La chair des vivants a-t-elle meilleur goût que celle des morts ?(9)

Fondamentalement, de quoi est-il question dans un film de zombies ? Qu’est-ce qui constitue l’essence de ces œuvres cinématographiques si spéciales ? Qu’est-ce qui provoque l’accélération de notre rythme cardiaque à leur vision ?

Nous avons déjà longuement discouru de l’aspect « carnassier » de ces récits. La consommation de notre chair par ces entités déliquescentes dénuées de conscience constitue en effet le motif immédiat de cette peur, celui qui crève littéralement l’écran. Personne n’a envie de se faire mordre –voire dépecer – par ces « bêtes » (autrefois humaines) lâchées à nos trousses. Ni de voir son prochain promis à un traitement du même acabit. La première des choses à faire à la vue d’un mort-vivant consiste ni plus ni moins à sauver sa peau - ainsi que tout ce qu’elle renferme de viscères et d’organes - en prenant ses jambes à son cou.


Mais plus profondément encore, si l’on se penche toujours plus près de la racine du problème, c’est de bien autre chose dont les films de zombies nous parlent. Quelque chose de plus terrifiant encore que cette curée sanguinolente qui éclabousse nos écrans. Quelque chose de plus affreux car dépassant de loin le cadre de nos pauvres existences individuelles.

L’Apocalypse. La fin de toutes choses. La destruction systématique et aveugle de l’Humanité. La victoire complète et sans rémission possible du Néant sur l’Etre.

Voici ce dont les films de zombies nous parlent.

L’ironie – car l’humour n’est jamais totalement absent de ces films, heureusement, même s’il s’agit d’un humour de la variété la plus noire envisageable – veut que ce soient les humains eux-mêmes – mais des humains transfigurés (voire défigurés), (re)venus d’outre-tombe parmi les vivants – qui provoquent ce cataclysme terminal.
Dans les années 50, quand le péril nucléaire battait son plein, la science-fiction nous décrivait par le menu le combat à mort de l’espèce humaine contre des créatures gigantesques (des fourmis, des araignées, des oiseaux, des dinosaures…) ou des extra-terrestres sanguinaires (le péril communiste s’additionnait souvent à celui de la bombe A dans ces films au charme désuet, plus distrayants qu’inquiétants aujourd’hui, avec le recul). Ce n’est pas le cas avec les films de zombies. Plus d’échappatoire possible, plus d’atténuation du propos, plus de transposition de nos peurs sur un « Autre » aux caractéristiques inhumaines : il n’est plus ici question que d’être humains en dévorant d’autres, purement et simplement. L’espèce humaine se consume elle-même, elle se nourrit de ses propres entrailles. Elle court – enfin, elle avance d’un pas mal assuré - toute seule à sa perte.

Ainsi que nous le signalions dans notre dernier article, l’épicentre de cette catastrophe se situe en Amérique du Nord. Aux Etats-Unis d’Amérique, pour être précis. Nous avons certes connus dans le courrant des années 70 et 80 un certain nombre de répliques en provenance d’Italie, mais en dépit de leurs qualités (les œuvres de Lucio Fulci, pour ne citer que lui, ne sont pas dénuées d’intérêt), ces films se contentaient pour l’essentiel d’exploiter le filon d’origine C’est donc à partir des U.S.A. que se déversent sur le monde entier les hordes contemporaines de trépassés faisandés.

Les événements survenus le 11 septembre 2001 à New York et à Washington ne sont pas pour rien dans cette résurgence soudaine de la figure du zombie. Tout à coup, l’Amérique s’est trouvée confrontée à sa fragilité masquée. Il aura suffi de quatre avions de ligne détournés par des kamikazes fanatiques pour remettre en question – au moins dans les esprits - la domination absolue que pensait exercer ce pays dans le Nouvel Ordre Mondial décrété par Bush père.
Le fait que ces attentats meurtriers soient survenus au tout début du troisième millénaire aura d’autre part réveillé dans l’inconscient collectif américain les peurs millénaristes héritées de l’omniprésence de la religion aux Etats-Unis (que l’on regarde la série télévisée « Millennium », créée par Chris Carter, pour s’en convaincre). Le succès très relatif (pour ne pas dire la débâcle) de l’armée américaine en Irak, et dans une moindre mesure en Afghanistan, n’a fait que renforcer cet état d’esprit hautement pessimiste, cette sensation que l’heure de l’Armaggedon est arrivée et que les choses ne sont pas forcément bien engagées.



C’est donc parce que les Américains ont la sensation que l’Apocalypse frappe à la porte qu’ils produisent actuellement autant de films de zombies (tout comme ils en ont produit de nombreux durant les années 70, à l’époque de la Guerre du Vietnam - ne parlait-on pas alors d’"Apocalypse Now" ?). Mais il ne s’agit plus aujourd’hui d’une Apocalypse technologique comme c’était le cas dans les années 50 ou 60. Plus de savants fous désormais, plus d’expériences scientifiques ratées, plus de termites de cinquante mètres de haut, plus de martiens armés de rayons désintégrateurs... Des cadavres. Des morts-vivants qui s’abattent sur notre civilisation (nos villes, nos autoroutes, notre « ordre ») par vagues successives. A l’image de ces peuples du tiers-monde, parés à franchir les « Limès » que nous bâtissons vainement autour de nos forteresses dorées. Le retour du refoulé dans ce qu’il a de plus destructeur.

Dans notre prochain article, nous nous pencherons justement sur une œuvre qui prend le contre-pied de cette idée. Un film qui nous dépeint les zombies sous un jour on ne peut plus positif, y compris dans le rôle qu’ils peuvent jouer dans la démocratie américaine. Je veux bien entendu parler de l’épisode des « Masters of Horror » réalisé par John Landis…