LECOUFFE DEHARME Bastien 01
P : Ton roman existait déjà, pourquoi avoir choisi de sortir une version illustrée ?
BLD : A vrai dire non, Memories of Retrocity n’a jamais existé en tant que roman à l’état pur. Ce qui existait avant le livre tel qu’il est aujourd’hui était un amas de textes et d’images autonomes parlant de Retrocity elle-même. Il n’a jamais été question de faire l’un sans l’autre. Textes et images sont ici les deux faces d’une seule et même carte. Deux médiums avec leur qualités propres s’imposant alternativement en fonction des nécessités narratives du livre. Certaines de mes images mentales devaient êtres illustrées visuellement et d’autres se devaient d’être écrites.
Parle-nous des origines de ce projet ?
Les origines de Retrocity remontent à 2006. J’ai commencé à « faire des images » de manière presque compulsive. Très vite j’ai eu besoin de leur donner du sens, de bâtir un « background », un univers, une logique derrière tout cela. J’ai d’abord connecté mes images à des œuvres déjà existantes, telles que Blade Runner, Brazil et d’autres … puis un matin je suis réveillé avec le nom de la ville dans la tête et j’ai commencé à écrire, a bâtir Retrocity. A la peupler d’histoires, de récits de vies, en tracer la carte. J’ai presque failli en faire une maquette … Puis je me suis concentré sur les individus qui la peuplent. Des anecdotes, des bouts de vécus. De fils en aiguille, les choses se sont construites ainsi.
Memories of Retrocity, le livre, est né de cette idée : projeter un type, un cobaye du monde extérieur, dans ce contexte enchanteur et jovial, constitué de bouts de conscient et d’inconscient issus de ma propre psyché ...
Quelle métaphore vois-tu entre Retrocity et notre monde actuel ?
Tu y parles souvent de notre attachement à la matière, à l’objet, peux-tu développer ?
Ces deux questions parlent de la même chose. J’utilise la science-fiction justement pour ses capacités métaphoriques. Comme un outil permettant certaines extrapolations narratives. Je ne me voyais pas écrire un pamphlet critiquant notre société individualiste et consumériste. Je n’en ai ni les épaules, ni l’envie ! Mais ces questions sont pour autant centrales, nourrissant mes inquiétudes, mon cynisme et mes histoires.
Ainsi je ne pense vraiment pas essentiel de répondre à la première question, car cela reviendrait à expliciter certaines idées que j’ai justement choisies d’exprimer différemment, au sein du livre !
Le Retroprocessus est cette métaphore, ce virus combinant individualisme et matérialisme. Mais c’est plus que ca. Il n’y a pas de manichéisme simpliste ici. Le RP, plus qu’un simple virus, est un facteur de changement, d’évolution, engendrant une toute nouvelle forme d’existence, nourrissant l’esprit de la ville. Mais, là encore, il s’agit de métaphores ...
J’ai regretté de ne pas voir de scènes de foules dans tes illustrations. Tous ces retrocitoyens devant leurs vitrines ! Pourquoi ce choix ?
Simplement parce que Retrocity est vide. Il s’agit ici de cette distinction entre textes et images dont nous parlions précédemment. Là où le texte et les notes de William décrivent ces passages au centre-ville, où les Retro-citoyens vivent et s’activent, je voulais que les images illustrent la solitude profonde ressentie par le personnage. Ce vide, même au milieu des autres.
Quelle technique utilises-tu pour arriver à un tel graphisme, si saisissant et ambiantesque ?
Mon travail est digital. L’outil informatique me permet de combiner un maximum de techniques pour arriver au résultat que je souhaite obtenir. En partant de mes croquis, de l’insertion de mes bouts de photos, jusqu’à la peinture digitale, en passant par les scans de mes textures réalisés avec un peu de tout et de n’importe quoi.
Je gribouille énormément dans mes carnets de croquis. J’y pose mes idées, mes compositions, des mots-clefs pour définir les ambiances, tout un fatra.
Lors de la composition d’une image, je réalise souvent une série de photos dont j’utilise des morceaux pour les incorporer à mes images, les mixer à la peinture digitale et au dessin. Comme je me plais à le dire, mon utilisation de la photographie est un moyen de prélever des bouts de réels pour les faire basculer dans une autre réalité. A l’image de la métaphore qu’est Retrocity. Il y a donc une logique réelle entre mon processus de travail et mon propos.
Je tiens à préciser que mon travail est loin de la simple manipulation photographique, ou « montage » comme je l’ai parfois entendu. Il ne s’agit pas de photographies que je modifie, mais bien d’insertions de morceaux de ces dernières dans un processus graphique bien plus complexe !
La phase d’illustration du livre a marqué un changement important dans mon travail : le basculement de Gimp, mon outil principal depuis 5 ans, à Photoshop.
Des projets à venir ?
Un bon paquet oui ! Une suite aux « Memories » très probablement. Envisagée sous un nouvel angle, comme le laisse entendre l’épilogue d’Alain Damasio. Mais j’ai beaucoup d’autres choses en tête, et en particulier un projet de roman-graphique bien plus terre à terre, brut et nerveux, inspiré par l’Amerique bien profonde dans laquelle je vis aujourd’hui. Mes crayons commencent tout juste a y travailler !
Envie de nous en dire plus sur Retrocity, cette femme, ce flic ?
Simplement que si l’histoire de William s’est arrêtée brutalement dans les murs de Retrocity, cela n’en constitue pas moins un battement d’ailes qui peut déclencher des tempêtes. Ces deux chemins croisés, William venant de l’extérieur pour disparaître dans la ville, et Liz y ayant grandi avec ce désir irrépressible de s’en évader, ont semé les graines du changement au sein de la cité.