La chair des vivants a-t-elle meilleur goût que celle des morts ?(1)
On assiste depuis quelques années déjà à la résurgence d’un genre cinématographique que l’on croyait moribond : celle du film de zombies. C’était sans compter sur la capacité innée qu’ont les morts-vivants à revenir sur le devant de la scène. Rien n’est plus malvenu en effet que d’enterrer trop vite un « revenant » de ce type.
L’éclipse n’aura finalement duré qu’une petite décennie - grosso modo celle des années 90. Depuis notre entrée dans le troisième millénaire, les écrans de cinéma grouillent à nouveau de hordes claudicantes en tous genres, toutes plus affamées de chair fraîche les unes que les autres.
Ce renouveau est protéiforme : il prend l’aspect de remakes plus ou moins respectueux des classiques de George A. Romero, avec par exemple L’Armée des morts (Zack Snyder – 2004), basé sur la trame de l’incontournable Zombie (1978) ; il navigue en direction de la comédie parodique et déjantée, avec Shaun of the Dead (Edgar Wright – 2004) ; il marie diverses influences - allant des jeux vidéos jusqu’au récit de science-fiction, en passant par le kung-fu - comme c’est le cas pour la série des Resident Evil (Paul W. S. Anderson – 2002 / Alexander Witt – 2004) ; il peut enfin connaître des variations qui l’amènent sur le terrain des œuvres relatives aux contaminations d’ordre viral, à l’instar de 28 jours plus tard (Danny Boyle – 2002).
Les mutations subies par le genre, au sortir de cette période d’hibernation, semblent en définitive plutôt minimes. Les morts-vivants des années 2000 se déplacent en général avec une plus grande célérité qu’auparavant, les effets spéciaux se sont digitalisés, mais cette nouvelle vague de films relève plus d’une résurrection à l’identique que d’une recréation complète – aurait-il pu en aller autrement, de toute façon, pour des films traitant du retour à la vie des trépassés ?
Comment expliquer ce soudain regain d’intérêt ? Pourquoi le zombie connaît-il aujourd’hui cette seconde jeunesse ? Et qu’est-ce qui a bien pu engendrer son retour à la vie ? Plusieurs clé explicatives peuvent être avancées pour répondre à ces questions. Nous les aborderons au fur et à mesure de notre enquête, qui se focalisera pourtant sur un autre aspect du problème. La question fondamentale nous semble en effet être la suivante : comment se fait-il que les morts-vivants se repaissent exclusivement d’humains en pleine possession de leurs moyens ?
Contrairement à ce qui semblerait aller de soi (n’affirme-t-on pas que « dans le cochon, tout est bon ! »), les zombies ne dévorent pas tout ce qui leur tombe sous la dent. Ils effectuent un tri, ils choisissent leurs mets préférés. Cet appétit abject de la chair qui les caractérise ne semble pas devoir s’exercer sur les cadavres, par exemple. Cela les distingue clairement de notre propre espèce, dont le trépas les a en quelque sorte exclus : les vivants mangent des (animaux) morts et les morts, quant à eux, mangent des (humains) vivants. Ils ignorent les chairs nécrosées (i.e. atteintes de mort cellulaire ou tissulaire) ou à peine décédées, pour se concentrer sur celles toujours incluses dans le corps d’êtres humains en pleine forme. Les zombies, pour le dire autrement, ne sont pas nécrophages. Pas de cadavres au menu de la famille zombie. Il faut que la chair humaine se débatte pour que l’on prenne plaisir à mordre dedans.
Si tel n’était pas le cas, s’ils se montraient moins sélectifs dans le choix de leurs aliments, ils pourraient très bien s’entre-dévorer. Avouons que cela faciliterait grandement la lutte pour la survie de nos semblables. Alors pourquoi un tel rétrécissement de leur bol alimentaire ?
Tandis que nous sommes omnivores (i.e. que nous nous nourrissons indifféremment d’aliments divers) ou à la rigueur végétariens (i.e. relevant d’un système d’alimentation supprimant les viandes, ou même les produits d’origine animale), les zombies sont pour leur part purement carnivores : ils se nourrissent exclusivement de chairs (notons au passage que ce régime strictement carnivore manque cruellement de variété : prenez garde, mesdames et messieurs les zombies, trop de viande rouge, ce n’est pas très bon pour le cœur !). Mais attention, ce sont des carnivores qui discriminent entre les diverses sortes de viandes disponibles à la vente - ou, en l’occurrence, à la chasse. Toute chair n’est pas appropriée à leur palais délicat. Ce sont des carnivores de type anthropophage : ils ingèrent de la chair humaine. Une anthropophagie radicale, absolue, qui ne souffre aucune d’exception. De la chair humaine, rien que de la chair humaine. Que dis-je, de la chair humaine !
Rien d’autre ne sera pourchassé que de l’humain palpitant, de l’humain en capacité de se mouvoir, de souffrir, de ressentir.
De l’humain vivant, en somme.
Il s’agit donc pour eux de profiter de cette fenêtre d’opportunité que constitue « la vie » (signalons au passage que la science contemporaine peine toujours à définir ce en quoi consiste le fait d’être vivant). Ils ne se repaissent que de chair « fraîche » (c’est-à-dire « chaude ») – de la viande au fumet caractéristique (pas de ragoût pour eux, ni de pot-au-feu – les légumes sont proscrits).
Alors, que possèdent les vivants dont les morts sont dépourvus ? Qu’est-ce qui amène ces derniers à se montrer tellement friands de nos entrailles ?
La prochaine livraison de cette série d’articles consacrée aux plaisirs de la chair humaine se penchera, pour commencer, sur la question de sa valeur nutritive.