Gauguin
Gauguin n’a pas son pareil pour peindre les paysages et les gens. Mais dans cette France grise des bords de Bretagne ou dans les ruelles moribondes du vieux Paris, il cherche encore l’inspiration. Nous sommes en juin 1891. Gauguin et ses amis Degas et Mallarmé lèvent leurs verres en l’honneur de l’atelier des Tropiques.
Le lendemain, Gauguin abandonne tout pour réaliser son rêve. Ses amis, sa fiancée, ses bars. On lui a parlé de Tahiti, des îles et de ce peuple, les Tahitiens, où les femmes sont aussi nues qu’un ver. Quelle surprise pour Gauguin d’arriver à Papeete et de découvrir une ville à l’européenne. Tahitiens et colons sont habillés de pantalons et de chemises. Les femmes portent de belles robes, de beaux chapeaux et rêvent de jolis sacs, de soirée d’ivresse au champagne. Elles veulent faire comme les dames de France. Comme si c’était mieux. Comme si elles avaient quelque chose de différent qui les rendait inférieures. Gauguin n’apprécie guère cet aspect de Tahiti. « J’en ai marre de Papeete. Tout le monde singe les Européens. Il faut que je parte à la recherche du Tahitien sauvage ! » .
L’artiste déménage pour s’enfoncer plus profond dans les terres. Au fil de son voyage, il croise des villageois, des religieuses, des tribus, des chefs de tribu, des Anglais et des Américains. Plus il s’enfoncera dans Tahiti, plus il pénétrera l’Authentique des Tahitiens. Mais il trouvera aussi l’Autre Chose. Une noirceur qu’il gardera pour lui et qu’il ne mettra pas dans ses tableaux. Car Tahiti reste dans son cœur un idéal rêvé. Cet idéal doit faire rêver les Européens. Sauf que Gauguin, lui, aura tout vu de Tahiti.
Li-An a vécu plusieurs années à Tahiti. Tout comme Gauguin, il est parti avec ses rêves et ses questions. Il en est revenu avec les tableaux colorés et la face cachée des tableaux. Tout n’est pas rose à Tahiti, aujourd’hui comme à cette époque. C’est cela que l’auteur a voulu retranscrire dans cette histoire. Il y parvient avec le personnage du peintre idéaliste et désabusé qu’était Gauguin. Li-An y mêle sa propre expérience de l’île. Cela rend cette bd captivante et d’une authenticité hors du commun. Cela nous confronte à nos propres illusions sur ces mondes lointains dont nous rêvons tous. L’Asie, l’Amérique, les îles. Tout est si beau sur les cartes postales. Tout est si excitant dans notre cœur au moment du départ.
Bien sûr, le portrait de Tahiti conserve beaucoup de couleurs. La bd ne cherche pas à nous dégoûter de ce pays. Elle cherche subtilement à nous faire sortir du club Med pour enfiler notre sac à dos et affronter le monde réel. La jungle envahissante et envoutante. Les femmes secrètes et enivrantes. Les tribus inaccessibles et pénétrées de mysticisme. Inutile d’avoir peur de Tahiti. Inutile de l’aimer. Juste l’accepter tel qu’elle est à cette époque, encore présente, où culture occidentale et culture tahitienne s’entrechoquent.
Titre : Gauguin – deux voyages à Tahiti
Scénario et dessins : LI-AN
Couleurs : CROIX Laurence
Editeur : Vents d’Ouest
Nbre de pages : 102