LE ROY Philip 09
© Marc Bailly
La première question qui me vient à l’esprit. Est-ce un hommage à Agatha Christie, vu que c’est une sorte de Dix petits nègres à la sauce moderne ?
Attention, on ne dit plus « nègres », ce n’est pas politiquement correct ! Il faut désormais parler des Dix petits Blacks ! Et tant qu’on est dans le politiquement incorrect, j’en profite pour mettre les points sur les deux « i » d’Agatha Christie. Contrairement à qu’on me dit souvent, Le neuvième naufragé n’est un hommage ni à la reine du roman à énigme, ni à ce roman poussiéreux qui met 50 pages à démarrer et où l’on déglingue un à un des personnages tout droit sortis d’un Cluedo. Si hommage il y a en ce qui concerne Le neuvième naufragé, il faut plutôt regarder du côté de Usual Suspects ou de Basic.
Ce qui me frappe ensuite, c’est cette écriture encore plus efficace qu’auparavant. T’en rends-tu compte ?
A la différence de mes trois précédents romans qui visaient à transmettre des messages forts et s’appuyaient sur des années de recherches et des piles de documentation, l’objectif ici s’est borné au travail sur l’intrigue et sur le twist final. Tout ce qui ne servait pas l’histoire était viré. J’ai volontairement épuré le texte de tous les mots inutiles et de toutes les digressions pour favoriser une lecture quasiment one shot.
Comparativement à la plupart de tes autres livres, c’est que cette fois, il y a une unité de lieu. Est-ce voulu en pensant à une adaptation ciné possible ?
J’ai écrit cette histoire il y a une dizaine d’années sous la forme d’un scénario. Quand j’ai compris qu’elle n’entrait pas dans les critères d’une industrie qui finance principalement des rigolades jouées par des bouffons venus de la télé, des histoires pépères pour seniors ou des films de genre pour un public d’âge mental inférieur à 10 ans, j’ai décidé de réécrire sous la forme d’un roman cette histoire bien trop complexe pour des vendeurs de pop-corn.
Parlons ciné d’ailleurs, où en es-tu dans ce domaine ?
Pour les raisons citées ci-dessus, j’en suis au point mort. J’ai eu la chance d’accomplir un rêve de gosse en écrivant The Way pour Canal Plus, une série d’action avec des ninjas braqueurs qui volent au-dessus des toits de Paris ! Avec un résultat à la hauteur grâce à un cinéaste talentueux (Camille Delamarre). La série est actuellement diffusée sur Studio +. Mais ce rêve n’est pas près de se reproduire. Je viens en effet d’écrire une nouvelle série, cette fois pour France Télévision. Le scénario a bénéficié d’une aide de la SACD. Mais France Télévision a finalement décidé de ne pas la tourner, faute de budget et probablement de volonté. En même temps j’étais étonné que cette grosse machine sclérosée du service public, qui puise dans nos impôts pour produire des séries et des téléfilms pour troisième âge, accepte de tourner un script qui commence par une scène où une prostituée moldave en manque de crack vomit sur la tronche d’un client !
Le dernier film que tu as aimé ?
Les bons films sont faciles à repérer au milieu des comédies à deux balles, des superhero movies et des films pour enfants. Depuis le début de l’année je n’en ai vu que trois bons dans les salles : Molly’s game probablement le meilleur film de 2018, mais aussi Opération Beyrouth et récemment Sicario : la guerre des cartels dont les scénarios sont respectivement signés Aaron Sorkin, Tony Gilroy et Taylor Sheridan. Trois œuvres conçues par les trois plus grands scénaristes de Hollywood. On peut aussi ajouter à la liste Red Sparrow, surtout pour Jennifer Lawrence qui explose l’écran.
Ton héroïne est une femme forte qui cache une fragilité. Quelle est l’actrice que tu vois pour jouer son rôle ?
Jessica Chastain. Parce que c’est la meilleure actrice à l’heure actuelle. Et en plus, ça tombe bien, elle est rousse !
Tu manipules le lecteur tout au long du récit. C’est une espèce d’horlogerie très efficace. As-tu un plan quand tu commences ton histoire ou te laisses-tu emmener par tes personnages ?
Pour ce genre d’histoire, il faut un plan. Mais ce sont les personnages qui le définissent. Moi je crée les caractères, la situation de départ, je donne le cap. Et je sais comment tout cela va se terminer. Mais c’est aux personnages de prendre les décisions, quitte à bouleverser ce que j’avais en tête. Pour que la méthode fonctionne, cela nécessite, avant même d’écrire la première ligne du roman, que ces personnages me soient aussi familiers que si je les fréquentais depuis l’enfance.
Tu as écrit une série pour Studio+, cette expérience a-t-elle influencée ton écriture ?
Mon écriture est à la base très cinématographique. Je conçois mes chapitres comme des scènes qui s’achèvent souvent par un cliffhanger, je privilégie les dialogues et l’action, j’intègre de la musique et des flashbacks, bref, ce n’est pas difficile pour moi de passer de l’écriture d’un roman à un celle d’une série et inversement. Un roman requiert néanmoins que l’on attache de l’importance à la syntaxe et au style. Un scénario nécessite que l’on respecte quelques règles.
Tu sembles aimer les héroïnes fortes…
L’héroïne est par définition une drogue forte :). Je suis donc plus accro aux héroïnes qu’aux héros surtout quand elles font des trucs de mecs, comme Samantha Kane, Sarah Connor, Ellen Ripley, Evelyn Salt, Beatrix Kiddo, Furiosa ou Molly Bloom. Une héroïne, c’est plus complexe et sexy. Ce sont les femmes qui prennent les décisions dans mes romans. En dehors de mon personnage de Nathan Love, je leur ai toujours donné le premier rôle, de Julie Gauthier (Pour adultes seulement) à Eva Velasquez (Le neuvième naufragé) en passant par Kathy Khan (Leviatown), Kate Nootak (Le dernier testament), Carla Braschi (Le dernier testament, La dernière arme et La dernière frontière), Sabbah Shahi (La porte du messie et L’origine du monde), Marilyn Monroe (Marilyn X) et bien sûr les huit héroïnes de Evana 4. Au cinéma, j’ai été nourri aux seins de Rose Loomis (Niagara), Sugar Kane (Some like it hot), Jill McBain (Il était une fois dans l’Ouest), Alicia Huberman (Les enchainés). En littérature, j’ai craqué pour Jeanne Corbet (Le grand secret), Marianne de Gréville (Meurtre pour rédemption), Ann X (Transparence), Lisbeth Salander (Millenium) et Nora Hayden (La griffe du chien). Dans les séries, je reste marqué par Olivia Dunham (Fringe) et Carrie Mathison (Homeland).
Eva, le prénom de ton héroïne, cela a-t-il un rapport avec la religion, un autre de tes dadas ?
Eva Velasquez, je trouvais que le nom sonnait bien. J’aime les assonances et les allitérations et j’accorde beaucoup d’importance à la musicalité du texte, au rythme. Le nom d’Eva Velasquez m’est venu rapidement, comme une évidence. Mais rien à voir avec la religion. J’en ai fini avec le sujet. La religion a représenté cinq ans de travail, un changement d’éditeur et deux romans dans lesquels j’ai dit tout ce que j’avais à dire.
Quels sont tes projets ?
A chaque roman, je me demande si cela vaut la peine de continuer, si tout cela rime à quelque chose, s’il existe toujours des lecteurs. Les éditeurs font tout pour détruire la profession d’écrivain et favoriser l’amateurisme, en publiant des gens dont ce n’est pas le métier, qui pondent des textes durant leur temps libre et se satisfont d’être publiés pour pas un rond. Du coup les éditeurs sont en position de force pour imposer leurs misérables conditions aux misérables auteurs dont c’est encore le métier. Sur un bouquin, l’auteur touche entre 55 centimes et 2 euros amputés de toutes les taxes et charges qui lui tombent dessus. Ce n’est pas un hasard si la ministre de la culture qui va sceller la mort de cette profession est une ancienne éditrice. A ce jour, j’ai décidé d’arrêter. Tel un paquebot lancé sur la mer qui coupe les moteurs, il me reste néanmoins une force d’inertie. J’entends par là que je viens de remettre à Rageot un roman d’épouvante Yound Adult et qu’un recueil de nouvelles est entre les mains d’un éditeur. Après, je ne sais pas. Je me donne encore un peu de temps avant de décider si je tire ma révérence à l’instar de Nathan Love.
Et vu qu’il faut une question farfelue, es-tu plutôt Astérix ou Obélix ? Oui je sais ça n’a rien à voir avec ton livre, et alors ?
Ni Astérix, ni Obélix, je les trouve trop franchouillards. Ils passent leur temps à râler, à bouffer et à se battre. Je préfère de loin Falbala, la fille de Plantaquatix. C’est un personnage totalement sous exploité. Je l’aurais bien vue remplir une mission d’infiltration chez les Romains. Mais l’univers de la BD, surtout à l’époque de Goscinny et Uderzo, a longtemps été machiste. Tu l’as dit toi-même, j’aime les héroïnes fortes. Parle-moi de Lady McBeth ou de Lara Croft, mais pas d’Asterix et Obélix !
Le neuvière passager, critique