Kurwa komara par Daniel Garot

À mon pote Radek qui m’a inspiré cette histoire malgré lui

 

Dès qu’ils eurent franchi les portes, une foule en colère se mit à les huer. En plein centre de Jacksonville, sur le parvis devant les bureaux, les hommes d’affaires se serrèrent la main une dernière fois avant de se séparer.

Quelques policiers étaient présents en prévention, afin que la situation ne dégénère pas en lynchage public. Les chaînes de télévision locale se disputaient les meilleures places pour couvrir l’évènement. La chaleur et l’humidité de cette journée estivale augmentait l’agressivité régnante.

— Monsieur Smithen ! Alors, comment s’est passée la réunion ? demanda une journaliste en approchant son micro.

— Nous avons trouvé un accord et le chantier débutera très rapidement, répondit-il.

L’homme, tout souriant, dut parler fort pour couvrir le bruit des insultes nourries qui pleuvaient de toutes parts. La journaliste se désintéressa rapidement de ce sous-fifre lorsque l’homme au cœur de la polémique tenta de se frayer un passage pour rejoindre la route. Elle introduisit rapidement son identité face à la caméra avant de tenter de s’en approcher. Les policiers formaient un cordon autour de lui. Ils avaient de plus en plus de mal à retenir la colère populaire qui s’était focalisée.

— Pourriture ! … Assassin ! … Colporteur de mort, hurlaient les gens déchaînés.

— Êtes-vous satisfait de l’accord ? continua la journaliste en poursuivant sa cible dans les bousculades. Le respect de l’environnement a-t-il été pris en considération ? Quand comptez-vous démarrer l’exploitation ?

— Pas commentairrre ! répondit ce dernier en continuant vers le taxi qui l’attendait au bord de la rue.

Il avait un accent slave guttural épouvantable en roulant les « r ». Il grimpa en vitesse à l’intérieur du véhicule. Les policiers continuaient de repousser la foule qui se rapprochait et s’agglutinait de plus en plus. Les autres membres de cette affaire en avaient profité pour s’éclipser discrètement de leur côté.

— Borrrdel, avance ! Kurwa ! jura l’homme dans le taxi. Toi attendrre quoi ?

— Où allons-nous ?

— Angle de Flaglerr Avenue et Prrudential. Grrrouille-toi, kurwa ! Je moi me faire pendrre ici si rrester plus !

Le taxi démarra et s’éloigna rapidement de la zone dangereuse. L’homme au complet noir et gris se détendit un peu et tira sur sa cravate. Elle le démangeait depuis ce matin.

Miroslaw, la quarantaine, bien bâti et un tempérament de vainqueur anabolisé, était très satisfait de cette journée. Évidemment, les écologistes et autres défenseurs de la nature seraient toujours dans ses jambes, et encore plus à partir de maintenant, mais il avait la loi de son côté. Tous les papiers étaient enfin en ordre et il allait pouvoir commencer son projet.

La réunion, qui avait duré une grosse partie de la journée, avait rassemblé le gratin de l’État de Floride. Le maire de Jacksonville – il n’avait pas trop compris la raison de sa présence d’ailleurs –, une délégation ministérielle de l’environnement, des actionnaires de « Chemilizer Industry », les responsables du parc naturel, et tout un bataillon de notaires et d’avocats, avaient discuté et palabré pour convenir des modalités de l’accord. En tant que propriétaire, il avait ressenti un incommensurable soulagement lors de la signature du contrat. Celui-ci lui accordait l’exploitation minière de trente-quatre kilomètres carrés dans les marais d’Okefenokee, zone presqu’entièrement protégée, à cheval sur la Floride et la Géorgie.

Expatrié de la Pologne avec un gros héritage familial en poche, sans la moindre expérience dans ce milieu de requins, il était en train de réaliser son rêve américain : devenir un gros bonnet de l’industrie. Sa future exploitation de minerai de phosphate et de cadmium allait faire de lui un multimillionnaire, peut-être même milliardaire.

Le taxi arriva à l’adresse donnée après quelques longues minutes. Miroslaw en descendit et pénétra dans l’entrée du Hampton Inn, un hôtel trois étoiles avec piscine extérieure, un peu retiré du centre-ville. Il y était descendu pour finaliser cette affaire et il avait hâte de retourner demain dans sa petite propriété, où son épouse Silwia l’attendait.

L’année dernière, bien décidé à réussir, il avait acheté une villa plutôt confortable à Sandy Springs, au Nord d’Atlanta. Ce n’était pas un palace mais il n’avait pas pu trouver mieux. Son investissement avait englouti presque la totalité de son capital. D’ailleurs, si l’accord avait encore été repoussé de plusieurs semaines, c’était la ruine assurée. La question étant à présent réglée, il était fort probable que les promoteurs s’étaient déjà activés pour envoyer des machines et du matériel sur le chantier. Dans quelques mois, il logerait dans un château.

Miroslaw prit une douche bien méritée. Il avait transpiré comme un cochon pendant cette interminable réunion. Les nerfs détendus, il finit par s’assoupir devant une émission de variétés après avoir mangé un copieux repas. Les paroles des conviés, déjà inintéressantes à la base, s’étaient lentement transformées en un borborygme mâchouillé au ralenti. Au bout de quelques minutes à forcer sur ses paupières pour les maintenir à peu près ouvertes, il abandonna la lutte perdue d’avance.

« gniiiiiiii…. »

Gesticulant des bras, il fut arraché du sommeil dans lequel il s’enlisait. Profitant de cette interruption, vaseux, il coupa le téléviseur et alla se mettre au lit. C’est à peine s’il prit conscience de ce qui l’avait éveillé.

En cette belle fin de soirée douceâtre, il ne mit pas longtemps à replonger dans l’inconscience. Il se mit à rêver de son usine.

Des tapis roulants émergeaient du sol et convoyaient des liasses de dollars jusqu’à une piscine géante, dans laquelle il se baignait. Son rêve était très proche d’un dessin animé qui l’avait marqué étant jeune. Oncle Picsou qui sautait dans un énorme tas d’or depuis un plongeoir. Il savourait sa nouvelle richesse avec complaisance, gonflé de vanité, d’arrogance, de fierté… lorsqu’un avion à réaction passa au-dessus de sa tête, à quelques mètres à peine.

« gniiiiiiIIIIIIIIIIiiiiiiiii….. »

— Borrdel ! Je pas possible, fils de pute, kurwa !

Immédiatement éveillé, il se dressa brutalement. Désorienté, il prit quelques instants pour reprendre ses repères : Hampton Inn, chambre 8. Assis dans le lit, il avait les yeux ouverts comme des soucoupes pour tenter de voir quelque chose dans l’obscurité. Tout en marmonnant des insultes sans s’en rendre compte, il attendit quelques minutes dans cette position, à l’affut d’un bruit ou d’un mouvement. Sa grossièreté était devenue une manie qu’il n’arrivait plus à contrôler. À la moindre contrariété, il se mettait à jurer.

À peine son attention relâchée, s’apprêtant à s’allonger de nouveau, le bruit se manifesta, plus discrètement.

« wiiiiii… »

— Un moustique ! Borrrdel !

Miroslaw alluma la lumière et s’empara d’un soulier. Debout sur le lit, les jambes un peu fléchies et le bras armé derrière lui, il se tenait prêt à frapper. Il n’avait plus du tout envie de dormir, même si les poches violacées sous ses paupières exprimaient le contraire. Il zieutait chaque recoin de la pièce, forçant ses yeux à capter le moindre indice de la présence de cet insecte nuisible.

« wwWWIIIIIIIIIIiiiiiiiiiwww…. »

Un passage en rase-motte, à quelques centimètres de lui, du moins en eut-il la sensation, le surprit subitement. Frappant dans les airs au hasard, il en perdit l’équilibre. Moulinant des bras sans résultat, à part éjecter la chaussure qu’il avait en main sur la lampe de chevet, il tomba du lit en se heurtant la tête contre le montant de l’encadrement en métal.

Un « ping » sonore retentit. L’écho perdura quelques instants.

      *

— Je suis nèppalla ! Laissez message aprrès bip ! énonça la boite vocale.

« Biiiip »

— Mirek ?! C’est encore moi ! J’attends ton appel depuis hier ! Tout va bien ? Rappelle-moi, je m’inquiète !

Silwia raccrocha le téléphone, de plus en plus anxieuse. Malgré tout, elle ne put s’empêcher d’avoir une pensée moqueuse en ayant entendu la boîte vocale de son mari. Alors qu’elle l’aidait à configurer le message d’accueil, elle s’était contentée de lui suggérer : « Tu n’as qu’à dire que tu n’es pas là ! Puis de laisser un message ! ». Miroslaw, d’un naturel récalcitrant à l’apprentissage, ne comprenait pas les subtilités des langues étrangères. Il avait mis en pratique les conseils de sa femme au pied de la lettre.

Elle avait bien essayé de le corriger, mais son tempérament très sanguin l’en avait vite dissuadée. Après quelques : « Rrrien à foutrrre, borrrdel, kurwa ! », elle avait fini par laisser tomber. Silwia se demandait parfois comment c’était possible qu’un homme tel que Miroslaw puisse réussir dans le monde des affaires. C’était tellement à l’opposé de sa nature plus… primaire.

En attendant, elle tournait en rond dans sa maison après avoir passé une nuit pourrie. La réunion s’était, en principe, déroulée la veille et elle n’avait toujours aucune nouvelle de son homme. Son téléphone semblait éteint. Elle espérait que ce n’était que ça, et pas autre chose de plus grave. Une petite voix lui murmurait tout de même qu’il aurait pu téléphoner depuis l’hôtel si c’était le cellulaire le fautif.

Ruminant des plans catastrophes, elle était en route vers la cuisine lorsque la sonnerie de la porte d’entrée la fit sursauter.

« Krrrrrrrrrrrrââââ »

Décidément, il va vraiment falloir remplacer ce carillon, pensa-t-elle en mettant la main sur le cœur pour en calmer les battements. Le bruit ressemblait à un cri d’animal malade, un hybride entre un ptérodactyle enroué et un moulin à poivre. Elle alla rapidement ouvrir la porte d’entrée.

Deux policiers en uniforme se tenaient sur le pas de la porte.

— Madame Dabrowski ? demanda le plus âgé. Silwia Dabrowski ?

— Heu… Oui… C’est bien moi !

Le cœur accélérant de plus belle, les pensées affluèrent dans le cerveau de la femme. Des policiers à dix heures du matin et aucune nouvelle de mon mari depuis deux jours. C’est sûr, il lui est arrivé un malheur !!

— Connaissez-vous monsieur Miroslaw Dabrowski ?

— Oui. C’est mon mari. Que se passe-t-il ? Oh non, mon Dieu, j’espère que l’assurance-vie est en ordre !

      *

— Aïïïïeeeeee ! Kurwa yeban ! Borrdel ! hurla Miroslaw.

Il se frotta le haut du crâne en grimaçant, fulminant de colère. Une jolie bosse était en train de se former. Il en avait vu d’autres bien pires que ça, mais il alla tout de même vérifier dans la salle de bain si ça ne saignait pas.

Après avoir ausculté son cuir chevelu avec attention, il retourna dans la chambre.

S’il était rassuré de ne pas avoir de blessure physique, il en était tout autrement pour son état d’esprit. La guerre était déclarée ! Il n’aurait aucun répit tant que cette satané bestiole ne serait pas débusquée, et écrabouillée.

À la recherche d’un magazine quelconque, il finit par ouvrir sa serviette pour en sortir un paquet de feuilles. Il aurait préféré prendre autre chose que son contrat fraichement signé, mais il n’avait rien d’autre sous la main. Il roula les documents bien serré afin de s’en servir comme tapette.

La traque commença.

Au bout de seize interminables minutes de recherche, il repéra le salopard. Un bon gros centimètre de long, profilé comme une fusée. Il s’était dissimulé juste à côté de la tringle à rideaux. À pas feutrés, Miroslaw approcha une chaise. Il se glissa dessus sans le moindre son. Il prit son élan et, les yeux écarquillés, la respiration retenue, se prépara à occire le monstre.

« BAM ! »

Il frappa comme une brute ! Le bruit fit résonner le mur.

Il retira délicatement sa matraque improvisée et, avec un sourire triomphant, il aperçut une tache sanguinolente sur le mur. Satisfait, il replaça négligemment le contrat dans sa serviette et se dépêcha de retourner au lit. Il allait enfin pouvoir récupérer quelques heures.

Énervé par cet incident, il ne retrouva le sommeil que vers quatre heures du matin, à la suite d’une énième vérification sur le réveil. Son dernier songe refit son apparition et le submergea.

Après quelques brassées dans sa piscine de billets de banque, il se mit à trier les espèces par ordre de valeur. Il plongea la main pour en attraper une poignée supplémentaire, lorsqu’il sentit une décharge, comme s’il venait de se faire couper par du papier.

De nouveau éveillé, il constata qu’il était en train de se gratter le dos de la main gauche avec acharnement. Il alluma la lampe de chevet. Sa main était gonflée, toute rouge, avec une petite protubérance au milieu. Ça le démangeait terriblement. Aucun doute possible, c’était une piqûre d’insecte.

Un doute s’installa dans son cerveau.

Le sommeil semblait l’avoir abandonné pour de bon. Éclairant la pièce comme une cathédrale, il alla revérifier à côté de la tringle à rideaux. Plus la moindre trace de sang ! Par acquis de conscience, il vérifia la seconde fenêtre, au cas où son esprit lui jouait des tours. Au moment où il s’approcha de celle-ci, un bruit strident fusa à son oreille.

— Borrrdel ! Quoi toi toujourrs vivant ?! Kurwa, fils de pute, borrdel !

Il gesticula en désordre tout en tâchant de repérer d’où le bruit venait. L’animal semblait le narguer, indifférent aux tentatives pour le faire fuir. Le moustique passait et repassait à proximité de ses oreilles, alors que Miroslaw ressemblait à un danseur de « tektonic » sous ecstasy.

La vision troublée par ses grands mouvements désordonnés, l’homme, tout essoufflé, dut s’asseoir, avant de s’écrouler dans les vertiges qui l’assaillaient. La tête entre les mains quelques instants, il tenta de reprendre son calme. Poussé par un réflexe, il se gratta le poignet et hurla de rage instantanément après s’en être rendu compte. Il avait une nouvelle piqûre juste à côté de la première.

Il bondit sur ses pieds. Le monde vacilla autour de lui. Il reprit son contrat en main et se mit à taper au hasard. Alors qu’il s’acharnait à se débarrasser de cet ennemi invisible, celui-ci l’assaillait sans relâche. Dans des attaques en piqué, le moustique portait des agressions sonores insupportables.

À bout de souffle, Miroslaw s’arrêta un instant, les nerfs à vif. Il avait à présent l’impression que son cerveau était rempli de ces sales bestioles bruyantes. Tournant la tête dans des gestes saccadés, il entendait des attaques inexistantes, submergé par des rémanences auditives à force d’être focalisé sur ce son.

Le moustique profita de ce moment d’inertie pour piquer sauvagement son pied. Miroslaw s’asséna un monumental coup de matraque en papier sur le tibia, ce qui lui fit de nouveau perdre l’équilibre. Il entraina le téléviseur dans sa chute, ainsi que le meuble sur lequel il était. Son regard se posa sur un objet qui trainait à présent au milieu des débris d’une coupelle en verre.

Rouge écarlate, bouillonnant de fureur, il poussa des pieds la table basse, sans se soucier du vacarme. Les yeux injectés de sang et les lèvres retroussées, il se dirigea d’un pas lourd et résolu vers la salle de bain.

Il revint dans la pièce principale quelques instants plus tard avec un spray de déodorant en main. Il piocha au sol la pochette d’allumettes au sigle de l’hôtel, qu’il avait repérée juste avant. Il en craqua une et appuya sur la valve du déodorant.

Avec son lance-flamme improvisé, il se mit à courir partout dans la pièce tout en s’esclaffant d’un rire dément.

— Évite ça, kurwa !

           *

— Vous êtes connu, non !? Une vedette télé ?

L’homme habillé en blanc venait juste d’entrer dans la chambre. Il avait un plateau repas dans les mains, qu’il déposa sur le présentoir au-dessus du lit. Miroslaw en déduisit que c’était un jeune homme d’origine hispanique car il portait un bandana rouge dans les cheveux.

— Quoi moi fairre ici ? Je suis où ?

— Ouiii, voilà, je me rappelle ! reprit l’infirmier sans se soucier des paroles du patient. Bien sûr. On vous y a déjà vu. Je n’oublie jamais un visage. C’était pendant les informations d’hier. Vous zzêtes le gars de l’usine chimique là.

— Je êtrre où, borrdel ?!

— Vous zzzavez pris un sacré coup, dites donc ! Vous zzzzêtes à l’hôpital. Je vais demander au médecin de passer. Ça ira pour manger, m’sieur ?

— Je moi ça va !

Le jeune homme sortit de la pièce, tandis que Miroslaw tenta de réunir ses souvenirs pour savoir comment il avait pu atterrir ici. La journée était ensoleillée et ça le perturbait. Combien de temps d’inconscience ? C’était le noir complet depuis le moment où il était rentré de la réunion d’entreprise.

Un homme grisonnant et de forte stature pénétra dans la chambre sans s’annoncer.

— Ah ! Monsieur… Dabrozzzzzzzski, vérifia-t-il sur sa fiche, vous zzzzzzêtes réveillé ! Comment vous sentez-vous ?

— Je pas savoirrr quoi moi fairre ici !

— On vous zzzzza trouvé inanimé dans une chambre d’hôtel pendant une intervention de pompiers. Vous souffrez de quelques brûlures légères et d’une commotion. Vous ne vous souvenez pas de ce qu’il s’est passé ?

Miroslaw chercha quelques instants, les yeux dans le vague. Une impression désagréable sourdait à ses oreilles mais il n’avait aucun souvenir. Il fit non de la tête en regardant le médecin.

— Ce n’est pas bien grave, ne vous zzzzzzzinquiétez pas. Une petite perte de mémoire passagère dûe au choc sans doute. On va vous garder en observation un jour ou deux.

Miroslaw trouvait que cet homme parlait étrangement, comme l’infirmier d’ailleurs. Il mit ça sur le coup de la commotion. Par contre, les petits points qu’il avait devant les yeux l’inquiétaient un peu plus. Il comptait en parler au médecin mais ne savait pas comment l’exprimer autrement qu’en polonais. Alors qu’il allait ouvrir la bouche pour parler, la porte de la chambre s’ouvrit de nouveau. Sa femme pénétra à l’intérieur, en panique.

Ses traits se radoucirent lorsqu’elle vit que son mari n’avait que quelques simples bandages.

— Ah, Mirek ! Tu m’as fait très peur, tu sais ! Heureuzzzzzzzement que la réception de l’hôtel à penser prévenir les zzzzzzzzautorités. Alors, comment tu vas ?

Miroslaw se sentait bizarre. Trop de monde dans sa chambre alors qu’il souffrait d’une commotion. Pour lui, ce n’était déjà pas très normal que la chambre ne soit pas plongée dans la pénombre. Avant qu’il puisse répondre, le médecin prit la parole à son tour.

— Et bien, je vais vous laisser quelques zzzzzzinstants. Je reviendrai d’ici trente minutes et nous nous zzzzzoccuperons de cette blessure à la main, dit-il juste avant de sortir.

Couché dans son lit, Miroslaw observa sa main gauche, bouffie sous un bandage qui ne laissait dépasser que le bout de ses doigts. À sa vue, tout lui revint en mémoire. Le moustique, les piqûres, l’incendie, la chute… Il n’entendait même plus sa femme qui continuait de parler et de lui poser des questions.

— Heureuzzzzement, tu pourras continuer de travailler. Et tu pourrais zzzzzaussi me dire…

Passant de sa main à sa femme, de sa femme à sa main, Miroslaw ressentit une impression d’éloignement. Et ce bourdonnement insupportable qui reprenait de plus belle. Ça le rendait marteau.

— …cozzzzzzzment zzzzest pazzzzé la réunion ? Ne mezzzzz dit pazzzzz quezzzzz…

Alors que le monde vacillait de nouveau autour de lui, le visage de sa femme se transformait étrangement. Ses joues ondulaient. Ses lèvres se déformaient en articulant des sons de moins en moins compréhensibles. Il se frotta les yeux douloureusement avec sa main bandée, tapant également sur son oreille pour faire disparaître ce vrombissement incessant.

— …zzzzzz de zzzzzzz sur zzz zzzz zzzzzzzzwiiiiii…

La tête de sa femme prenait des proportions aberrantes. Ses yeux gonflèrent et se fragmentèrent en des centaines de facettes. Ses cheveux se rassemblèrent en deux couettes dressées sur le front qui retombaient vers l’avant. Sa langue s’allongea jusqu’à former un espèce de dard immonde et poilu. Les gestes de ses bras ressemblaient de plus en plus à des battements d’ailes.

Sous ses yeux effarés, sa femme se transformait en un monstrueux moustique. Le cœur battant la chamade, Miroslaw, tout en hurlant, bondit hors du lit en arrachant le compte-goutte.

Komar !!! Kurwa komara[1] !!!!!

Il s’empara du plateau-repas en aluminium et se mit à fracasser la tête de l’insecte géant avec celui-ci. Les muscles bandés au maximum, il abattait le plateau sans relâche, comme une hache sur un arbre.

Attiré par les hurlements d’une infirmière de passage, la sécurité intervint quelques minutes plus tard et réussit à maitriser l’homme.

Silwia gisait au sol, la tête en marmelade, des bouts d’os et de cervelle éparpillés tout autour. Le plateau-repas, tout cabossé, dégoulinait d’un mélange de sang et de liquide cérébral. Un globe oculaire avait été éjecté par la fureur des coups. Le nerf s’était enroulé autour de la poignée de la potence du lit. Il balançait toujours alors que la police faisait les premières constatations.

Solidement attaché dans une autre aile de l’hôpital, sous l’effet des puissants calmants qu’on lui avait injectés, Miroslaw souriait. Le bourdonnement avait disparu.

       *

Il parcouru la distance à une allure de croisière. Il mit beaucoup de temps pour rentrer chez lui mais, le temps, ce n’est qu’une affaire d’homme. Dans un bruissement d’ailes strident afin de prévenir ses congénères, il se posa en vainqueur sur la pancarte à moitié décrochée. Sur celle-ci, on pouvait encore y lire une écriture qui serait bientôt effacée : « Chemilizer Industry ».

 

Extrait de Bazaar de Stephen King, Éditions Albin Michel, 1992.

 

Ou en PDF http://www.phenixweb.info/sites/default/files/kuraw-komara-daniel-garot.pdf

 

[1] Moustique !!! Putain de moustique !!!!!

 

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