Melancholia

Réalisateur: 

Chronique aujourd’hui d’un film de 2011 toujours en salle je l’espère, Melancholia, réalisé par Lars von Triers, qui poursuit là son oeuvre de refondation des genres cinématographiques. Après avoir exploré la comédie musicale, le film d’amour romantique, voilà qu’il nous propose un film catastrophe, au thème absolument hollywoodien, presque un cliché de la science-fiction populaire, une planète menace de rentrer en collision avec la Terre...


L’histoire est conçue autour de deux soeurs, l’une dépressive ne trouvant pas sa place dans la société, l’autre mariée avec un enfant, menant une vie bien ordonnée. L’arrivée de cette planète, Melancholia, la mélancolie donc, va venir troubler, puis bouleverser la vie de cette famille.

Tout d’abord, cette hypothèse de planète orpheline, éjectée d’un système solaire et errant dans l’espace jusqu’à rentrer à nouveau dans le système gravitationnel d’un soleil, est très crédible, pour autant que les avancées de l’astronomie nous permettent de le penser. Simplement, n’étant pas éclairées par un soleil, elles sont très difficiles, voir impossibles à détecter. Qu’un tel objet stellaire vienne un jour croiser les orbites des planètes de notre système solaire n’a donc rien d’impossible, même si une collision avec la Terre relèverait de la malchance statistique...

Lars von Triers a donc basé son film sur une réelle hypothèse crédible, et non sur une idée farfelue de mauvais film SF. Cela pèse sans doute aussi sur l’extrême sentiment de réalisme que dégage le film, au-delà d’une esthétique très forte, comme à son habitude.

La soeur dépressive affirme également que la vie n’existe dans tout l’univers que sur Terre, que la vie n’a aucun sens, aucune logique prévisible. Hypothèses scientifiques et parfois philosophiques qui agitent la communauté scientifique depuis longtemps.

Le film commence longuement par des scènes oniriques, incompréhensibles en l’état pour le spectateur, et qui ne prendront sens qu’au fil de l’histoire. Véritablement envoûtantes, ces véritables tableaux mouvants au ralenti nous font entrer de plein pied dans un rêve ; un rêve qui tourne au cauchemar. Melancholia percute vraiment la Terre, la pulvérise. Mais n’est-ce pas métaphoriquement le souhait de la jeune soeur dépressive, qui souhaiterait voir la Terre détruite, puisque pour elle, la vie n’a plus de sens, n’en a jamais eu ? Le doute m’a constamment effleuré tout du long.


Le début du film est donc formidable, repoussant les limites de la narration pour nous mettre dans un état second, avant de revenir à la vie terrestre de cette famille, de ces deux soeurs si différentes, l’une attachée aux choses matérielles, l’autre cherchant désespérément un sens à sa vie.

Face à l’avancée irrésistible de Melancholia, chacun réagira différemment, allant jusqu’au suicide. Le film clairement place les quelques personnages centraux du film dans une ultime expérience de vie, la fin de tout, la fin de l’espoir, du futur ; le néant certain qui attend l’Humanité. Sans raconter l’histoire, Lars von Triers prend le temps au fil des deux heures de les laisser évoluer, aller vers leur destin inéluctable, y compris un jeune enfant qui prend conscience de sa propre mort qui approche et qu’il faut rassurer.

Narrativement, le film va jusqu’au bout, dans un dernier plan qui clôt le film dans une logique installée dès l’introduction.

Alors, après avoir vu Melancholia, il est impossible de ne pas ressentir la médiocrité terrible des films catastrophes hollywoodiens récents, tel était sans doute également le but de Lars von Triers en retravaillant le film catastrophe.

Dans Melancholia, l’étude de moeurs remplace les scènes d’hystérie collective sans intérêt. Tout se passe dans un manoir isolé. Le village d’à côté ne sera même pas présent visuellement. Se contentant d’une infime partie du globe, le réalisateur parvient parfaitement à rendre compte de la décomposition de l’Humanité. Nul besoin de foule pour aborder l’espèce humaine.

Remplaçant intelligemment toutes sortes d’images numériques, de propos astronomiques abscons, de scènes de scientifiques en panique, une simple astuce permet aux protagonistes de suivre l’avancée de Melancholia, de s’en effrayer. Un fil de fer enroulé en cercle, attaché à un bâton, permet de suivre la planète meurtrière. Au début, elle tient dans ce cercle métallique, puis sa taille déborde, signifiant concrètement son avancée vers la Terre...

Exactement comme Stanley Kubrick avait voulu pousser le film de science-fiction à ses limites avec 2001 l’odyssée de l’espace, refusant la facilité, Lars von Triers a redéfini le standard du film catastrophe, lui donnant là ses lettres de noblesse en lui offrant un récit, une esthétique puissante, un sens mélodramatique d’une rare efficacité et pourtant si calme, si posé. L’agitation vaine de films comme 2012, Armaggedon - la liste est trop longue - paraît désormais non seulement mauvaise cinématographiquement, mais vulgaire, sans objet sinon la répétition d’une formule qui marche. Lars von Triers nous remet là les yeux en face des trous. Il nous prouve que l’on peut faire autre chose, qu’un sujet n’est rien, sinon la manière de le raconter, de le filmer. Que la paresse intellectuelle, le business de l’entertainment poussé à sa dernière extrémité ne produit que de l’ennui, de la triste banalité, que des images sans intérêt.


Melancholia, le premier film catastrophe d’un calme mortel, véritablement angoissant et d’une grande beauté formelle. L’idée du golf à côté du manoir permet aussi de filmer souvent des voiturettes sur du gazon parfait, idéal d’une nature maîtrisée, hygiénique et sans risque... L’on retrouve un on ne sait quoi également de la série Le prisonnier initiée par Patrick Mc Goan. Prisonnier, nous le sommes, de la planète Terre.

Métaphoriquement, l’histoire, le nom même de la planète qui va faire basculer la destinée de l’Humanité, Mélancolie, sont intéressants. Un sentiment, comme la haine, la mélancolie, peuvent tuer notre espèce aussi sûrement que cette mystérieuse et belle planète.

Lars von Triers nous invite donc avec Melancholia à nous poser cette question, quell sens prendrait notre vie si toute vie venait à disparaître ? Simple hypothèse pour un film sinon complexe du moins très riche de sens. De la SF comme on aime en voir au cinéma.

Melancholia

Réalisation : Lars Von Trier

Avec : Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland

Sortie le 10 août 2011

Durée : 130 minutes

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