Mondwest, film de Michael Crichton, 1973
Bonjour à toutes et à tous
Divine surprise avec la bonne idée de la chaîne Arte de rediffuser un dimanche soir de 2011Mondwest le premier film écrit et réalisé par Michael Crichton, auteur peut-être un peu trop vite classé dans les fabricants de best-sellers indigents. Car en fait, même s’il n’est sans doute pas de la lignée des grands auteurs tels Lem, Asimov, Dick ou les frères Strougatski, c’est un écrivain qui parvient à sentir très bien les grandes tendances de son temps pour en tirer de l’anticipation populaire de qualité.
Aujourd’hui, le film sort enfin en dvd, l’occasion de lui consacrer une chronique.
Une aura de film culte plane autour de ce long métrage de SF datant de 1973, aura méritée. Sa véracité est troublante... Quelque chose nous dit que tout cela peut, doit même exister… Il y a dans ce film une évidence, un fantasme tout prêt d’être réalisé, qui s’inscrit dans la perversité du statut d’esclave mêlée au concept récent et capitaliste de la société du spectacle.
Vous connaissez sans doute l’idée du film, des robots du parc d’attraction Delos, reproduisant trois passés différents finissent par se rebeller, tuant les visiteurs qui ont payé fort cher pour vivre la vraie vie d’antan…
Le début est publicitaire... Véritable force de vente, un pseudo journaliste interviewe des touristes ravis après leur séjour à Delos. L’écran est réduit, au format télévisuel. Le film n’a pas encore véritablement commencé que la télévision pointe son nez, envahit l’œuvre de fiction. On cherche à nous convaincre à quel point tout est parfait.
Le spectateur est donc tout de suite mis en face de la machinerie médiatique capable d’amener des gens civilisés, instruits, à dépenser leur argent, sans doute très honnêtement acquis, afin de satisfaire leur légitime goût pour la Grande Histoire…
Sommes-nous aussi à notre tour tentés par ce plongeon dans le passé, dans la satisfaction du risque sans risques ?
Trois univers qui font fantasmer le Nord-Amricain moyen composent ce parc d’attraction, enrichissant la narration.
L’empire romain, ou du moins la vie dans les villas des riches citoyens, avec son lot d’orgies.
Le Moyen-âge en Europe, avec son château-fort, ses banquets, son Roi et sa Reine, ses duels avec le Chevalier Noir.
Enfin, la Conquête de l’Ouest, l’apanage de la virilité, les duels au pistolet, les saloons, les prostituées, les attaques de banque.
Au bout de quelques minutes, l’on s’aperçoit vite qu’il s’agit en réalité, si l’on peut dire, de la manière dont les visiteurs croient connaître ces périodes historiques, dont le cinéma surtout en a créé la légende. L’utilisation des décors est d’une grande puissance, repris sans aucun doute des existants de l’industrie hollywoodienne. Pour des raisons de budget, rien n’a du être construit exprès pour Mondwest, du moins en ce qui concerne les trois époques historiques.
Nous sommes constamment dans un décor, non de Mondwest, ce qui pourrait se comprendre, nous savons bien que nous regardons une fiction, mais bien dans les décors d’autres films qui ont eux forgés la représentation populaire des trois époques historiques vendues comme authentiques…
Mondwest est la fausse représentation, au sens théâtral, de trois mondes eux-mêmes déjà faux par cette idéalisation cinématographique. Le serpent finit par se mordre la queue…
Plus rien n’est vrai. Delos est un lieu utopique, doublement utopique, totalement irréel. D’ailleurs afin de bien les mettre en condition, les visiteurs traversent dans un appareil volant un désert où se situe le parc aux trois thèmes. Cette séquence peut paraître un peu gratuite de prime abord, le parc pourrait être bien plus près de la ville. Mais en fait, elle signifie l’éloignement, le dépaysement total, le luxe et le confort matériel auxquels sont habitués les clients aisés de Delos. Ce moyen sophistiqué de transport, offrant une ambiance digne de Concorde, représentation de la modernité et du luxe constitue un passage de la vraie vie à la fausse vie.
La Trinité meurtrière est très bien utilisé et répartie tout au long du film, en fonction de sa place dans le temps.
Le principal reste la conquête de l’Ouest. Un couple d’amis businessmen, dont l’un a déjà passé plusieurs séjours à Delos, viennent vivre leur western. C’est là qu’aura lieu le duel final entre Peter et le robot tueur interprété par Yul Brunner.
Ensuite vient le Moyen-âge, où un second couple marié, d’un certain âge, vient lui jouer le rôle du Roi et de la Reine. Le Roi succombera dans un duel avec le Chevalier Noir robot.
Ensuite plus furtivement l’Empire romain avec ce massacre des riches citoyens par la masse d’esclaves. Les plans de cette tuerie sont très courts, peu nombreux. Mais Michael Crichton réutilise finement les lieux, ces magnifiques jardins jonchés de cadavres dont nous, spectateurs, sommes incapables de distinguer les vrais des faux, pour la fuite de Peter, unique survivant, et son entrée dans les souterrains du parc.
Rien n’est perdu, chacun des trois thèmes sert dans le film.
Mondwest est aussi brutalement bâti sur le passage du dessus au dessous, du spectacle soi-disant vivant, plus vrai que vrai, aux coulisses du spectacle en sous-sol, où les techniciens et ingénieurs contrôlent l’action de chacun des robots et surtout les réparent chaque nuit avant qu’ils reprennent du service dès cinq heures du matin.
Certaines scènes sont tout à fait saisissantes, perturbantes même, comme après l’attaque de la banque le ramassage en pleine nuit des cadavres de robots que l’ont transporte dans une camionnette, incongru véhicule au temps du cheval.
Moment d’arrêt dans l’activité du parc, la nuit offre aux spectateurs l’envers du décor, au milieu d’une lumière crue d’un puissant éclairage amené pour l’opération de récupération des faux habitants du Far-West. Une fois les robots abîmés par les balles descendus par une rampe, ils arrivent dans les sous-sols, clinique où s’opère la réparation des corps mécaniques.
Puis c’est l’heure du réveil, au matin. Tous les habitants alors passent de l’immobilité totale à la vie en une fraction de seconde, après un compte à rebours. C’est là d’ailleurs que je mes suis rendu compte que les chevaux aussi étaient mécaniques. Je n’y avais pas songé depuis le début du film, naïf spectateur que j’étais...
Autre point fort, Mondwest possède une très bonne bande son, quasiment de la musique concrète composé par Fred Karlin, qui évoque le cheval lors des séances western, le mécanisme déréglé de tous ces robots en train de défaillir. Elle rend sensible la violence que les visiteurs font subir aux androïdes.
Parfois aussi elle souligne avec malice les situations quelque peu comiques, telles les bagarres de saloon ou angoissantes lors de la poursuite du robot tueur de l’Ouest.
Durant la scène d’amour entre Peter et la prostituée robot dans la chambre du saloon, la bande son évoque l’attaque de banque. Les coups de feu souligne la sexualité, évite de mettre le son de l’amour physique entre un humain et cette esclave mécanisée au service du plaisir sexuel masculin. Cette scène est suffisamment éprouvante pour le spectateur, poussant la perversité des rapports entre humains et robots si loin qu’il n’était guère envisageable pour un film grand public de laisser la scène dans sa crudité entière.
Véritablement, la bande son contribue fortement à faire de Mondwest un bel objet cinématographique, vraiment pensé.
Très clairement le film est une critique, une étude du monde du spectacle, des parcs de divertissements, de cette culture de l’Entertainment poussée à l’extrême.
Mais en rester là est sans doute très réducteur. C’est profondément à mon sens une œuvre dont le sujet est la représentation du passé, sa place dans la représentation de soi de chaque génération. Mondwest consiste à explorer conjointement les méandres de l’Histoire et des pulsions humaines.
Car enfin, les trois périodes de Delos ne sont pas choisies au hasard. Mieux, le lieu qui clôt le film, où Peter finira par vaincre le robot tueur, est hautement signifiant.
Malgré l’atroce course-poursuite qui l’a vu vaincre par le feu le robot tueur, malgré tout ce qu’il a vécu en quelques heures, Peter ne parvient même plus à distinguer une humaine d’un robot. Il croit que la jeune femme prisonnière des caves du château et qu’il délivre est réelle. Il veut lui donner à boire, elle refuse mollement, il insiste et elle se met alors à fumer à produire des étincelles...
Rien n’est décidément épargné à Peter. Il ne peut même pas exercer sa volonté de sauver un humain dans ce carnage. Il n’aura même pas l’occasion d’être un héros, un vrai. Il reste juste l’unique humain à avoir survécu au divertissement robotisé qui a mal tourné.
Les caves du château ne sont rien de moins qu’une salle de torture. Il est facile d’imaginer ce que certains visiteurs pouvaient faire dans ce lieu sordide… Les pires pulsions pouvaient s’exprimer. Delos offre plus qu’un dépaysement. Delos offre la satisfaction ultime, tuer sans risquer aucune punition.
Michael Crichton s’inspire là sans doute de la courte et ironique nouvelle de Ray Bradbury, Châtiment sans crim, où un homme haïssant son épouse, tue par substitution un androïde à son image. Mais la loi change, il est arrêté pour meurtre. Malgré que sa vraie épouse soit belle et bien vivante, il sera exécuté… Le texte est lisible dans le volume Robots de La Grande Anthologie de la Science-Fiction.
La morale est évidente. Le pire dans la bassesse humaine, le pire des trois parcs à thème, c’est l’Europe, le féodalisme, la royauté. L’Empire Romain et sa pratique de l’esclavage sont lointains et la Conquête de l’Ouest en sort paradoxalement grandie. Elle n’est certes pas de tout repos, elle est violente, mais le duel est de rigueur. Chacun a sa chance, loin de la tyrannie des familles royales européennes. Il s’agit d’une violence quasi démocratique…
Ceci dit, les Indiens sont inexistants dans le parc à thème, choix sans doute volontaire de Michael Crichton. Dans l’Entertainment, il n’y a pas de place pour les vaincus, pour la mémoire du perdant.
Le fameux auteur du livre à l’origine du Jurassic Park réalisé par Steven Spielberg réussit là à mon goût un très bon film de SF, totalement inscrit dans l’endroit et l’époque où il vit, les USA, dans son Histoire réelle et fantasmée tout à la fois, dans l’histoire même du genre western, péplum et film de cape et d’épée, qui ont fait la fortune d’Hollywood.
Surtout, le film explore véritablement le comportement humain, la prétention de toute génération à se prétendre civilisée, meilleure moralement que leurs lointains et barbares ancêtres. Michael Crichton ne se fait aucune illusion sur la capacité de la technologie à améliorer le comportement humain, à l’aider à contrôler ses pulsions meurtrières et violentes, à s’amender. Cette capacité est nulle, tout simplement, illusoire.
La technologie, par un ironique retournement de situation, finit même par acquérir cette violence et à l’exercer sur les visiteurs du parc d’attractions. Le robot ne devient autonome que lorsqu’il commence à exercer de la violence : le serpent mécanique qui mord, la servante qui se refuse au Roi en le giflant, le cowboy tueur qui se met à gagner ses duels et à tuer pour de vrai.
Même si la cause de ce dérèglement reste mystérieuse, la narration n’a rien de grotesque. Les robots n’ont aucun sursaut moral, ne se transforment pas subitement en humains, ne se posent aucune question métaphysique. Simplement leur programmation perd toute limite. Le tueur ne fait qu’accomplir sa tâche du mieux qu’il le peut, fidèle à ce pour quoi il est fait.
Encore une fois, la technique se révèle fatalement incontrôlable à un moment ou à un autre. Les ingénieurs impuissants et enfermés dans leur bunker, les techniciens - pourtant censés maîtriser à merveille ces robots sophistiqués- prennent la fuite en voiturette, se révélant incapables de faire face à un dérèglement systémique. Ils savent réparer une panne, changer une pièce, rien de plus.
Comme pour tout système complexe, l’enchaînement des pannes devient inéluctablement immaîtrisable, faute de fermer le parc d‘attraction à temps pour ne pas perdre sa réputation et de l’argent…
Le scénario ressemble là à ceux de catastrophes aériennes ou industrielles, c’est ce qui en fait sa force, son assise sociale très réaliste.
Parc d’attraction. Voilà bien un mot qui finalement dit bien ce que cela veut. Provoquer l’attraction du public, le ramener dans un endroit spécialement dédié à ce qui l’attire, de la souris Mickey et de ses amis aux pires de ses pulsions meurtrières et sadiques…
Mondwest est donc un long métrage de haute tenue, très bien écrit et filmé, très riche dans son propos explicite et implicite, que tout amateur de SF se doit d’avoir vu avant d’aller ingurgiter Jurassic Park VIII en mangeant du popcorn…
Un grand merci donc aux programmateurs d’Arte.
PS : Une suite est sortie en 1976, Les rescapés du futur, réalisé par Richard T. Heffron, que je n’ai pas visionnée. Les critiques lues sont mitigées, mais les belles affiches donnent toutefois envie...