieux où il a grandi qu'à l'occasion de funérailles et c'est pour fuir cette mort qu'il s'isole et se réfugie dans ses souvenirs. Le texte se poursuit par le décès d'un chaton aimé et d'un étrange locataire. L'enfant sera alors confronté à la morbide réalité de l'existence par la découverte violente de deux cadavres.
Dès lors le récit ne sera plus qu'une métaphore de la putréfaction, cette lente dégradation qui abîme les êtres et les choses. D'abord la matérialisation d'un ver avide qui ronge le garçonnet de l'intérieur puis l'ingérence d'un esprit, lambeau de linceuls et de peau grisâtre, qui n'aura de cesse de le poursuivre pour s'approprier sa jeunesse et sa vie car la mort chez Gaiman est aussi et tout simplement la perte de l'innocence.
Pour Neil Gaiman, grandir c'est mourir, le passage à l'âge adulte est un deuil, celui du rêve et de l'imaginaire. L'homme tente désespérément de retenir la féerie mais l'onirique est l'apanage de l'enfant et il vous quitte en même temps que la candeur. Il s'envole quand vous essayez de le garder captif.
L'océan au bout du chemin est un livre destiné aux nostalgiques et aux grandes personnes qui croient encore au fabuleux comme à tous ceux qui se plaisent à frissonner devant quelques pages noircies de chimères. C'est un ouvrage qui traite de nos angoisses et de nos regrets, de tout ce qui fait l'homme. Un texte construit sur deux niveaux de lecture qui en dit bien plus qu'il ne le montre. Il faut souvent comprendre les œuvres de Gaiman par delà les mots comme malgré eux et malgré nous. Il s'agit là d'un roman à lire absolument que l'on soit féru de fantaisie, de poésie ou simplement de beauté car l'auteur en plus de dresser à la perfection un monde étrange entre horreur et merveille, analyse ici avec justesse les tréfonds de l'âme humaine. Avec l'Océan au bout du chemin Neil Gaiman prouve une fois de plus qu'il est une sommité du fantastique mais aussi un surdoué du verbe et des sentiments.
L'océan au bout du chemin de Neil Gaiman, Au Diable Vauvert
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