Estampes sur eaux troubles
Marianne Lesage a réunit dans ses Estampes sur eaux troubles huit textes dont les éléments fantastiques surgissent peu à peu, et un récit de science-fiction pour compléter le recueil.
Deux nouvelles plongent le lecteur dans un contexte historique fort, dont le très beau Œil de nacre dans la serre qui narre un épisode souvent illustré, le départ des poilus et les premiers mois de la Première guerre mondiale. C’est l’histoire banale d’une jeune épouse séparée de son mari, enthousiaste puis désespéré face à la guerre. Le jeune Louis envoie d’étranges objets à sa femme pour maintenir leurs liens distendus. Lucide et touchant.
C’est l’Inde coloniale qui sert de cadre à Odissi, où la jeune Lady Greenhead pénètre peu à peu dans le cauchemar de la résistance indienne face à l’envahisseur anglais. Ce mouvement a trouvé son expression dans l’accomplissement de rites magiques qui vont révolutionner la vie de la jeune femme. Une ambiance pesante pour une nouvelle réussie.
Autre thème du recueil, le détournement de conte, comme ceux du Grand Méchant Loup, de Barbe-bleue et de la Belle au Bois dormant. Sauf que pour Marianne Lesage, Barbe-bleue est victime de son épouse, apparente jeune fille simplette qui se révèle être une tueuse sordide. Quant à la belle qui dort au sommet de sa tour, elle se vautre dans le sexe et la perversion, attirant les hommes dans son piège de chair. Pas d’inquiétude à avoir pour le petit chaperon rouge, car c’est lui qui se transforme en grand méchant loup pour dévorer le chasseur ! Trois visions loin d’être charmantes, et qui donnent un éclairage cauchemardesque sur ces récits enfantins.
Quatre autres textes complètent ce recueil : l’apparition démoniaque d’une étrange Lily (Œuvre au rouge), la vision particulièrement torturée et futuriste de la nouvelle Marie, mère du Christ (Saturna Regna), une légende écossaise et ses inévitables fantômes (Fuathai), le retour du fantôme d’un cher disparu (Home is where it hurts)
Avec ses estampes, Marianne Lesage propose un ensemble de textes sensibles et humains, explorant les sentiments au travers de situation dramatique, au moyen de mots simples et justes. C’est bien en eaux troubles qu’elle a situé ses récits, puisque l’amour est toujours proche de la mort et de la destruction, renvoyant l’innocence au rang des illusions.
Estampes sur eaux troubles de Marianne Lesage, couverture de Gérard Tournier, Griffe d’encre