The City and The City

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Ce roman est un livre bizarre, puisqu’il mélange une intrigue policière, un « mystery tale » à la manière de Raymond Chandler, avec une intrigue de pure SF sur des mondes presque parallèles, mais en fait enchevêtrés. Il s’agit d’une enquête qui se déroule dans deux villes qui occupent le même territoire, parfois de manière totalement séparée, parfois en contact. Mais, après des siècles de conflits, les habitants de ces villes, Beszel et Ul Qoma, ont organisé des mondes séparés et ont interdit les interférences ou ruptures, plus ou moins graves, qui se produisent quand les rencontres ne peuvent être évitées... D’ailleurs une organisation spéciale a été installée pour intervenir en cas de besoin, et faire disparaître à jamais tous ceux qui ont « rompu », et qui n’ont plus place dans aucune des deux villes.

Le narrateur du roman est l’inspecteur Tyador Borlù, habitant de Beszel. Il assume totalement ces règles, il est capable d’« éviser », « inouïr » et « insentir » les perceptions interdites. Seulement le voici confronté à une enquête difficile : le cadavre retrouvé dans un terrain vague de sa ville est celui d’une jeune femme qui vivait à Ul Qoma, une étudiante venue des USA. Laquelle était connue et détestée par plusieurs groupes politiques des deux villes. Et certains membres du Conseil de Surveillance commun aux deux villes ne veulent pas que l’enquête atteigne la Rupture, qui en serait normalement chargée... La situation compliquée, aussi bien sur le plan topologique que sur le plan psychologique, est présentée avec talent par China Mieville. Mais je doute qu’un lecteur débutant, qui n’a pas l’habitude des « mondes parallèles » et de certaines complications de l’intrigue propres à une SF de niveau élevé, parviendra à accepter la cohérence et la virtuosité de ce roman, lesquelles sont indéniables, même si certaines questions sur l’étendue des deux territoires associés ou sur l’existence d’objets anciens aux propriétés physiques anormales restent ouvertes quand on veut réfléchir à la possibilité d’une telle situation. Mais rien à contester sur le talent mis à décrire comment cette situation intervient dans le développement de l’intrigue et de l’enquête.

Ce serait certainement trop simple de ne voir dans ce roman qu’une allégorie de la situation qu’on a vue dans des cités divisées. L’extrapolation va bien au delà d’une simple moyenne entre les cas existants dans le reste du monde, supposé être le nôtre. Beszel/Ul Qoma n’est pas seulement une métaphore de Berlin Est/Berlin Ouest ou de Jérusalem Ouest/Jérusalem Est ; les problèmes liés aux « tramages », à la Rupture, ne correspondent à rien de ce qu’ont pu connaître les habitants de villes divisées... Et les découvertes de l’inspecteur Borlù, tant sur le plan de l’enquête que sur ceux de la réalité qui est entre les deux villes et sur sa propre vision du monde, ne sauraient symboliser une vérité commune aux villes divisées de notre monde.

Déjà le vocabulaire indispensable, et bien adapté par la traductrice, avec lequel s’exprime le narrateur, crée ce hiatus qui sépare totalement le roman de toute réalité qu’il aurait pu évoquer, comme des modèles cités.

Et, loin de proposer une solution applicable aux dits modèles, le roman raconte comment le narrateur va trouver une nouvelle place dans le monde où il vit.

Un excellent roman donc, même pour un lecteur comme moi qui n’a pas vraiment le goût des polars mais un roman qui, à mon avis, demande au lecteur une certaine capacité à imaginer une réalité différente, un minimum d’habitude de la fiction spéculative...

Bref un roman écrit au 85° étage de la tour SF dont le rez-de-chaussée et les fondations remontent à 1926 et avant, et qui s’accroît d’un étage chaque année par les nouveaux romans qui utilisent les acquis bâtis par les romans précédents. Et dans lequel on ne saurait rentrer directement par la fenêtre, sans avoir escaladé les étages antérieurs...

Si vous êtes un habitant de longue date de la tour, vous devriez, comme moi, apprécier cette nouvelle salle, fort bien garnie...

The City and The City de China Mieville, traduit par Nathalie Mège, Fleuve Noir 2011, 396 p., couv. Marc Bruckert.

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