Maison des âmes perdues (La)
Claire, jeune fille de 17 ans, descend de son village de Besse pour se placer comme domestique chez une famille de notables de Clermont-Ferrand. Exploitée et peu considérée, elle est en outre forcée par François, le fils de la famille. Se découvrant enceinte, commence alors pour elle une descente aux enfers qui la mènera bien malgré elle dans une maison close de la ville. Dans le sombre avenir qui l'attend, Claire parviendra-t-elle à renouer avec des jours heureux ?
J'aime beaucoup les romans historiques d'Alain Léonard, qui sait à merveille s'approprier les lieux et les époques pour nous livrer de magnifiques portraits de femmes.
Après les deux guerres mondiales, la Révolution française ou encore les campagnes napoléoniennes, il s'intéresse au sort des "femmes déchues" à la fin du 19e siècle. Prenant attache dans le Clermont-Ferrand de cette époque, il dépeint avec un naturalisme proche de Zola la vie de cette jeune fille, Claire, venue de sa campagne pour se placer en ville comme domestique. Difficile en effet de ne pas tout de suite penser à Nana ou à L'assommoir en lisant La maison des âmes perdues.
Sans sombrer dans le glauque ou le pathos larmoyant, comme le sujet aurait pu le laisser craindre, Alain Léonard brosse une intrigue où réalité historique et fiction se mêlent étroitement. Comment ne pas vibrer d'indignation en découvrant le sort de cette naïve gamine à peine sortie de l'adolescence ? Mal traitée par sa patronne, violée par le fils de famille dévoyé et méprisant - comme tant de jeunes bourgeois de l'époque -, désavouée par sa famille, la pauvre n'a pas des milliers de solutions pour survivre ! Ce sera la prostitution...
Avec une écriture alerte et immersive, l'auteur nous entraîne à la suite de Claire dans le piège des maisons closes (sans oublier, avec honnêteté, d'en souligner au passage les avantages sanitaires). Toute l'hypocrisie d'une société portant au pinacle la virginité des filles en moquant celle des garçons est exposée. Tout le scandale d'une morale qui préfère sacrifier des filles de peu plutôt que de s'interroger sur le comportement de certains de ses membres nous éclate au visage.
La vie dans le bordel est rude, injuste, âpre. Mais aussi pleine de rires, de solidarité et d'amitié.
Le destin de Claire, au début, est celui de millions de femmes à travers le monde et le temps. Comme on voudrait que la chance ait souri aux autres comme elle sourit à la jeune fille !
Le peu de cas qui est fait des "petites gens" à travers l'Histoire hérisse Alain Léonard, cela se sent, et il n'a de cesse de les réhabiliter, de leur rendre l'importance qu'ils méritent au travers de ses romans. Et il le fait merveilleusement bien.
La maison des âmes perdues d'Alain Léonard, Éditions De Borée, ISBN 978-2-81-292821-5, 19,50€