Jack Vance (1916-2013)

Auteur / Scénariste: 

Et Ruth se demandait

Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,

Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,

Avait, en s’en allant, négligemment jeté

Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.

Victor Hugo

Jack Vance était un vieux conteur, un très vieux conteur. On le savait aveugle, dictant ses derniers récits. Il était une icône de la SF, de la fantasy, de la science-fantasy, difficile à classer mais admiré de tous.

Dans un cadre science-fictif sans doute (le « planet opera »), il nous emmenait, planète après planète, découvrir de nouveaux mondes et il est certainement en train d’en découvrir encore… Ses romans les plus connus font partie de cycles : Les Princes-Démons, Tschaï, Alastor, Durdane, Lyonesse. Il disposait là, en trois ou quatre volumes, du temps et de l’espace pour créer des univers entiers, fouillés, explorés par un ou plusieurs héros jusqu’à plus soif. Les quatre mondes de Tschaï, par exemple, ou les deux premiers livres de Lyonesse, sont des chefs-d’œuvre absolus à cet égard. Descriptions précises de peuples différenciés, analyse de civilisations dans tous les domaines, de l’histoire à la religion en passant par les festivités, les vêtements, les mœurs sexuelles, la gastronomie ou les rites inhérents à chacun. Son talent fou rendait le lecteur complice, à un point tel qu’il devenait lui-même indigène de la planète rencontrée et ne la quittait qu’à regret. Certes, l’intrigue, parfois, n’était que secondaire, et le décor la supplantait souvent. Et alors ? N’est-ce pas là l’essence de ce fameux « sense of wonder » typique des littératures de l’Imaginaire, sens que Vance possédait au plus haut degré ? Les aventures de Cugel l’astucieux sont en elles-mêmes moins importantes que le monde de planète mourante dans lequel il évolue, tout comme la fameuse « Big Planet » arpentée dans le très brillant « Les Baladins de la planète géante » dont les personnages picaresques forment une troupe d’opéra itinérante ? Il ne faut pas oublier non plus les romans isolés, hors cycles, tels Emphyrio, Space Opera, ou To live forever, petits brillants uniques à savourer seuls.


Comme le sont aussi ses abondantes nouvelles dont je ne citerai que l’extraordinairement poétique Le Papillon de lune, basé sur un langage de masques. Vance avait aussi, mine de rien, une légère propension au message. Oh, certes sous-jacent mais, dans des romans tels que Les langages de Pao, ou Les maisons d’Iszm, une certaine philosophie politique et humaniste se dégage. C’était sans doute involontaire, mais, un peu à l’instar des Bob Morane d’Henri Vernes, l’écrivain distille inconsciemment une petite musique de tolérance et d’ouverture aux autres, bien propre à une certaine SF, celle d’un Simak, par exemple.

L’exploration de nouveaux mondes, spécialité de Vance, donne lieu à réflexion, plus souvent que l’on ne le croit. Enfin, n’oublions pas que ce vieux baroudeur a également écrit d’excellents thrillers comme Bad Ronald, histoire terrifiante d’un petit garçon enfermé dans un placard. Descendant direct d’Edgar Rice Burroughs, Jack Vance a été un grand romancier d’aventures et un héraut de la science-fantasy. Il aura fait rêver d’innombrables lecteurs, fascinés par son talent d’évocation, talent chez lui qui touche au génie. Le « sense of wonder », c’est lui. Merci de nous avoir tant émerveillé, old chap !

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