+ Jacques Sadoul (1934-2013)

Après Chambon en 2003, Van Herp en 2004 et Goimard en 2012, voici le quatrième grand Jacques de la SF à nous quitter. Sommes-nous orphelins ? Un peu quand même : voilà des figures incontournables qui disparaissent, l’une après l’autre. Incontournables car elles ont, chacune à sa manière, éduqué au genre. Chambon par ses activités hors pair de critique et d’éditeur, Van Herp par sa recherche insatiable de liens avec le passé conjectural, Goimard avec son immense curiosité envers tous les domaines de l’imaginaire et Sadoul par son approche historique irremplaçable. Tous quatre resteront, Chambon comme l’âme de Présence du futur, Van Herp pour son fameux Panorama de la science-fiction, Goimard pour ses quatre volumes de critiques et Sadoul pour son Histoire de la science-fiction moderne.

Ce dernier ouvrage fit l’effet d’une bombe en 1973. En effet, l’auteur approchait le genre par le biais des revues et magazines américains et anglais, angle très original pour l’époque. N’oublions pas que Sadoul, à ce moment directeur de collection chez J’ai lu, éditait une série d’anthologies consacrées à ces pulps mythiques qu’étaient Amazing Stories, Astounding Stories, Weird Tales ou autres Unknown, alors tout à fait ignorés du public francophone, lequel était plutôt axé vers la SF contemporaine à la P. K. Dick par le biais de la revue Fiction. Sadoul ravivait ainsi la mémoire, rappelant que la SF n’était pas née en 1945. Le second grand intérêt de cette Histoire de la science-fiction moderne, rééditée en cinq volumes en 2000-2001, outre cette approche par revues, résidait dans les courts résumés pour chaque nouvelle ou roman importants. Le lecteur pouvait ainsi se former une idée de l’intrigue et choisir ses lectures. Procédant de la sorte, Sadoul rendait un service formidable à tous les futurs amateurs du genre, en les orientant : chacun pouvait lire ce qui l’interpellait.


L’édition SF étant florissante dans ces années 1970, il a été, avant les frères Bogdanoff ou Stan Barets, le guide de toute une génération, ce pour lequel il doit être grandement remercié. Certes, il avait ses goûts et les avançait crânement. Ainsi, il n’appréciait que médiocrement Hal Clement ou Ursula LeGuin, mais promouvait Sheckley, Sturgeon, Pohl, Asimov ou Silverberg. A chacun bien sûr d’effectuer ensuite ses choix ultérieurs. Aux côtés de la redécouverte des anciens auteurs de pulps tels E. E. Smith, le Dr. Keller, Stanley Weinbaum ou… H. P. Lovecraft, Sadoul était également très attentif à la SF de son temps et édita, jusqu’en 1989, la série Univers dédiée aux meilleurs nouveaux auteurs émergents.

Tout ce travail extraordinaire, qui aurait à lui seul rempli une vie, ne doit pas faire oublier qu’il fut en plus le créateur, dans les années 1960, du mythique « Club du Livre d’anticipation » chez Opta ou de la série « Galaxie-bis », puis du Prix Apollo décerné de 1972 à 1990. Enfin, et contrairement à Van Herp et Goimard lesquels ne furent essentiellement qu’essayiste ou anthologiste et critique, il fut également auteur de romans intéressants. Etrange constatation, cette facette de son talent était plutôt dirigée vers le roman policier ou surtout la Fantasy, ainsi qu’en témoignent le remarquable Cycle du Domaine de R., fleuron de la littérature française du genre, ou le testamentaire Shaggartha.

Signalons aussi ses amusantes et caustiques mémoires, parues sous le titre C’est dans la poche en 2006, retraçant tout son parcours éditorial et fictionnel.

Pour terminer, j’aimerais ajouter une petite note personnelle. Si j’ai très bien connu Van Herp et rencontré plusieurs fois Goimard, je n’ai jamais vu Sadoul, à mon grand regret. Mais j’ai eu le bonheur de réaliser une interview par écrit, parue dans le PhénixMag n° 10, et que vous pouvez consulter sur http://www.phenixweb.net//sites/default/files/N10.pdf). Rencontrer ou avoir pu connaître ces trois dieux de la SF m’aura été une grande joie, et écrire le présent texte représente pour moi comme un remboursement d’une dette immense.

Merci, Jacques Sadoul, pour votre inestimable contribution à la littérature que nous aimons. Les dieux ne meurent pas tout à fait : ils restent en nous.

Type: 

Commentaires

Merci Bruno pour cet hommage aux personnes qui ont joué un si grand rôle dans la vie de cette littérature que nous affectionnons.