La femme sur la Lune, réalisé par Fritz Lang (1929)
Bonjour à toutes et tous.
Il est parfois bon d’avoir des amis… L’un des miens ayant acheté un coffret Fritz Lang, je me suis empressé de lui emprunter quelques films, dont un que je ne connaissais que de réputation, La femme sur la Lune, dernier film muet du cinéaste datant de 1929.
Film extraordinaire vraiment, que tout(e) passionné(e) de science-fiction se doit d’avoir vu, mélange de naïveté narrative - l’on peut par exemple respirer sur la Lune - et d‘extraordinaires visions de conquête spatiale d‘un réalisme parfois saisissant, qui a inspiré d‘autres créateurs et pourquoi pas la conquête spatiale elle-même, allers et retours bien connus entre fiction et réalité.
Le film, d’une durée de deux heures quarante tout de même, est clairement divisé en trois parties, avec un savant sens de l‘attente chez le spectateur. Nous n’entreverrons la fusée qu’au bout d’une bonne heure et demie…
Dans la première partie, nous sommes chez le vieux professeur Mansfeldt qui survit dans une misérable soupente, souffrant du froid et de la faim, renvoyé de l’Académie des Sciences pour avoir prétendu qu’il y a de l’or sur la Lune.
Seul l’ingénieur Hans Windegger qui prépare une fusée lunaire lui rend encore visite, lui offre à manger. Mais voilà que quelqu’un s’introduit dans la nuit chez le vieux professeur pour lui voler ses documents…
Nous sommes là en plein expressionisme allemand, tant par l’éclairage fait d’ombre et de lumière crus, que par la violence des situations sociales. Ce personnage de scientifique uniquement tendu vers le savoir, sans souci de matérialisme est évidemment sympathique, mais en même temps tend à la folie. Sans lui, pas de conquête lunaire. Seule la possibilité de l’existence de grande quantité d’or sur le satellite de la Terre poussera à investir l’argent nécessaire à la construction d’une fusée lunaire.
Fritz Lang est là d’un rare sens de l’observation du comportement humain. Pas de sentimentalisme, la Lune ne sera atteinte que s’il existe un intérêt matériel. Ici l’or dans la fiction, dans la réalité de la guerre froide entre les USA et l‘URSS, la suprématie idéologique et technologique.
D’ailleurs, la guerre idéologique gagnée, il faudra attendre que la Chine veuille imposer sa domination pour voir peut-être à nouveau des humains marcher sur la Lune, puisque pour l’instant l’exploitation minière rentable de la Lune rêve un rêve.
La deuxième partie du film nous entraîne loin des mansardes, chez les promoteurs financiers du projet et chez l’ingénieur, où l’espion tente cette fois de voler les plans de la fusée destinée à aller sur la Lune...
Je vous passe les péripéties, finalement un accord est conclu. Sous la menace de voir la fusée détruite, l’espion Turner représentant d’obscures intérêts accompagnera le jeune fils du concierge passionné par l‘Espace, l’ingénieur Hans Windegger, sa femme Friede Velten, la femme sur la Lune donc, et bien entendu l’entrepreneur Wolf Helius qui compte bien arriver le premier et ramener l’or tant convoité.
Cette fois, nous voici enfin sur le départ…
Dans la troisième partie, après cette longue introduction sur Terre, nous entrons dans le cœur du film. L’envol et le vol se passennt bien, la fusée alunit, mais s‘enfonce un peu trop. Il faudra déblayer pour repartir. Tandis que le vieux professeur Mansfeldt s’enthousiasme pour l’exploration de l’astre, de l’or est trouvé en quantité dans une grotte.
Le drame peut alors débuter. Je ne vous en dit pas plus pour ne pas gâcher votre plaisir...
Après les deux premières parties visionnaires socialement tout en empruntant au film noir et d‘espionnage, La Femme sur la Lune offre à présent d’incroyable sensations spatiales. Rappelons encore une fois que le film date de 1929, soit bien dix ans avant les V1 et V2 conçus par l’ingénieur nazi von Braun, avant tout type de fusée permettant d’accéder à la stratosphère, aux hautes altitudes, sans parler encore d’orbite basse…
S’étant entouré de conseillers techniques, Fritz Lang fait vraiment œuvre dans ce voyage sur la Lune d’une rare prescience.
Avant même de songer à lancer un équipage sur la Lune, les commanditaires envoient une première fusée photographier la Lune et même s’y écraser pour déterminer s’il y a de l’or. C’est exactement ce que feront les agences spatiales pour préparer l’arrivée des humains sur notre satellite...
Quant à la fusée, elle est d’un réalisme saisissant, tout comme son environnement terrestre. De même qu’à Cap Canaveral, la fusée de la taille approchant celle d’une Saturne est construite, ou plutôt assemblée dans un haut hangar. Puis, elle est transportée sur rails vers son aire de lancement, devant les journalistes et une foule nombreuse.
L’engin spatial est alors plongée dans l’eau, avant d’être mise à feu. Cette présence de l’eau, même utilisée naïvement, est vraiment extraordinaire, sachant qu’il faudra trente ans après s’en servir au départ pour disperser la chaleur des moteurs au décollage.
Pour le départ, afin de renforcer le suspense, Fritz Lang nous gratifie d’un compte à rebours, chose inconnu à l’époque, et qui sera repris pour les décollages bien réels par la suite.
Sans aller jusqu’aux trois étages nécessaires, la fusée abandonne bel et bien un étage quelques minutes après avoir décollé. Et bien sûr se retourne pour atterrir sur sa base et non s’écraser sur la surface lunaire.
L’habitacle lui oscille comme tout le film entre naïveté et prescience extraordinaire. Tout est fait de tôles, de cadrans, de robinets, de lits de toile. Mais d’un autre côté, l’habitacle est rationnellement divisé entre chambre, salle de contrôle, cales. Une double paroi protège même les passagers.
Au décollage, tous les voyageurs sont écrasés par la forte accélération, s’évanouissent même, avant de reprendre leurs esprits. Lorsque cesse l’accélération, ils découvrent alors l’absence de gravité.
Et c’est là peut-être à mon sens où le génie de ce film apparaît. Fritz Lang, plutôt que de simuler maladroitement la flottaison de ses acteurs trouve un moyen simple pour faire tenir ses acteurs debout. Partout sont disposés des poignées, y compris au sol pour y accrocher ses chaussures. Ainsi, l’on peut progresser sans s’envoler.
Le résultat à l’image est stupéfiant. On a véritablement l’impression avec un déplacement subtil des acteurs qu’ils sont réellement en apesanteur, sans aucun trucage.
C’est exactement le même dispositif qui existe dans les habitats spatiaux, stations ou désormais anciennes navettes, pour permettre aux cosmonautes de travailler debout sans dériver au moindre mouvement…
Alors évidemment, la présence d’une atmosphère sur la Lune, qui n’en possède pas, renvoie La Femme sur la Lune aux récits parfois fantaisistes de science-fiction du début du vingtième siècle.
Mais il faut bien considérer que Fritz Lang, souhaitant nombre de plans larges pour profiter du magnifique paysage lunaire de studio doit résoudre un dilemme filmique intenable. Avec des acteurs en scaphandres, impossible pour le spectateur de reconnaître qui est qui… Il faut donc que les acteurs aient leur visage à l’air libre.
Sans cela, sans doute que Fritz Lang aurait conservé logiquement tout au long du film une Lune sans atmosphère, quasi certitude scientifique à l’époque.
Toutefois, le premier homme sur la Lune y descendra bel et bien en scaphandre. L’équipage prend tout de même une précaution élémentaire, donne un élément de réalisme. Il ne se précipite pas à l’extérieur de la fusée sans protection.
Tous ces éléments de réalisation à vrai dire laissent pantois. Le visionnage du film, en plus de l’histoire elle-même passionnante et très bien interprétée, de la lumière splendide, offre une sensation plus que dérangeante.
La sensation que l’envoi d’humains dans l’Espace et sur la Lune, tant russes qu’état-unienne n’est qu’une copie du film, ou presque. Que la réalité s’est largement inspirée d’une œuvre prophétique de fiction, elle-même nourrie de solides réflexions techniques.
Une dernière caractéristique scénaristique importante à mon sens finit de crédibiliser le film, l’absence de toute trace de vie et de civilisation sur la Lune. Tout comme Jules Verne qui se contentait de faire simplement tourner son obus habité autour de l’astre, Fritz Lang ne se lance pas dans une hypothétique rencontre extra-terrestre, il reste sur ses personnages, sur cet or lunaire responsable de toutes les convoitises, de toutes les aventures.
La vie sur la Lune, ce sera une femme et un homme, un couple amoureux restant sur place, se sacrifiant pour que le jeune garçon puisse rentrer sur Terre sain et sauf. Le film finit donc d’une manière optimiste, la Lune sera colonisée par l’Humanité.
Sauf que la prophétie de Fritz Lang n’a pas eu lieu, pas encore du moins. L’aventure américaine Apollo ne fut qu’un acte extraordinaire, retentissant, mais finalement isolé et sans suite.
Après avoir visionné si tardivement La Femme sur la Lune, arrive une évidence pour qui connaît le cinéma d’anticipation et de science-fiction. Ce film est précurseur de tous les autres, invente tout ou presque.
Alors sans sortir les grandes phrases, il me paraît évident, comme à d’autres, vu son antériorité à toute forme de conquête spatiale réelle, qu’avec 2001, l’Odyssée de l’Espace d‘Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick, La Femme sur la Lune est l’autre grand film essentiel du cinéma des grands espaces stellaires.
Il ne s’agit pas de dévaloriser d’ailleurs des centaines d‘autres films très appréciables, voire novateurs eux aussi. Simplement, ces deux films posent des jalons essentiels du point de vue narratif et visuel.
La Femme sur la Lune invente la conquête spatiale, littéralement. Il montre ce qu’il va advenir dans un futur proche ou plus lointain, tant du point de vue social, la compétition entre nations, l’appât du gain, que la fusée spatial abritant des voyageurs. Film à mi-chemin du romantisme de Jules Verne et du modernisme extrême.
2001, l’Odyssée de l’Espace, lui, fusionne la métaphysique avec le film spatial, parvient à nous arracher à la simple fascination technologique pour aller plus loin. Et fait causer les ordinateurs…
Pour conclure cette chronique enthousiaste, je crois que vous conviendrez avec moi que la trame général du film, la forme même de la fusée, a clairement inspiré les deux albums de Tintin Opération Lune et On a marché sur la Lune… L’un des personnages s’appelle même Wolf, c’est dire.
Alors ne vous contentez pas uniquement des albums d’Hergé, revoyez ou découvrez l’original, ce fabuleux film de Fritz Lang, cynique et visionnaire, La Femme sur la Lune, très injustement mal diffusé, presque ignoré des générations de cinéphiles épris de science-fiction, peut-être parce qu‘en noir et blanc, muet et d’une narration plus lente que ce à quoi nous sommes habitués ?
Rarement pourtant un film a été aussi essentiel au cinéma.
Il ne me reste plus à présent qu’à voir le film de Georges Méliès, Le voyage dans la Lune…
Pour en savoir plus sur La Femme sur la Lune, quelques liens.
Un diaporama à visionner :
http://www.toutlecine.com/images/film/0002/00028098-la-femme-sur-la-lune.html
Trois extraits du film :
http://www.vodkaster.com/Films/La-Femme-sur-la-Lune/23806
http://www.vodkaster.com/Films/La-Femme-sur-la-Lune/29007
http://www.vodkaster.com/Films/La-Femme-sur-la-Lune/29008