La laisser partir par Cathy Bardy
Je ne me rappelle ni de ma vie de mortel, ni de ma mort. Mais je me souviens que j’aimais croire que nous avions tous un ange gardien qui veillait sur nous. Aussi, je n’ai pas hésité une seconde lorsque l’on m’a demandé de choisir entre une nouvelle vie de mortel et devenir un Ange.
J’ai d’abord commencé en tant que Veilleur. Ce sont des Anges qui observent plusieurs personnes et repèrent ceux susceptibles de devenir à leur tour un Ange. Je me souviendrai toujours de cette famille, au début des années 1800. À cette époque, on s’éclairait encore aux bougies. Je ne peux dire avec précision combien de fois j’ai dû en éteindre moi-même pour leur éviter l’incendie.
Puis, en 1942, j’ai repéré ce garçon, Thomas. C’était plus qu’une simple intuition : ce gamin de neuf ans semblait briller tant il me paraissait fait pour être un Ange. J’en ai parlé à mon Guide, un Ange dont la mission est d’aider les autres à accomplir leur devoir correctement. Il m’avait alors adressé un grand sourire, et je m’étais senti fier. Et plus encore quand il me proposa de devenir l’Ange Gardien de Thomas. C’est ainsi que j’ai monté de grade et que je devins ce que je suis aujourd’hui.
Au début, je faisais tout pour être irréprochable. Jusqu’à ce jour fatidique. Thomas s’apprêtait à partir pour les vacances avec des amis. Mais je savais ce qui allait arriver. Et je n’avais qu’une envie : l’empêcher à tout prix de partir. Alors, je lui avais chuchoté à l’oreille, telle une bonne conscience, qu’il devrait rester chez lui, avec ses parents. C’était la première fois que j’enfreignais les règles.
— Tu le sais, pourtant : il y a des événements sur lesquels nous ne devons pas interférer. Si tu n’es pas capable de comprendre ça, c’est que tu n’es pas fait pour être Gardien.
Dimitri, mon nouveau Guide, avait alors renforcé l’idée d’origine de Thomas pour qu’il monte dans cette voiture, comme prévu. Je me sentis affreusement coupable quand l’accident eut lieu, privant mon protégé de ses amis et de l’usage de ses jambes. Mais je devais faire mes preuves, et je n’avais pas mon mot à dire. Même si je trouvais cela injuste, tout sentiment affectif pour notre protégé était interdit.
Je fus finalement presque soulagé lorsque, quelques années plus tard, Thomas rendit son dernier souffle. Savoir qu’il avait accepté de devenir Veilleur me libéra d’une partie de ma culpabilité.
Actuellement, je m’occupe de Lena. C’est une jeune femme de vingt-six ans aux longs cheveux roux bouclés. Ses yeux noisette ont cette petite étincelle de joie de vivre et ses lèvres roses ont toujours le sourire. Elle ne mesure qu’un mètre cinquante-cinq, ce qui lui vaut parfois des situations cocasses. Comme ce jour où j’ai une nouvelle fois enfreint une règle.
Lena faisait des courses. L’agencement du magasin avait été légèrement modifié. De ce fait, le paquet de pâtes qu’elle prenait habituellement était trop haut pour elle. Je l’ai vue tenter pendant plusieurs minutes d’en attraper un, amusé. Elle aurait pu essayer de grimper sur le rayonnage le plus bas pour se donner les quelques centimètres qu’il lui manquait. Mais je savais qu’elle avait bien trop peur de casser quelque chose pour cela. Alors, je n’ai pas réfléchi et, me rendant visible, je me suis approché.
— Vous avez besoin d’aide, mademoiselle ?
Elle se tourna vers moi, me regardant avec étonnement. Il est vrai que mon physique n’est pas vraiment passe partout. Grand – presque deux mètres –, les cheveux noirs tombant sur les épaules, les yeux vert pomme et plutôt maigrelet. J’avais néanmoins fait l’effort de troquer ma chemise bouffante blanche d’époque contre un simple t-shirt noir aux motifs rouges abstraits. Je savais qu’avec mon jean noir – qui remplaçait évidemment un pantalon en coton du XVIIIe siècle – j’avais plutôt l’air d’un jeune fan de rock. Mais ce n’était pas pour me déplaire.
— Oui, finit-elle par répondre avec un sourire. J’aimerais prendre ce paquet, mais il est trop haut.
Je tendis le bras et attrapai le sachet de pâtes qu’elle m’indiquait avant de le lui donner. Elle me remercia avec un nouveau sourire. Je m’apprêtais à repartir quand elle me retint.
— Pourrais-je au moins savoir votre nom ?
— Gabriel, lui répondis-je en lui rendant son sourire.
Oui, je sais, Gabriel, ça fait cliché pour un ange. Mais ce n’est pas moi qui l’ai choisi. J’ai gardé le nom que mes parents m’avaient donné dans ma dernière vie. Une des rares choses qu’on n’oublie pas lors de notre trépas.
Suite à cet épisode, Dimitri m’avait plus ou moins remonté les bretelles, encore une fois. J’avais pris un risque inutile en me montrant à elle. J’aurais pu tout simplement faire tomber l’article. Des dizaines d’objets tombent partout dans le monde sans raison. Les mortels se posent généralement des questions pendant deux minutes avant de hausser les épaules et de retourner à leurs occupations.
Je promis donc à Dimitri de faire plus attention à l’avenir. Et c’est ce que je fis. Pendant un temps, du moins. Quand Lena allait traverser sans avoir regardé au préalable si une voiture arrivait, je le lui rappelais à l’oreille. Lorsqu’elle était trop distraite dans sa conduite, je la rappelais à l’ordre. Ou encore, quand elle s’apprêtait à sortir sans écharpe, alors qu’il faisait froid, je faisais tomber l’étoffe à ses pieds. Je me suis rendu compte, au fil du temps, qu’elle était plutôt tête en l’air. Mais cela ne la rendait que plus adorable. Cette pensée affectueuse pour elle fut probablement la première d’une longue série qui amorça ma déchéance.
Pendant les semaines qui suivirent, je dus me faire violence plus d’une fois pour tenir ma promesse. Au moins une fois par jour, je me surprenais avec l’envie d’apparaître à nouveau devant elle, sans raison particulière, juste pour discuter. Je trouvais cela triste que la relation entre un Gardien et ses protégés ne soit qu’à sens unique. J’aurais aimé pouvoir faire davantage, comme la réconforter d’une étreinte lorsqu’elle se sentait seule ou être son confident. Mais tout cela m’était interdit. Je me contentai donc de lui souffler des pensées positives et de la regarder sourire.
Cette période sereine dura environ deux mois. Puis, Lena rencontra un homme. J’aurais pu me réjouir pour elle. Elle semblait heureuse et il la faisait rire. Mais j’avais un mauvais pressentiment. Et je sus rapidement pourquoi : il allait lui briser le cœur. Son seul objectif était d’ajouter la jeune femme à son tableau de chasse. Et j’étais censé laisser cela arriver sans broncher. Mais j’en fus incapable. Avec du recul, j’aurais peut-être pu me rendre compte que c’était plus de la jalousie qu’une simple compassion pour une fille que je devais protéger et qui allait connaître un chagrin d’amour. Mais je n’en étais pas encore là.
Le soir où Lena s’était décidée à sauter le pas avec son petit ami, j’ai suggéré à Lena de ne pas le faire. J’ai insinué le doute dans son esprit, la sommant de se méfier de cet homme. À tel point qu’elle finit par m’écouter et refuser finalement de passer à l’acte. Ce changement d’avis mis très en colère l’homme et la dispute éclata avant qu’il ne se mette à la frapper. Sans réfléchir, j’apparus pour arrêter son poing.
— Gabriel ? fit la rousse, les yeux écarquillés et ses lèvres formant un « o » parfait.
Mais je ne m’en souciai pas. Tout ce qui m’importait était d’éloigner ce danger de ma protégée. Alors, je disparus avec lui, pour réapparaître sur le toit.
— Putain, mais t’es qui, toi, connard ?! demanda-t-il avec une voix où se mélangeaient la colère et la peur.
— Je suis celui qui t’empêchera de lui faire du mal. Pars d’ici et ne reviens jamais. N’essaie même pas de la revoir, par quelque moyen que ce soit. Ou je te ferai regretter d’être né.
Pour appuyer mes dires, je le saisis à deux mains par le col et le poussai au bord du vide. J’étais peut-être moins baraqué que lui, mais j’étais plus grand et l’effet de surprise jouait clairement en ma faveur. Ma condition d’Ange Gardien aussi, je l’avoue.
— T’as compris ? demandai-je pour être sûr que nous étions sur la même longueur d’onde.
Il hocha frénétiquement la tête. Aussi, je le lâchai et il partit en courant, comme s’il avait le diable à ses trousses. Je restai là un moment, vérifiant qu’il était bien sorti du bâtiment.
— Gabriel ?
Oh, non ! Je me retournai en entendant la voix de Dimitri, prenant conscience de ce que je venais de faire. J’avais enfreint toutes nos règles en intervenant : non seulement j’avais empêché un événement d’arriver alors qu’il était bel et bien prévu, mais, en plus, j’avais montré mes pouvoirs d’Ange à des mortels. Ses yeux bleus, durs et froids, semblaient clairement dire « Tu vas regretter d’être encore intervenu ». Bien qu’il ait l’apparence d’un sexagénaire, je savais qu’il ne fallait pas le sous-estimer. S’il lui prenait l’envie de me mettre une raclée, il en était parfaitement capable. Oui, les anges aussi peuvent avoir mal physiquement.
— Je t’avais dit de ne plus intervenir. Tu as désobéi et mis en péril notre équilibre. J’ai déjà pris les mesures pour que leurs mémoires soient altérées. En ce qui te concerne, tu es suspendu de tes fonctions. Lorrine prendra ta place d’Ange Gardien auprès de ta protégée, en attendant que tu sois jugé par le conseil.
Un sentiment d’effroi me submergea à l’entente de ces mots. Je ne savais même pas que nous avions un conseil et encore moins à quoi il servait !
— Le conseil ? C’est quoi ? Que risque-t-il de m’arriver ?
— Ce sont des Anges Supérieurs qui ont pour mission de maintenir notre équilibre et de faire respecter nos lois. Quant au reste, tu le sauras bien assez tôt. Pour l’heure, tu as interdiction de t’approcher de cette mortelle. Ne m’oblige pas à t’enfermer jusqu’à ce que le conseil rende son verdict.
J’opinai de la tête, incapable de prononcer une parole. J’étais sous le choc. Allais-je perdre mes ailes ? Bien sûr, je n’en avais pas à proprement parler. Mais c’était ainsi qu’on parlait de notre appartenance aux Anges et des pouvoirs que cela nous conférait. J’avais déjà entendu parler d’Anges rétrogradés au rang de Veilleur. Cela arrivait assez fréquemment. Et c’était déjà ce qui me pendait au nez quand j’étais apparu devant Lena la première fois. Mais là, ma faute était, de toute évidence, beaucoup plus grave. Les anges qui perdent leurs ailes sont très rares, presque un mythe.
Après d’interminables minutes où je ne bougeais toujours pas, les yeux fixés au sol, mon Guide s’approcha et posa une main sur mon épaule. En relevant les yeux vers lui, je constatai qu’il avait perdu son air distant et accusateur pour revêtir celui de la compassion. Et de la déception aussi. Sans doute le plus difficile à voir.
— Gabriel, pourquoi ne m’as-tu pas écouté ?
— Parce que je trouve ça profondément injuste que cette femme soit blessée alors que je pouvais l’empêcher ! N’avez-vous jamais été révolté de laisser quelque chose de cruel arriver à quelqu’un sous prétexte que ça le rendrait soi-disant meilleur ? Quand j’ai vu Thomas souffrir toutes ces années de ce qu’il lui était arrivé, je m’en suis voulu. Je n’avais pas envie de ressentir la même chose avec Lena.
— Ce n’est pas nous qui décidons, Gabriel. Et surtout pas sur un coup de tête. Tout arrive pour une bonne raison.
Il fit une pause, comme s’il hésitait à poursuivre et à me donner le fond de sa pensée.
— Aimes-tu cette mortelle, pour t’être mis ainsi en danger pour elle ? Que dis-je ? Pour nous avoir tous mis en danger en ne faisant preuve d’aucune prudence !
Mes yeux s’agrandirent de stupeur. Est-ce que j’aimais Lena ? Voilà bien une question à laquelle il m’était impossible de répondre en cet instant. Bien sûr, je m’étais attaché à elle. Mais je savais que par « aimer », mon Guide ne parlait pas d’une simple affection. Et comment savoir si c’était plus, alors que l’on m’avait bourré le crâne depuis près de trois siècles avec la règle qui interdit tout sentiment d’attachement à un Mortel ? Dimitri dut le comprendre, car il n’insista pas. En revanche, il me répéta de ne pas m’approcher de Lena.
— Je viendrai te voir d’ici quelques jours pour t’annoncer la décision du conseil.
Les jours suivants, j’errai dans les rues de la ville, telle une âme en peine. Un Ange Gardien sans protégé, c’est comme un écrivain sans inspiration. J’avais l’impression d’être inutile et les journées me semblaient interminables. Au début, j’avais continué d’observer Lena, de loin évidemment. Mais Lorrine m’avait rapidement fait comprendre de prendre davantage mes distances. Même seulement la voir ne m’était plus autorisé. Sans son sourire, mes journées me semblaient tellement moroses.
Au milieu du cinquième jour, Dimitri vint enfin me voir.
— Gabriel, le conseil a décidé de ton sort.
J’attendais que la sentence tombe, trépignant sur place, anxieux à l’idée de perdre mes ailes. J’avais mis tant de temps à arriver où j’étais. Plus de deux siècles pour devenir un Gardien. J’avais le sentiment que l’opportunité ne se représenterait plus et que j’avais eu là ma seule et unique chance.
— Aimerais-tu rester près de cette Mortelle ?
Je n’osais croire en ma chance. Est-ce que le conseil avait été assez indulgent pour me permettre de reprendre mes fonctions d’Ange Gardien auprès de Lena ?
— Bien sûr, répondis-je avec enthousiasme.
— Si c’est ce que tu souhaites, ils sont d’accord pour te renvoyer auprès d’elle. En tant que Mortel. Pour être plus clair, ils te laissent choisir entre elle et tes ailes.
Enthousiasme qui disparut instantanément. Ce choix était une torture. Ces cinq jours sans Lena m’avaient paru tellement longs et tristes. J’aimais la voir sourire, la voir rire, la voir tout court. Ou encore l’aider à se rappeler des petites choses bêtes, comme regarder devant quand elle marche, pour éviter le poteau sur son chemin. J’aimais aussi emprisonner ses mains des miennes, invisibles à ses yeux, pour les réchauffer. Mais mes ailes… Cela m’avait demandé tant d’efforts pour arriver où j’en étais.
— Si je décide de garder mes ailes, que se passera-t-il ? demandai-je, presque dans un murmure.
— Alors, tu ne devras plus jamais avoir le moindre contact avec elle. Tu auras un nouveau protégé, loin d’ici, et surtout, loin de cette Mortelle.
Quel choix cruel on m’offrait. D’un côté, on m’autorisait à vivre aux côtés de Lena, mais je perdrais alors tous mes souvenirs en tant qu’Ange et n’aurai certainement plus la possibilité d’en redevenir un. De l’autre, je pouvais reprendre ma mission de Gardien, mais avec un autre protégé. Le sacrifice de mes ailes valait-il la peine ? Après tout, même si je connaissais bien Lena, elle ne m’avait vu que deux fois. Je pouvais toujours accepter d’avoir de l’affection pour elle, voire de l’aimer, la réciproque n’était pas forcément vraie. Le risque était trop grand.
— Je choisis de garder mes ailes, finis-je par dire après de longues minutes à tergiverser.
— Bien. Tu as fait le bon choix, Gabriel, me répondit mon Guide avec un sourire, avant de disparaître, probablement pour faire part de ma décision.
— J’espère…
Dans l’heure qui suivit, je fus amené à mon nouveau protégé, un jeune homme de vingt-et-un ans. Il s’appelait David et j’appris rapidement à le connaître. Il jouait de la guitare et chantait pendant son temps libre, donnant régulièrement des concerts de rue ou des représentations dans de petits cafés. Il ne gagnait pas beaucoup d’argent avec ça, mais ça lui permettait d’arrondir ses fins de mois pour ses études, en plus de sa bourse. C’était un jeune homme gentil et plutôt timide quand il n’avait pas sa guitare dans les mains.
Cela faisait presque une semaine que j’étais devenu son Gardien. Pour être honnête, je m’ennuyais ferme. Ce garçon n’avait pas vraiment besoin d’un Gardien, de mon point de vue. Je lui avais évité une fois de rater une marche. Quel exploit ! J’en étais même venu à me dire que j’aurais sans doute dû le laisser trébucher. Cela aurait peut-être égayé un peu ma morne existence pour quelques minutes. Lena et sa bonne humeur me manquaient terriblement.
J’avais suivi David dans un bar à quelques rues de son appartement. J’avais décidé de me montrer pour boire un verre et je regrettais presque que l’alcool n’ait aucun effet sur moi. Puis, il se mit à jouer. D’habitude, je faisais à peine attention aux chansons qu’il reprenait. Mais celle-ci m’interpella. Comme si elle m’était destinée. Si je l’avais déjà vaguement entendue, c’était la première fois que je prenais le temps d’écouter réellement les paroles. Let her go de Passenger. J’avais presque l’impression qu’elle avait été écrite pour moi, à mon intention. Le message principal étant qu’on ne se rend compte que l’on tient vraiment à quelque chose qu’après l’avoir perdu.
Ce fut là que je me rendis compte de mon erreur. J’avais laissé Lena partir, sortir totalement de ma vie. Et cela me rendait véritablement malheureux. Comment avais-je pu penser que mes ailes étaient plus importantes qu’elle ? Même si mon amour n’était pas réciproque, être auprès d’elle me suffirait. C’était tout ce qui comptait. Je voulais la protéger. Elle et personne d’autre. Que ce soit en tant qu’Ange ou Mortel, cela m’était égal, au fond.
Je sortis en trombe du bar et me postai en haut d’un immeuble.
— Dimitri ! Dimitri, s’il vous plait, je dois vous parler !
— Cesse de crier. J’ai beau avoir l’air d’un vieux, je ne suis pas sourd.
Sans me soucier de son bougonnement, je le pris par les épaules, le secouant légèrement, ce qui me valut quelques protestations agacées.
— Ramenez-moi auprès d’elle. J’ai changé d’avis.
— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?
— Je me fiche de ne plus être un Ange. Tout ce que je veux, c’est être avec d’elle. Et je n’ai pas besoin de mes ailes pour la protéger.
Il me regarda, un air étonné ancré sur ses traits. Il ne comprenait visiblement pas que je puisse préférer une Mortelle à ma condition actuelle.
— Gabriel, tu ne sais pas ce que tu dis.
— Si, je sais parfaitement. J’ai bien réfléchi. Et je ne changerai plus d’avis.
— Ça, y a aucun risque, si on te coupe les ailes ! dit-il avec un petit rire amer. Mais ce n’est pas aussi simple, tu ne peux pas changer d’avis comme ça.
— Vraiment ? Dimitri, vous savez que je n’hésiterai pas à désobéir à nouveau, quitte à révéler l’existence des Anges au monde entier, s’il le faut.
Cette fois, il semblait choqué, les yeux agrandis par la terreur, imaginant sans doute ce que j’étais capable de faire pour arriver à mes fins. Je suppose qu’il n’était pas habituel qu’un Ange fasse de telles menaces pour redevenir Mortel. Puis, il parut finalement résigné.
— Es-tu vraiment sûr que cette Mortelle vaut un tel sacrifice ? Tu oublieras tout d’ici. Tu ne te souviendras pas d’avoir été son Gardien. Tu ne la connaîtras pas plus qu’elle ne te connaît. Tu auras tout juste un béguin à cause de cette rencontre dans le supermarché.
— J’en suis sûr. Ramenez-moi à elle. Je vous en prie.
S’il avait pu tomber amoureux d’elle une fois, nul doute que cela arriverait de nouveau. Dimitri ferma les yeux et poussa un soupir à fendre l’âme. Je me fichais qu’il me prenne pour un fou. Pour moi, je venais de faire le bon choix.
— Très bien. Comme tu voudras. Ta mémoire sera modifiée de sorte que tu ne te rappelleras rien des Anges, comme si tu avais réellement vécu ces trente dernières années en tant que Mortel.
J’eus à peine le temps de songer que perdre mes ailes n’était pas aussi douloureux que je m’y attendais avant de sombrer dans l’inconscience. Je me réveillai dans mon lit, chez moi, avec l’impression d’avoir fait un étrange rêve dont le souvenir m’était inaccessible.
Après un bon café, je constatai que mon frigo était presque vide et je me rendis donc au supermarché du coin. En arrivant dans le rayon des pâtes, je reconnus la jeune femme que j’avais aidée la dernière fois. Lena… Comment aurais-je pu oublier un tel sourire ? Elle essayait encore d’attraper un paquet trop haut pour elle. Je m’approchai, tendis le bras et pris l’article pour ensuite le lui donner.
— Il semblerait que ces pâtes n’aient pas envie que vous les mangiez, dis-je.
Elle se mit à rire et j’eus la sensation que c’était le plus beau son que j’avais eu l’occasion d’entendre. J’étais sûr de ne jamais pouvoir m’en lasser. Nous échangeâmes nos numéros pour rester en contact.
Les jours qui suivirent, nous avons beaucoup discuté. Par écrit et de vive voix. Elle était drôle, et j’étais vraiment tombé amoureux de son rire. Nous fîmes quelques sorties au parc, au restaurant, et même à une fête foraine où je lui gagnai un lapin en peluche.
Nous avions rendez-vous à vingt heures ce soir-là pour un énième rendez-vous, mais j’étais arrivé avec un quart d’heure d’avance. J’attendais patiemment quand une musique particulière se mit en route. Sans comprendre pourquoi, elle me parlait. Je la reconnus sans mal : Let her go de Passenger. Peu après, Lena entra dans le bar et me rejoignit. Dans un élan d’audace et d’impulsivité, je pris son visage en coupe dans mes mains et embrassai ses lèvres douces. Ce fut rapide et chaste, mais cela me parut tellement intense. Elle me regarda et un sourire éclaira son visage.
La chanson était presque terminée.
— Je ne te laisserai pas partir, dis-je.
— Ça tombe bien, parce que je n’ai pas l’intention de partir, me répondit-elle.
Passenger, Let her go
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