Scarifiés (Les)

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Voilà un ouvrage foisonnant, dense et original, qui satisfera les lecteurs en quête d’univers de « fantasy » neufs, en rupture avec une littérature qui privilégie trop souvent les déclinaisons de l’œuvre de Tolkien. Le livre est de surcroît rédigé dans un style de qualité et l’histoire sait prendre son temps lorsque c’est nécessaire, sans oublier pour autant de ménager des coups de théâtre et des aventures palpitantes à l’occasion. Cerise sur le gâteau, la galerie de personnages que China Miéville dépeint dans les pages de son roman ne se contente pas d’une psychologie de bazar : nous avons ici affaire à de vrais êtres humains (ainsi qu’à d’autres à l’humanité sujette à débat…) qui ont une réelle épaisseur, de vrais objectifs, des craintes et des aspirations qui relèvent du domaine du crédible.

« Les Scarifiés » fait suite chronologiquement à « Perdido Street Station », sans qu’il soit nécessaire pour autant d’avoir lu ce premier opus pour le dévorer. Le récit ne concerne pas, en effet, les mêmes personnages. Il se situe simplement dans le même univers.

Tout débute avec l’exil que s’impose Bellis, une jeune traductrice de langues oubliées. Désireuse de se faire oublier des autorités de sa cité d’origine, Nouvelle-Crobuzon, du fait d’une histoire liée aux aventures contées dans le premier tome, elle s’embarque à bord du « Terpsichoria », un navire en partance pour l’île Nova Esperium. Mais voilà : le vaisseau ne tarde pas à se faire arraisonner par un groupe de pirates, pas si sanguinaires que ça. Les survivants sont conduits au repaire de ces forbans, une île flottante constituée de l’assemblage d’une multitude de bateaux : Armada. Ils sont alors intégrés à la population du lieu, invités à rejoindre la famille des pirates - ce qui n’est pas pour déplaire à ceux d’entre eux qui voyageaient prisonniers dans les cales du « Terpsichoria » - mais il ne pourront plus jamais remettre le pied sur la terre ferme, ils doivent tracer un trait définitif sur leur passé.

Bellis se retrouve donc bibliothécaire à Libreville, un quartier d’Armada, et elle apprend peu à peu à mieux connaître l’île et ses occupants. Elle comprend bientôt qu’un couple étrange règne sur ce lieu. On les appelle « les Amants », et ils ont la spécificité d’être couverts de cicatrices, de la tête aux pieds, leur amour gravitant autour d’un jeu de scarifications conjointement infligées. Ceci répugne d’ailleurs violemment Bellis. Leur bras droit, un certain Uther Dol, un guerrier hors pair, ne tarde pas à sympathiser avec elle. Pour des motifs qui n’apparaîtront qu’ultérieurement dans le cours du récit…

Car une grande partie des aventures de Bellis en Armada va consister à démêler les fils des intrigues tissées par les divers camps en présence. Les Amants ont en effet un projet fou : faire tracter l’île par un monstre sous-marin originaire d’une autre dimension - « l’Advanç ». Seul un mastodonte de cette force pourra les emmener, eux et leurs compatriotes, vers le but ultime de leur quête, qu’ils se garderont bien de révéler de façon précoce…

La richesse du monde créé par China Miéville est stupéfiante. Bas-Lag défie les classifications traditionnelles. Il s’agit essentiellement d’un univers de « fantasy », certes, mais on y dénote une forte pointe de « steampunk ». La thaumaturgie est omniprésente, mais elle se trouve flanquée de toute une série de machines à vapeur, de plateformes minières, de rouages hydrauliques. Il est question de passages dimensionnels, mais on remarque des touches de science-fiction dans le texte.

Bref, le lecteur est constamment déstabilisé dans ses attentes, sans pour autant que le patchwork ainsi produit soit disharmonieux. Il s’agit même de féliciter la cohérence d’ensemble de ce tout qu’est parvenu à élaborer l’auteur britannique. Le résultat est on ne peut plus crédible.

Certains se plaindront peut-être de l’épaisseur de l’ouvrage, qui couvre tout de même 850 pages. Si le récit aurait probablement pu gagner en dynamisme et en « punch » à certains moments avec un léger écrémage, on ne peut toutefois pas dire qu’il traîne en longueur. Le pavé que nous tenons dans les mains ne relève pas du remplissage de pages blanches, mais bien plutôt du bouillonnement créatif qu’il aurait été fort dommage de ne pas exploiter jusqu’à la dernière goutte.

« Les Scarifiés » constitue donc un roman chaudement recommandé, un univers-livre au sein duquel il est bon de s’évader. Et ce d’autant plus que Miéville, s’il n’oublie pas de nous divertir, en profite pour traiter certaines questions plus « sociales » telles que les raisons qui motivent notre fidélité envers tel ou tel Etat, le type de gouvernement qu’il est préférable d’adopter, le besoin de liberté de tout être humain…

Une indéniable réussite.

China Miéville, Les Scarifiés, traduit de l’anglais par Nathalie Mège, 852 p., Pocket

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