Les corbeaux
Quand on évoque le mot « corbeau », on songe souvent très vite à « l’affaire Grégory » : un tragique fait divers dont le dénouement est maintenant peu probable.
Sans vouloir stigmatiser ce volatile que jadis notre cher La Fontaine sut rendre quelque peu ridicule, il est souvent associé au sordide, au glauque, lorsqu’il remplit la fonction qu’on lui a assignée, de déverser un poison lent et souvent mortel, par le biais de la calomnie, ou tout du moins de ce qui serait préférable de taire.
Ainsi, en 1943, dans son film intitulé tout simplement « Le corbeau », Henri-Georges Clouzot avait réuni tous les ingrédients de l’intrigue type : une petite ville de province, des lettres anonymes, des personnages pour la plupart soupçonnables, et bien sûr une victime. Car le corbeau, sans user de revolver, de poignard, ou même de poisons chimiques, parvient à tuer : un crime presque parfait, quand il ne l’est pas totalement.
Quarante-cinq ans plus tard, les procédés sont plus modernes, et dans le film d’Yves Boisset, « Radio Corbeau », c’est par le biais de ce média que le corbeau sévit. On y retrouve les recettes du film de Clouzot : bourgade provinciale, et bien sûr, la mise à nu des us et coutumes locales. Là encore, cela produira un suicide, le venin insidieux accomplissant son œuvre.
C’est également en 1988 que sortit le film d’Élisabeth Rappeneau, « Fréquence meurtre » avec Catherine Deneuve. Et c’est encore au moyen de la radio que le corbeau accomplit sa sinistre besogne. Là, il s’agit d’une psychiatre qui anime une émission le soir sur une radio locale, et qui est soudain harcelée par un mystérieux auditeur qui fait allusion au meurtre de ses parents quelques années plus tôt. Après, tout va se précipiter, jusqu’au final…
Si ces films à base de corbeaux ont quelques ressemblances entre eux, c’est tout simplement parce qu’ils ont pour source une affaire bien réelle : celle du corbeau de Tulle. Cette préfecture de la France profonde a été de 1917 à 1922, victime d’une épidémie de lettres anonymes qui ont bien évidemment fini par faire une victime : un employé de la préfecture qui meurt au cours d’une crise de démence.
Jean-Yves Le Naouri a écrit un ouvrage très documenté sur cette affaire : « Le corbeau, histoire vraie d’une rumeur ».
Les histoire de corbeaux constituent certainement la face la plus noire des polars. Et en même temps, dans ce type de thème, l’imaginaire a souvent du fil à retordre avec le réel. Mais pourtant, il faut bien avouer que les fictions s’en tirent toujours bien concernant ces affaires bien sordides. Ne serait-ce pas alors que le polar qui serait noir, mais également l’âme humaine ? Il faut reconnaître que la vente effrénée de revues « people » ou même le succès de la presse dite « à sensation », peut donner un début de réponse. Mais de toute façon, compte tenu des technologies nouvelles et des progrès en tout genre, les corbeaux auront de plus en plus de mal à sévir. Alors, nous assisterons sans doute à la naissance d’autres malfaisances, si celles-ci n’ont pas déjà eu lieu.
Pour ce thème :
Le DVD du film « Le corbeau » de Henri-Georges Clouzot.
Le DVD du film « Radio corbeau » d’Yves Boisset.
Le DVD du film « Fréquence meurtre » d’Élisabeth Rappeneau.
« Le corbeau, histoire vraie d’une rumeur » de Jean-Yves Le Naouri - Hachette Littérature.
Juin 2007