Lilliputia
Haut les coeurs pour le petit peuple !
Emerveillante et terrifiante histoire que celle que nous conte Xavier Mauméjean ! Celle de Lilliputia, la cité des Lilliputiens au cœur du parc d’attraction de Dreamland.
L’auteur part d’une histoire vraie. La création d’un des premiers parcs d’attractions sur l’Isle de Coney Island (du temps de Barnum et autres parades) où plusieurs parcs se disputent les faveurs des visiteurs : Luna Park, Dreamland et Steeplechase Park. Ces parcs seront surclassés plus tard par Disneyland. Mais c’est déjà le formatage du plaisir à l’aune des curiosités les plus malsaines, du voyeurisme et du sensationnel.
De cette histoire vraie et de ses déboires, multiples incidents et incendies , Xavier Mauméjean jouant la règle du jeu de la collection « Interstices » de Calman-lévy déplace le curseur de la réalité vers le fantastique.
Si vous avez vu le film « Freaks, la monstrueuse parade » réalisée en 1932 par Tod Browning, vous savez déjà que la réalité déborde la fiction. Aussi Xavier Mauméjean nous fait rentrer dans un univers fantastique subrepticement.
Xavier Mauméjean nous raconte l’histoire d’Elcana, une petite personne originaire d’Europe de l’Est, littéralement raflée par les organisateurs du parc pour compléter les effectifs de leur monstrueux projet : donner à voir en transparence, une cité en modèle réduit peuplée de trois cent nains venus du monde entier. Des nains qu’on dit « harmonieux » pour la simple raison que leurs proportions sont celles de personnes dites normales.
Mais les héros de cette histoire sont bien plus grands que leur taille. Ils ont le cœur et l’âme de géants. Si Elcana ne sentait battre dans son cœur que la violence induite par le regard des autres, son internement dans le parc, en lui faisant découvrir l’amour, va décupler ses forces. Il entre en résistance.
Dans la ville minuscule, tout est organisé pour le plaisir des spectateurs. Pour les acteurs involontaires pour la plupart mais dont la destinée n’est guère plus prometteuse à l’extérieur, ce pourquoi ils se résignent à cet emprisonnement : ils n’ont pas le choix, ils subissent. Pas le choix du métier à exercer, pas le choix d’aimer qui ils veulent aimer, ni d’avoir des enfants… Ils doivent se donner en spectacle. Ils sont le spectacle.
Ainsi la compagnie des pompiers doit éteindre des incendies allumés par eux-mêmes pour divertir le public. (Ceci est vrai de vrai)
Xavier Mauméjean aurait pu nous rendre « voyeur » à notre tour d’une histoire monstrueuse, mais son talent d’écriture nous embarque dans une parabole, une légende. C’est superbement écrit et on savoure les mots.
Petit à petit, Elcana agrandit son cœur en plantant ses yeux dans ceux de son amoureuse, Frances, dont la personnalité est complexe et multiple. Une femme à deux visages. D’autres personnages dévoilent peu à peu leur histoire et leur destin.
Xavier Mauméjean tisse ensemble des légendes de la vieille Europe et les légendes du nouveau monde.
Le fonctionnement du parc est décrit dans ses menus détails. Les organisateurs ont prévu tous les aspects de la miniaturisation d’une société avec ses riches, ses pauvres, ses voleurs, ses profiteurs… Mais le feu de la justice couve chez les pompiers.
Souvent on pense que dans cette cité miniature du début du XXe siècle, on expérimente le formatage d’une société dont tous les rouages doivent tourner sans grincer. On comprend vite que les monstres sont les horribles propriétaires.
« Dreamland était un laboratoire où l’on testait le XXe siècle ».
Et du XXe siècle, Dreamland expérimente le pire : les rafles d’individus, l’eugénisme, l’internement de personnes, le libéralisme à outrance...
« Dreamland » ressemble bien plus au pays de l’enfer qu’à celui des rêves.
A lire absolument parce que les légendes en disent plus long sur l’histoire vraie que les livres d’histoires. Fascinante lecture !
Lilliputia de Xavier Mauméjean, 456 p., Calmann-Levy