Dents de l'amour (Les)
Soudain un inconnu se jette sur vous, vous arrache votre petite culotte, vous dévore de baisers et vous laisse sans vie sous un container à ordures. C’est ça l’effet vampire. Fulgurant, choquant, et incompréhensible. Car lorsque Jody revient d’entre les morts, apparemment intacte, si ce n’est une main droite carbonisée (qui va rapidement cicatriser et reprendre son aspect normal), elle ne sait rien de la mutation qu’elle vient de subir, de ses effets, de ses contraintes.
Immortelle, mais pas complètement ; hyper-énergique, mais seulement pendant la nuit ; délivrée de toute maladie ou de tout besoin physiologique, mais incapable dorénavant de savourer une moindre goutte de café, cette jeune femme astucieuse, prise au piège de sa propre existence, doit s’adapter très rapidement et trouver pour cela un mortel bien intentionné qui pourvoirait à ses nécessités. Par chance, elle rencontre C. Thomas Flood, un écrivain en chantier, qui fait une fixation sur l’initiale de son nom, totalement inventée et incohérente, mais qui donne selon lui à sa glanderie quotidienne la valeur d’une épopée sublime. Pour survivre en attendant le Pulitzer, C. Thomas Flood tente de tenir son équipe de nuit, dans un supermarché délirant où les dindes servent de boules de bowling et les chariots transpalettes se mutent en bateaux de ski nautique.
Dans ces conditions, rencontrer un apprenti vampire n’a rien de spécialement déstabilisant, surtout lorsque le dit apprenti est une splendide et pulpeuse rouquine, bourrée de fric et de talents cachés. D’autant que le rêve secret de Tommy, priapiste optimiste fraîchement débarqué de son Indiana natal, n’était-il pas de venir à San Francisco « rencontrer une fille qui le sucerait toute la journée ». Le voilà donc servi avec Jody, et même servant, puisque chacun trouvera son compte au jeu coquin des échanges de liquides physiologiques. Le couple ainsi formé, pour improbable qu’il soit, est prêt à se lancer dans l’aventure, celle notamment de découvrir au plus vite quel admirateur anonyme, et certainement timide, s’obstine à semer des cadavres exsangues tout autour d’eux, comme autant de bouquets incolores et de mauvais goût. Comment voulez-vous faire croire ensuite à des inspecteurs de la criminelle, plus méchants que bêtes, que vous n’êtes que pure et blanche innocence ?
Malgré un premier chapitre catastrophique (le traducteur n’avait pas dessoulé), le roman parvient très vite à sa vitesse de croisière, à mi-chemin entre un grand Woody Allen et un immense Helzapoppin. Ce thriller désopilant accumule dialogues brillants de nonsense et scènes absurdes d’un très haut niveau comique. Cela fait penser par bien des endroits à Carl Hiassen, tant l’intrigue est prenante et le déroulement spectaculaire.
Christopher Moore, dont nous découvrons ici la neuvième traduction en langue de Molière, mérite assurément d’être inscrit au panthéon des grands auteurs comiques du genre. Je conseille donc Les dents de l’amour à tous ceux qui veulent se payer une pinte de bon sang.
Les dents de l’amour par Christopher Moore, couverture : Willmac, traduction : Luc Baranger, Le livre de poche