Les polars politiques

Le polar est souvent le reflet d’une société. Il la pénètre et de ce fait, son impact social est évident. Du social au politique, il y a peu, ce que beaucoup de romans noirs américains ont prouvé. Mais dans le genre, les polars français ne sont pas aux abonnés absents, et les preuves ne manquent pas.


Ainsi, Jean-Patrick Manchette avec « L’affaire N’Gustro », remonte-t-il à la surface, une autre affaire, bien réelle celle-là : l’affaire Ben Barka. En octobre 1965, est enlevé, en plein Paris, l’opposant marocain Mehdi Ben Barka. Collusion avec la police et les services secrets français ? Affaire d’État ? 40 ans après les faits, des zones d’ombre demeurent, et Ben Barka n’a jamais été retrouvé. À Manchette et son roman d’explorer les pistes. Le polar joue à plein son rôle d’empêcheur de penser en rond.


Il en est de même de Didier Daeninckx avec « Meurtre pour mémoire ». Toujours en octobre, mais 1961 cette fois, et plus précisément le 17, en pleine guerre d’Algérie, une manifestation pacifique d’Algériens à Paris est violemment réprimée par les forces de l‘ordre. Les médias et les officiels de l’époque feront état de quelques victimes. L’Histoire en retiendra bien plus. Je pense sincèrement que le roman de Daeninckx peut être considéré comme une référence pour ce qui est des événements du 17 octobre 1961, et je me demande même s’il n’a pas contribué à les extraire d’un passé où l’on aurait bien aimé les laisser se faire oublier. Subversif le polar ? En tout cas fort utile pour ce qui est de l’effort de mémoire.

« Avec du passé faisons table rase », Thierry Jonquet met en exergue un épisode quelque peu brouillé de l’histoire du Parti communiste français, et plus particulièrement de celle de l’un de ses secrétaires généraux. Le roman est rondement ficelé, sous forme d’un thriller haletant, historiquement documenté : une histoire qui se tient, un imbroglio dans les méandres du marxisme-léninisme hexagonal.


Avec son film « Z », Costa-Gavras réalise un thriller politique exemplaire. _ L’action se situe dans un pays du bassin méditerranéen, et il est facile de reconnaître le putsch des colonels qui a entraîné, en 1967, la Grèce dans la dictature d’un régime fasciste qui a duré jusqu’en 1973. L’interprétation de Yves Montand, très friand d’un cinéma engagé, mais aussi celle de Jean-Louis Trintignant dans le rôle d’un juge d’instruction, donnent une dimension supplémentaire au film.


Bien sûr, il est connu que Manchette, Jonquet et même Daeninckx ont fait partie de ce que l’on a appelé le néo-polar, qui était un mouvement littéraire engagé politiquement. Il est également vrai que ces trois écrivains étaient des militants. Mais d’une manière générale, il n’est pas étonnant que le polar se mêle de politique, puisqu’il explore le tréfonds des êtres humains, et met en évidence moult ressorts psychologiques. À partir de là, il souligne le fonctionnement d’une société et de ce qui la régit. En tout cas, lorsqu’il se mêle de politique, il a plutôt tendance à aller gratter là où ça démange, de ne pas faire spécialement dans le consensus, en un mot, de ne pas être forcément politiquement correct.
Impertinent, voire trublion, le polar joue pleinement son rôle de révélateur, remplit sa mission qui consiste à être au plus près des gens et de leurs préoccupations, quand ce n’est pas de leurs problèmes.

Pour ce thème :

- « L’affaire N’Gustro » de Jean-Patrick Manchette - Folio.

- « Meurtre pour mémoire » de Didier Daeninckx - Folio.

- « Du passé faisons table rase » de Thierry Jonquet - Babel.

- Le DVD du film « Z » de Costa-Gavras. 

Juin 2007