Cité sans nom (La)

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Voici une découverte de taille : un prince écrivain de fantastique ! Cette découverte, nous la devons à Patrice Lajoye, grand défricheur des terres russes de l’Imaginaire. Rappelons-nous ses deux belles anthologies dans la collection « Dimensions » (URSS et Russie) chez le même éditeur.

Membre de la plus haute aristocratie tsariste, Odoïevski (1803-1869), ami de Pouchkine, occupa d’importantes fonctions dans l’administration. Il était aussi critique musical : exact contemporain de Berlioz, il défendit activement Glinka ainsi que la jeune école de musique russe et fit même de Bach et de Beethoven des héros de nouvelles.

Lajoye a regroupé ici une vingtaine de récits dont bon nombre sont remarquables. Il les a classés par genre. D’abord le fantastique. Trois sont à retenir. « Pourquoi le conseiller de collège Ivan Bogdanovitch Otnochene ne fit pas ses visites officielles à ses supérieurs le jour de Pâques » (la nouvelle peut concourir pour le plus long titre) est fascinante : un employé, fort sérieux dans la vie, joue aux cartes avec ses amis la nuit de Pâques, au lieu d’aller à la messe. Au petit matin, on découvre les cadavres des joueurs impies… : les cartes se sont vengées. « L’Improvisateur » n’est pas mal non plus. Un poète malheureux conclut un pacte aux termes duquel il saura et verra TOUT. L’exaspération des sens le mènera à la folie. Dans « La Sylphide », un alchimiste crée une femme au cœur d’une rose. La fin est merveilleusement désenchantée. La science-fiction ensuite : ici se place un conte assez exceptionnel, intitulé « L’an 4338 », peut-être en hommage à « L’an 2440 » de Louis-Sébastien Mercier (1771). Odoïevski, comme son prédécesseur, décrit un avenir très lointain. Un Chinois écrit de Moscou (fusionné à Saint-Pétersbourg) à un compatriote resté au pays et lui décrit les merveilles de la société russe. Jolies méditations sur la durée des écrits, le magnétisme, les modes féminines, et même sur… un futur Internet : « pour communiquer, on a installé des télégraphes magnétiques entre les maisons qui se connaissent. C’est au moyen de ces télégraphes que ceux qui habitant loin l’un de l’autre se parlent ». La fin est un peu décousue, mais ce mini-roman est inachevé. La nouvelle qui donne son nom au recueil, « La Cité sans nom », est étonnante à plusieurs niveaux. Un homme noir pleure près d’une ruine. Il raconte l’ascension et le déclin de sa patrie. Destin proche de l’Atlantide : les citoyens de cette cité « utopique » ne se sont laissé guider que par le dogme du profit. Le pays se nommait la Benthamie, d’après le nom du juriste économiste Julius Bentham (1748-1842). Le profit à outrance a conduit le pays aux conflits locaux, puis aux guerres et enfin à la destruction complète. Très étonnante critique du capitalisme sauvage, pour l’époque. Suivent enfin divers contes peut-être moins prophétiques, mais parfois de jolie valeur littéraire. Ainsi « L’Habitant du Mont-Athos » narre le parcours un rien moralisateur d’un réformateur de la société qui, un moment découragé par le comportement de ses contemporains, finalement se reprend. « La Ville-Tabatière », conte pour enfants, séduit beaucoup : un enfant pénètre dans une tabatière à musique et découvre un mini-monde horloger.

Voilà donc un recueil tout à fait passionnant, et on ne remerciera jamais assez Patrice Lajoye de nous avoir fait découvrir ce prince russe, inconnu en Occident, esprit novateur et brillant. Toutes les traductions datent du XIXème siècle.

Vladimir ODOÏEVSKI : La Cité sans nom, Editions Rivière blanche, 2012, 268 p., 20 euros

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