Kérozène

Auteur / Scénariste: 

Une station-service le long de l'autoroute, une nuit d'été. Sous la lumière crue des néons, dans les odeurs d'essence et d'asphalte, quelques tables en plastique jaune délavé.

23h12. Ils sont quinze à se croiser, si on compte le cheval et le cadavre planqué à l'arrière d'un gros Hummer noir. Une minute encore, et tout bascule…

 

En 2018, Adeline Dieudonné déboule dans le paysage littéraire francophone avec La vraie vie, récit prenant, piquant et picaresque d’un quotidien entre ennui, déroute et violence. L’auteur jongle avec les mots et manie avec soin les ruptures de ton. Ajoutez à cela un sens inné de l’équilibre qui lui permet de jouer les rebelles… sans vraiment dépasser la limite.  Une campagne de promo menée avec talent fera le reste. Plus de 250.000 exemplaires vendus, dans un monde du livre que l’on dit morose, c’est bien évidement un exploit. Reste que le talent d’autrice est là et bien là, ce qui fait rapidement d’Adeline Dieudonné la nouvelle coqueluche du petit monde littéraire bruxello-centré. Chroniques radios, appels à projets, écritures à plusieurs mains, adaptation de La vraie vie au théâtre… Et surtout l’attente d’un nouveau roman.

 

De son propre aveux, Adeline Dieudonné se lance dans l’exercice sous pression. On devine que dans les coulisses, ils sont aussi (plus ?) nombreux à attendre la confirmation, que la chute du « talent d’un jour ». Pression telle que le premier roman envisagé, sur le thème du grand effondrement, finit dans un tiroir. Suspense. La plume était-elle celle d’un oiseau qui ne chantera qu’un été ?

En fait non. Maligne, l’autrice rebondit en éclatant son écriture et en refusant la convention du roman narratif classique. En lieu et place d’une saga, d’une histoire, d’un fil conducteur, elle nous propose un lieu. Une station-service perdue quelque part sur une autoroute, où des personnes se croisent, poussés sur bitume gras par le souffle du hasard. On pourrait trouver là matière à railler, à dénoncer une pirouette facile, une ficelle trop épaisse pour échapper au danger d’une trame complexe et de personnages fouillés.

Ce n’est pas le cas. Parce que les portraits que nous propose Adeline Dieudonné ont tous ce petit quelque chose en plus qui nous pousse à avancer plus loin dans le récit. Comme dans La vraie vie, l’autrice manie avec brio la rupture, l'inattendu, l’image qui surprend. Alors que l’on pense flirter avec le cliché, une phrase vient griffer la surface trop lisse du récit. Que cela soit une truie se baladant dans le salon d’un couple de bobos, un palefrenier qui parle aux esprits d’un lac ou encore une prof de pole-dance qui pète un câble, Kérosène est rempli de petites pépites littéraires qui font sourire, rire ou grincer des dents.

 

On pardonnera du coup, sans mal, une fois le livre refermé, qu’il ne se trouve pas entre ses pages de révélations fracassantes, de lien unique et surprenant entre ces personnages ou d’intrigue sous-jacente soudain révélée.

Après tout, c’est bien souvent comme cela qu’est la vie. Drôle, triste, tendre, violente et délicieusement chaotique.

 

Adeline Dieudonné, Kérosène, Éditions L’Iconoclaste

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