Le dédoublement de personnalité

« Un ange ou un démon habite sous ma peau » chantait Alain Kahn, rocker dit « décadent », dans les années 70. C’est sans doute là la substantifique cause du dédoublement de personnalité.


Dans « M le maudit » le génial Fritz Lang explore en 1931 ce thème à sa manière. Si bien que selon l’esthétique du film, tout est dédoublé : les bourgeois de la ville qui ressemblent au criminel, les réunions de la police semblables à celles de la pègre, les ombres qui se confondent avec le meurtrier…Il y a un effet de miroir, jusqu’à la fin où « M », magistralement interprété par Peter Lorre, craque dans une parodie de justice organisée par la pègre, et met à nu sa part d’ombres pour parvenir à expliquer ses horribles pulsions.

Mais un classique du genre demeure le « Dr Jekyll et Mr Hyde » de Stevenson publié en 1886. Dans ce cas, c’est au moyen d’une substance, que le valeureux Dr Jekyll libère son âme noire personnifiée par Hyde. Ainsi, cette histoire tend à accréditer la thèse selon laquelle dans un même individu, cohabitent le bien et le mal. Le tout est de savoir qui va l’emporter sur l’autre. Dans ce cas précis, on connaît la réponse. Hyde, le double maléfique prend complètement possession de Jekyll, éliminant la part de lumière, au détriment de l’âme noire qui reste seule en piste, si je puis m’exprimer ainsi.


Il existe une version française de ce thème réalisée par Jean Renoir pour la télévision de la fin des années 50 : « Le testament du Dr Cordelier ». Celui-ci remplace le Jekyll de la version de Stevenson, et un certain Opale se substitue à Hyde. Pour le reste, cela a donné lieu à l’une des plus impressionnantes soirées de la RTF. Précédemment, j’avais évoqué « Belphégor » qui n’avait pas laissé indifférents les spectateurs de 1965, mais il faut reconnaître que Jean Renoir, avec cette version d’un classique du dédoublement de personnalité, les a franchement secoués.
Mais au moins c’était pour la bonne cause : leur servir, sur l’unique chaîne en fonction à l’époque, un grand classique du fantastique et les faire frémir. Le tout étant plutôt salutaire, et non pas tristement nocif comme les nullissimes « reality shows » plus navrants les uns que les autres.

D’ailleurs je vais me risquer à un petit aparté, en me demandant si les présentateurs de ces émissions ne sont pas victimes d’un dédoublement de personnalité, pour pouvoir s’adonner à de telles niaiseries tout en paraissant relativement contents d’eux-mêmes. Quelque part, ça les excuserait.


Je vais maintenant évoquer « La part de l’autre », le roman d’Eric-Emmanuel Schmitt paru en 2001.

Il s’agit là d’une parfaite uchronie traitant en même temps du dédoublement de personnalité.

On part du postulat qu’en octobre 1908, Hitler n’aurait pas été recalé de l’École des Beaux-Arts de Vienne. Alors, nous assistons en parallèle à l’existence de deux Hitler. D’un côté un artiste peintre renommé, de l’autre le sinistre dictateur que l’on connaît. Bien sûr, l’entreprise est osée mais très intéressante.

Avec ce dernier exemple, on peut se demander si deux âmes peuvent vraiment exister chez un même individu. Dans le cas d’Hitler, est-il possible d’imaginer une part de lumière ? Au regard de l’Histoire, on ne pourrait répondre que par non.

Et si l’on imagine que chacun a sa part de ténèbres, sommes-nous alors autorisés à supposer qu’il peut exister des individus entièrement bons, où seule la lumière prévaut ?

Tout aussi difficile à admettre. La complexité de l’Humain laisse bien des portes ouvertes, et bien des choses à écrire, à concevoir.

Sur ce thème :

- Le DVD de « M, le maudit » de Fritz Lang.

- « L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde » de Robert Louis Stevenson - toutes éditions disponibles.

- Le DVD du « Testament du Dr Cordelier » de Jean Renoir.

- « La part de l’autre » d’Eric-Emmanuel Schmitt - Le livre de poche.