Les privés
Le privé est sans aucun doute un personnage mythique dans le polar. Il représente à la fois la loi, tout en étant marginal. C’est peut-être cette alchimie subtile, ce côté atypique, qui le rend sympathique, voire populaire.
Le plus célèbre d’entre eux Sherlock Holmes, né de l’imagination de Sir Arthur Conan Doyle, rentre bien dans ces critères. C’est un personnage original, un brin loufoque, ne crachant sur quelques substances dites illicites, entre deux coups d’archet, il démêle d’inextricables énigmes, en insistant sur le côté élémentaire des choses de la vie, qu’il partage avec son vieux complice Watson.
Un peu plus conservateur et discipliné, est le plus British des détectives belges, en l’occurrence Hercule Poirot, né, lui, de la plume, ou plutôt de l’Underwood de la romancière Agatha Christie.
Avec Raymond Chandler et son Phil Marlow, nous entrons dans l’ère et l’ambiance du roman noir. Les lieux vibrent autant que les intrigues et les personnages ; on prend le pouls d’une société, en suivant les pas d’un privé en imper et chapeau mou. Humphrey Bogard, dit Boggy, a donné pour l’éternité un visage à Marlow, et on l’accompagne depuis, dans les histoires tarabiscotées dont Chandler avait le secret.
Le prolifique et habile Léon Malet, a sans doute voulu créer un pendant hexagonal aux privés des romans noirs à l’américaine, un Phil Marlow parigot, en façonnant Nestor Burma. Mais au final, il est allé bien plus loin que cela, a fait beaucoup mieux, avec ses nouveaux mystères de Paris : une affaire et des plus alambiquées par arrondissement, avec des personnages hauts en couleur, pour des intrigues à la mesure des ambiances. Le personnage de ce vieil anar à l’haleine de fumeur de pipe qu’était Malet s’est envolé depuis, et on le retrouve même sous les traits du crooner Guy Marchand. Ce n’est pas vraiment ainsi que Tardi avait envisagé les événement lorsqu’il s’était accaparé du personnage pour mettre les romans en BD, mais qu’importe, longue vie à Nestor !
Le pape du néo-polar, Jean-Patrick Manchette, a lui carrément choisi un ancien gendarme, pour donner vie à son privé, Eugène Tarpon. Sans doute que pour celui qui fut un « situationniste », c’était une sorte de pied de nez adressé au système et à diverses institutions. D’autant que son ancien gendarme est à la limite du surréalisme dans ses différentes réactions, tout comme les intrigues de Manchette sont des florilèges en matière de situations décalées.
Mais le privé des roman n’est-il pas un peu trop romanesque, voire un soupçon romantique ? Le privé, c’est d’abord l’homme des filatures, des dames qu’il faut réussir à photographier dans le lit de leurs amants. Pas de quoi faire des polars à vous tenir en haleine une nuit entière tout ça ! Mais bon, il y a des compromis. Dans les romans, les filatures et compagnie sont en arrière-plan. C’est l’alimentaire du privé qui lui œuvre dans le grand art, pour la cause du roman noir.
Tiens, une anecdote maintenant. Il y a environ 20 ans, j’avais demandé de la doc à l’école de détectives de Bruxelles. Je l’ai reçue, et je l’ai toujours bien au chaud dans mon tiroir. Qui sait si un nouveau Marlow ne va pas surgir un jour ?
Pour ce thème :
« Le chien des Baskerville » de Arthur Conan Doyle - Pocket.
« ABC contre Hercule Poirot » d’Agatha Christie. Le Livre de Poche.
« Le grand sommeil » de Raymond Chandler - Folio.
La BD « Brouillard au pont de Tolbiac », d’après le roman de Léo Malet, dessin de Tardi - Casterman.
« Que d’os ! » de Jean-Patrick Manchette - Folio.
Juin 2007