Science-fiction. Lecture et poétique d'un genre littéraire (La)

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Avertissement à ceux qui aiment les livres :

Je veux toujours faire les choses avec plaisir, mais je vois que des nuages noirs se profilent à l’horizon de notre univers commun. Bien que cela m’indispose, je vais jouer les pédants pour résister, un tant soit peu, à cet assaut de cuistrerie. Veuillez donc pardonner la chronique suivante, la consulter avec bienveillance ou plus élégamment, l’ignorer avec la superbe barbarie qui fait l’honneur de notre race de lecteurs.

La science-fiction. Lecture et poétique d’un genre littéraire

Condescendance et ostracisme vont dans un bateau.

Le titre ne vous trompera pas avec son vague côté vulgarisation facile. Nous sommes ici dans un texte qui se veut un ouvrage de référencs, mieux un normaliseur. Il s’agit de répondre de manière totale à la question lancinante de la quatrième de couverture : « Comment prendre au sérieux ce syncrétisme de thèmes dûment traités de longue date par la littérature patentée, et d’extrapolations fantaisistes sur base d’articles de vulgarisation scientifique ? ».


Irène Langlet, Maître de conférences à l’Université Rennes 2, n’est pas là pour rigoler et cela se sent. Remarque, le lecteur assez coriace pour résister à ces trois cent cinquante et quelques pages de poétique, topographie, régime extra-diégétique, polytextes et autres métafictions ne doit pas savoir non plus à quoi servent normalement les zygomatiques.

L’objectif du manuel est de construire une connaissance technique de la littérature de science-fiction, afin de comprendre notamment comment on lit les ouvrages relevant de ce genre. L’accent mis sur le comment par l’auteur renvoie à une théorie relativement courue, mise en lumière par Umberto Eco, selon laquelle l’acte de lire est un procédé de type scientifique, expérimental, fonctionnant par erreurs et corrections, hypothèses et vérifications.

L’hypothèse sous-jacente à l’étude du comportement du lecteur est que la littérature de science-fiction, comme tout autre type de paralittérature, s’organise autour d’une série de procédés, parmi lesquels en l’espèce, le novum, considéré comme une « infraction aux lois de l’univers familier du lecteur ». Il découle de cet argument l’idée d’une mécanique de lecture qui surpasse celle d’une compréhension d’un texte à trous, méthodologie chère à François Richaudeau et à la notion de redondance issue de la théorie mathématique de la communication. En d’autres termes, le lecteur procède constamment à des hypothèses de sens qui se trouvent confrontées tout au cours du récit par d’autres indices venus les combattre ou les valider : ce que Mme Langlet appelle « l’activité xéno-encyclopédique ».

En fait, l’auteur précise même que l’usage du novum, ou mot-fiction, est une constante de l’écriture de science-fiction, ou plus exactement une « signature stylistique ». Les auteurs utilisent systématiquement cet élément pour permettre au lecteur de se repérer immédiatement dans le genre : il serait en effet familier d’un champ littéraire déstabilisant et riche en incongruités. On le voit, nous ne sommes pas loin de l’activité ludique, et on pourrait aussi bien adapter cette constante de l’incongruité familière aux créateurs de grilles de mots croisés. Le genre littéraire se construit donc sur une théorie de la compétence du lecteur influant sur une théorie de la technique du rédacteur.

Une fois posées ces bases heuristiques, Mme Langlet procède à une série de vérifications sur le genre littéraire en question.

Deux problèmes importants sont ici ignorés, et pour le dire autrement, sciemment écartés de la procédure scientifique, ce qui selon moi, obère considérablement la portée objective du présent manuel. Il se veut global et n’est que partial :

1°) manque la définition de la para-littérature et par là même de la littérature elle-même : en quoi les procédés découverts ici sont-ils exorbitants de l’activité littéraire ? Mme Langlet prétend-elle découvrir le novum dans la science-fiction, et n’en point entendre parler dans la poésie (genre novesque par excellence) ou la littérature elle-même depuis Stendhal ?

2°) la taille du corpus étudié est misérable et disproportionnée. Un bref regard à l’index est édifiant : 1 entrée pour Dick, Disch, Lovecraft, aucune pour Buzzati et Vonnegut Jr, et 21 pour Gibson. L’auteur a péniblement rassemblé une centaine d’ouvrages, essentiellement postérieurs à 1975, parmi lesquels quatre romans sont étudiés finement : Neuromancien (William Gibson), L’usage des armes (Iain M. Banks), Des milliards de tapis de cheveux (Andreas Eschbach) et Chronique du pays des mères (Elisabeth Vonarburg). Quelque soit leur valeur intrinsèque, quatre livres, choisis dans les vingt dernières années, ne peuvent rendre compte d’un genre littéraire, ou alors, et c’est sans doute la clé de leur mode de sélection, ils confirment une hypothèse de travail.

Ce qui est inquiétant dans un tel biaisement des procédures techniques, c’est son idéologie globalisante : un discours qui n’a pas établi des bases logiques fortes se présente malgré cela (grâce à cela) comme un discours valide. « Toute parole est fasciste » ainsi commençait la leçon inaugurale de Roland Barthes au Collège de France : elle est fasciste en ce qu’elle impose un ordre des choses, une manière correcte de concevoir le réel. Je ne suis pas un foucaldien, mais je reconnais à Michel Foucault l’avantage indéniable d’avoir permis à la marge de questionner la norme, voire de lui dénier son insupportable esprit de contrôle et d’autorité.

Or, la méthode de Mme Langlet relève d’une telle idéologie de l’autorité ; je ne prétends pas qu’elle en est l’auteur, ni même une fondamentaliste active – de tels comportements se retrouvent dans à peu près toutes les théories critiques littéraires et je renvoie ici, immodestement, à un lien relatant ma défense du roman policier contre une approche réductive établie sur les mêmes concepts opératoires, ici.

Je prétends par contre que la méthode employée par Mme Langlet fait fi de toute l’histoire récente de l’européocentrisme et de sa critique par les sciences sociales et historiques. Il n’est jamais interdit de comprendre l’autre, mais il ne s’agit pas de le prendre au piège. La critique littéraire n’a pas à jouer avec la valorisation, avec la portée morale, l’argument du bien pour reprendre la terminologie nietzschéenne, sinon à décliner dès lors son argument de scientificité. Entre différents textes, le rôle du critique n’est pas de discriminer socialement, n’est même pas de révéler une valeur sérieuse d’un genre donné, d’un mauvais genre sans doute.

Alors que plus personne ne lit de livres, alors que les éditeurs sérieux ont boycotté pendant des années les auteurs de science-fiction et autres techniciens de l’imaginaire, en quoi l’ouvrage de Mme Langlet est-il utile ? Il vient décortiquer une méthodologie de l’écriture et en révéler la valeur divertissante. C’est une manière de disséquer le principe de plaisir, de repérer des arcs réflexes et des constantes narratives. Je comprends bien que cela présente un intérêt pour des classificateurs et des scrutateurs extérieurs, qui ont besoin d’établir un lexique commun, un protocole d’observation et une échelle des valeurs et/ou une typologie. Mais en quoi est-ce que cela rend compte du système vivant liant l’auteur à ses lecteurs en une fusion somme toute affective et assez peu mesurable ? Mesure-t-on pour avancer, ou pour figer, pour réduire le nouveau à une série de normes et de méthodes ?

La réponse présente dans cet ouvrage, sa façon de poser le problème, son institutionnalité, sont autant de critères pesant en faveur d’une littératumétrie, d’une science de la machine créatrice, prolégomène possible à l’installation par l’Université d’une machinerie de la littérature populaire. Vous avez aimé le livre en ligne, vous adorerez les lignes construites par un programme. Mme Langlet ne pouvant parvenir à l’écriture d’une fiction institue les codes qui doivent en manager la production.

La science est prise ici dans son sens le plus réducteur, en tant que rouleau compresseur des disparités en vue d’un objet industriel connu et reprogrammable. Un tel regard sur le genre littéraire est dommageable à la littérature. Qu’on ne s’étonne plus des discours actuels sur la rétribution du droit d’auteur qui inclut désormais, outre l’éditeur et l’écrivain, l’informaticien, le graphiste et le publicitaire. La conception d’une chaîne de l’écriture est directement liée à la vision fordiste d’une production de masse, et à la sacralisation d’une lecture-type.

Tant pis pour ceux qui résistent, ceux qui bricolent, ceux qui innovent. Ils ne sont pas dans le moule, et par trop réfractaires à la morale consumériste. Chantons donc avec Mme Langlet la ritournelle de la lecture asservie et délectons-nous, à l’unisson, des ouvrages dits et répertoriés comme remarquables. Dans Fahrenheit 451, les livres étaient simplement voués au bûcher. Avec la critique littéraire dissectrice qui se met insensiblement en place, ils sont désormais figés dans leur jeux de lego narratifs, dans leur logo pré-formaté. Y trouveront certainement leur compte les éditeurs post-industriels et leur servo-lecteurs.

Je ne sais pas si j’aurais donné envie aux amateurs d’entrer dans cet ouvrage aride et sophistiqué, mais j’ai essayé de retracer son ambition en quelques mots, et surtout d’en démontrer les limites. Somme toute inquiétantes.

Irène Langlet, La science-fiction. Lecture et poétique d’un genre littéraire, Couverture : Dominique CHAPON et Emma DRIEUX, 304 p., Editions Armand Colin, 2006

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Commentaires

Je vous livre un autre (et dernier ?) opus de mes échanges :

Tu pointes en quelques mots ce que je débrouille maladroitement en plusieurs paragraphes ! Irène Langlet bouscule le landerneau puisqu’elle applique les méthodes de la critique comparatiste et historique à l’Histoire Sainte de la SF. Elle n’en cache ni les béances, ni les contradictions, ni les métissages. Son tableau chronologique comparé en fin de bouquin et sa biblio sont très éclairants.

Maintenant, pour en revenir à ma marotte du livre-univers (que je pense essentielle de par sa dimension hybride), je crois qu’Irène Langlet aurait aimé développer sa réflexion sur le versant jeu et films de la SF, mais les contraintes d’un manuel de littérature - même comparée - ne lui en laissait pas le loisir. Elle le souligne en conclusion.

Tu sais que je ne suis pas familier des jeux vidéos, voire des jeux tout court. C’est à peine si je me souviens des "livres dont vous êtes le héros". Mais justement ! En faisant un tour sur Wikipedia (articles "jeux de rôle","RPG", "MMORPG"), j’ai pris conscience que l’univers ludique entre parfaitement dans la problématique de l’imagination créatrice. Et ce n’est pas par hasard si les livres-univers de Fantasy et de Science-Fantasy (voilà encore une nouvelle étiquette que j’ignorais il y a 2 semaines) occupent une place de choix dans cette industrie/subculture. J’utilise ces 2 derniers termes car je ne veux pas occulter la critique anti-consumériste des sci-fistes orthodoxes (ce débat sur le post-modernisme, l’unicité de l’art, la société de spectacle et la déliquescence des valeurs semble remonter à Walter Benjamin...dans les années 30 !), mais c’est pour en souligner immédiatement la faille : la créativité se niche parfois là où on ne l’attend pas...

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