Invasion
Évolution
Variations sur un même thème
Publié en 1955, "The Body Snatchers" de Jack Finney s’est rapidement imposé comme un roman incontournable de la SF. Un an plus tard, sa première adaptation cinématographique, réalisée par Don Siegel et inspirée par l’anticommuniste galopant aux USA en pleine époque de la guerre froide, marquait les esprits et fait encore office, à ce jour, de film culte. Suivirent ensuite la version réalisée en 1978 par Philip Kaufman, marquée quant à elle par la Guerre du Vietman et l’affaire du Watergate, puis celle de 1994 mise en scène par Abel Ferreira, basée sur la crise de l’institution familiale et la rébellion adolescente face au monde des adultes et à l’autorité.
Aujourd’hui, Invasion nous propose une réinterprétation très contemporaine du roman originel axée, cette fois-ci, plus sur les risques de pandémie et la diffusion d’un virus qui, pour l’occasion, est d’origine extraterrestre mais qui pourrait tout aussi bien ne pas l’être. En effet, il serait tout aussi plausible de transposer l’histoire en partant du principe d’une contamination mondiale causée par un phénomène soit d’origine "naturel" (du genre maladie de la "vache folle", grippe aviaire, grippe espagnole, ébola, etc), soit créée de toutes pièces par des manipulations génétiques malveillantes (dans un contexte spécifique du genre attaque terroriste ou guerre bactériologique) et qui aurait pour résultat, au final, d’éradiquer toute vie humaine sur terre, avant même qu’on ait le temps de mettre au point un vaccin efficace. Dans cette nouvelle version, il est également possible de considérer cette "contamination" sous l’angle d’une "conversion forcée" (du genre intégrisme religieux ou encore embrigadement sectaire). Chacun pourra donc transposer la "lecture" du scénario comme il l’entend, compte tenu de la complexité du contexte politico-socio-économique mondial actuel.
Crash
Une énorme explosion embrase le ciel au-dessus des États-Unis, la navette spatiale "Patriot" (la bien nommée !) vient de se désintégrer en rentrant dans l’atmosphère terrestre, à la suite de quoi on retrouve des milliers de débris éparpillés sur le sol, un peu partout de Dallas à Washington. Les autorités prennent aussitôt la situation en main et tentent de boucler rapidement le périmètre. Des scientifiques appartenant au Centre de Contrôle des Maladies sont alors chargés par le Gouvernement d’aller enquêter sur place afin d’évaluer d’éventuels risques sanitaires. Parmi eux se trouve Tucker Kaufman. Peu de temps après, d’étranges rumeurs commencent à circuler : on aurait trouvé, collée aux débris de la navette, une étrange matière d’origine inconnue et hautement toxique, capable de résister à des températures extrêmes. En l’examinant au microscope, cela ressemble à des spores mais il est hors de question pour les autorités de révéler au grand jour cette découverte afin de ne pas déclencher une panique généralisée.
Strange days
Quelques jours après le crash, Carol Bennell, une psychiatre de Washington, reçoit en consultation une de ses patientes qu’elle suit depuis des années et qui est victime de violence conjugale. Cette dernière lui raconte qu’elle ne reconnaît plus son mari tellement son attitude à son égard a subitement changé du tout au tout. Dans un premier temps, Carol pense que sa patiente souffre de délire paranoïaque et se contente alors de lui prescrire de nouveaux médicaments. En fait, pour le moment, Carol a bien d’autres préoccupations en tête. En effet, le soir d’Halloween, son jeune fils Oliver ramène à la maison une friandise recouverte d’une mystérieuse substance inconnue qui semble vivante dont elle s’empresse de confier un échantillon à son ami et collègue, Ben Driscoll, afin qu’il l’analyse. Elle se pose également toutes sortes d’interrogations concernant le retour impromptu dans sa vie de Tucker Kaufman, son ex-mari. Ce dernier ne lui ayant quasiment pas donné signe de vie depuis leur divorce quatre ans auparavant, elle est donc très surprise et intriguée lorsqu’il réclame avec insistance de pouvoir passer le week-end avec leur fils. Au fil des jours, Carol ressent une suspicion et une angoisse croissante à l’égard de certains phénomènes troublants qui n’ont aucune explication apparente. En effet, de plus en plus personnes affirment ne plus reconnaître leurs proches (une femme vis-à-vis de son mari ou une mère vis-à-vis de son fils) pas physiquement (de ce point de vue-là, ils sont exactement pareils) mais dans leur comportement de tous les jours.
Le grand sommeil
Trop obnubilée par ses problèmes personnels, Carol mettra un certain temps avant de prendre conscience de ce qui se passe réellement, non seulement dans son entourage proche mais aussi un peu partout en ville, dans la mesure où le gouvernement cache la vérité aux citoyens en leur faisant croire que les "infectés" ne sont que de simples malades ayant attrapé une banale grippe. Carol finit même par découvrir que les autorités, loin de faire le nécessaire pour juguler la contamination, la favorisent au contraire en inoculant à des milliers de personnes une spore d’origine extraterrestre qui modifie leur ADN pendant leur sommeil, ne leur laissant plus que leur enveloppe corporelle vide de tous sentiments et émotions. Pendant ce temps-là, l’épidémie se répand à toute allure à travers le pays. Plus le temps passe et plus le nombre des "infectés" s’accroît de façon exponentielle.
Carol assiste alors impuissante à la mise en place autour d’elle d’un "Ordre Nouveau", aussi structuré qu’une ruche, et voit surgir de partout des milliers de "body snatchers" n’aspirant qu’à contaminer la totalité de l’espèce humaine et à s’en assurer le contrôle total. Carol va alors tout faire pour retrouver Oliver que son père a enlevé car il représente l’ultime espoir de pouvoir enrayer l’invasion grâce à une spécificité de son système immunitaire. Pour échapper à ses poursuivants, de plus en plus nombreux, et arriver à sauver son fils (et donc l’Humanité toute entière, par la même occasion), Carol va devoir non seulement feindre un calme absolu pour ne pas se faire repérer mais surtout... ne pas s’endormir.
Un monde (soi-disant) meilleur
La mystérieuse spore extraterrestre se répand à une vitesse fulgurante, chaque personne infectée étant irrésistiblement poussée à contaminer à son tour toutes celles qui ne le sont pas encore. Les "body snatchers" ne tuent pas leurs hôtes mais se contentent de les transformer de l’intérieur en recombinant leur ADN pendant leur phase de sommeil paradoxal. Le Centre de Contrôle des Maladies lance une grande campagne de vaccination sous prétexte de combattre une épidémie de grippe alors qu’en réalité, au lieu d’enrayer le Mal, il effectue là une manoeuvre pour le propager encore plus rapidement.
Une fois contaminés, les gens gardent leurs souvenirs intacts ainsi que leurs habitudes quotidiennes mais ne ressentent plus aucune émotion et évoluent dans un étrange état second. Ils sont désormais obsédés par l’Ordre et sont tous reliés les uns aux autres, ne formant ainsi plus qu’une seule et même entité. Agissant alors tous de concert, "l’individualité" en tant que telle est obligatoirement appelée à disparaître, ce qui signifie à brève échéance la fin de "l’Humanité". Le monde perd tout ce qui faisait, en quelque sorte, son charme tandis que se met en place un ordre répressif d’une grande austérité. En nous privant de nos émotions, l’invasion éradique complètement les motifs de discorde que sont habituellement la colère, la jalousie, les préjugés, la haine et nous offre, en échange, un monde (soi-disant) meilleur et forcément plus serein puisqu’il n’existe plus ni crime, ni guerre... mais plus d’amour, non plus. Le Nouvel Ordre est désormais en marche et rien ne semble pouvoir l’arrêter à l’exception du jeune Oliver qui fait ici office "d’Élu sauveur".
Human nature
L’histoire de cette nouvelle adaptation se déroule très précisément à notre époque dont elle reflète la paranoïa, tant politique et sociale qu’environnementale. On y trouve en fond sonore (par média interposé) toutes sortes de références très précises (à la guerre en Irak, au Darfour, à la destruction de La Nouvelle Orléans, à la construction de centrales nucléaires en Iran, etc...). L’invasion extraterrestre, une fois commencée, la situation se complique rapidement du fait que les premières personnes contaminées par la spore sont justement celles sur lesquelles la population est censée pouvoir se fier (le Gouvernement, les forces de l’ordre, les scientifiques chargés d’éradiquer le Mal, les médias). Contrairement aux autres adaptations du roman de Jack Finney, il n’y a ici ni plante, ni cocon et l’entité extraterrestre venue envahir notre Terre ne fabrique plus des sortes de "clones" d’humains mais se contente désormais tout simplement de modifier leur ADN pendant leur sommeil.
L’intrigue se focalise sur le personnage de Carol Bennell dont le jeune fils Oliver a été enlevé par son père au début de l’invasion. On assiste donc à ses tentatives périlleuses et désespérées pour retrouver son enfant qui, comme par hasard, est immunisé contre l’envahisseur. Si la contamination par la spore extraterrestre constitue effectivement la toile de fond du film, il s’agit là, en réalité, plus d’un thriller contemporain, accordant une large place à la psychologie d’une poignée de personnages (sentiments, émotions) ainsi qu’à leurs actions/réactions face aux évènements auxquels ils sont confrontés, que d’un véritable film de SF traditionnel car il y a ici volontairement peu d’effets spéciaux et de maquillage. On peut ici voir dans cette "spore venue d’ailleurs" la signification qu’on veut.
Oliver Hirschbiegel a pris le parti de donner à Invasion un aspect réaliste afin d’impliquer le spectateur en lui donnant à voir une sorte de documentaire ou de reportage télévisé, le tout dans une atmosphère qui devient, de plus en plus, inquiétante qui est, en partie, due au travail sur la lumière et est encore accentuée par l’interprétation des principaux acteurs. On regrettera toutefois l’influence hollywoodienne qui a tendance à lisser le sujet en le rendant "politiquement correct" car on est bien loin ici de l’aspect subversif de ses précédents films (comme, par exemple, Das Experiment) où il ne prenait pas de gant pour montrer toute la noirceur de l’âme humaine.
Invasion
Réalisation : Oliver Hirschbiegel
Avec : Nicole Kidman, Daniel Craig, Jeremy Northam, Jeffrey Wright, Jackson Bond
Sortie le 17 octobre 2007
Durée : 1 h 38