Kamikaze l'amour
"Kamikaze l’amour" est le titre de l’album qu’il n’a jamais pu achever. "Il", c’est Ryder, star du rock de l’an 2000, revenu de tout et qui plonge dans la folie, l’obsession, la drogue, la déprime. Il cherche désespérément le "son", un son qui serait lumière et inversement. Après un faux suicide, il parvient à s’échapper d’un hôpital psychiatrique. Laissé pour disparu, il entame alors une longue quête à travers un monde nouveau qui le mènera jusqu’à un Los Angeles radicalement transformé. Car en ces temps futurs, la végétation tropicale a envahi la Californie, et la côte ouest ressemble à l’Amazone. Il rencontre une fille fascinante, Frida-Catherine, qui elle aussi cherche le "son" au travers des bruits de la vie dans ce monde étrange où des somnambules miment leur univers quotidien et où les trams se font attaquer par des loubards. Leurs quêtes deviennent fleuves de rêves… La fille disparue, Ryder se lance à sa recherche au long d’un voyage infernal, ne se nourrissant que d’alcool et de médicaments.
L’on pense fréquemment, le style en moins, aux paysages intérieurs du Ballard de "Vermillion Sands" ou surtout du "Monde englouti " : immeubles perdus dans la jungle, maisons de corail, salle de cinéma isolée dans la forêt (superbe évocation pp. 176 e.s.). Arrivé à Los Angeles, il y retrouve son premier imprésario, dominant une faune complètement décadente, et erre à nouveau dans la ville. Notons ici l’obsession de l’auteur pour l’"âme des villes". Il reverra enfin sa Frida-Catherine, après avoir communiqué étrangement (par la drogue, à nouveau) avec une tribu d’Indiens. Le roman culmine par un séisme détruisant, et Los Angeles, et les dernières certitudes de Ryder. Non, la rock-star ne "ressuscitera" pas à nouveau, mais, résignée, se réfugiera dans l’incognito, tout en continuant ses recherches musicales sur le son-lumière : il s’est enfin trouvé.
Oeuvre-fleuve, "Kamikaze l’amour" est à parcourir comme le destin de son pitoyable héros : avec errance, abandon, élans et joies traversés de désespoirs. Parfois hermétique (les titres des chapitres sont abracadabrants, mais les notions de "fractales" et autres, importantes, sont explicitées dans une "petite médiagraphie sélective" conclusive du traducteur Jean Bonnefoy), profondément surréaliste (Max Ernst et Tanguy pour les maisons de corail, par exemple, p. 230), parsemée de scènes humoristiques (l’enlèvement des plaques des stars sur Hollywood Boulevard, p. 256, l’énergie des studios provenant de sous-marins nucléaires désarmés), ce roman est chalereusement conseillé, avant qu’il ne deviennne un livre-culte…
Richard KADREY, Kamikaze l’amour, Présence du Futur n° 582, Denoel