BIZIEN Jean-Luc 02
Jean-Luc Bizien en quelques mots, c’est qui ?
Je suis né en 1963 au Cambodge… mais j’ai du sang vietnamien, ce qui m’a appris dès le plus jeune âge à réunir les opposés – même les plus irréductibles. Ancien guitariste, ancien enseignant, j’ai exercé quelques autres boulots ici ou là. Depuis 2000, je suis auteur à temps complet.
J’ai publié un peu plus d’une centaine d’ouvrages en 23 ans de carrière, dans tous les genres (des albums jeunesse, comme des romans adulte, sous mon nom ou sous pseudonyme).
Je suis le 13e membre de la Ligue de l’Imaginaire (j’espère ne pas lui avoir porté malheur).
J’éprouve une véritable passion pour le thriller, sous toutes ses formes.
J’ai enfin et surtout deux fils merveilleux, respectivement parus en 1990 et 2005, qui sont mes plus grandes fiertés.
Comment passe-t-on de Bizien l’auteur de thrillers comme Crotales ou l’Évangile des Ténèbres à Bizien l’auteur de SF et de livres pour la jeunesse ?
En travaillant tous les jours sur son ordinateur !
Blague à part, j’aime raconter des histoires. Toutes les formes d’histoires, pour tous les publics. Mon maître en la matière, Serge Brussolo, m’a dès le départ conseillé de me diversifier, afin d’éviter d’être « rangé dans une case », ce qui est l’un des maux de l’édition en France.
Au vrai, je ne me pose plus depuis des lustres la question ni du genre abordé, ni de l’âge des lecteurs. J’écris une histoire, parce qu’elle s’impose et que j’en ressens le besoin, puis je la propose à un éditeur.
Je pense que le triller, aujourd’hui, permet aux auteurs d’aborder les aberrations de notre monde. Sous couvert d’intrigues rythmées, de « page turner », on embarque le lecteur sur un terrain que l’on sait miné… et l’on espère qu’en refermant le livre, il se posera les bonnes questions. J’ai coutume de dire que si le lecteur a passé un bon moment, j’ai rempli ma part du contrat. Et que s’il a été interpelé, s’il cherche ensuite à se renseigner ou qu’il veut en apprendre davantage sur tel ou tel sujet, j’ai fait mon travail.
C’est en ce sens que Crotales ou Les veilleurs participent de la même démarche. J’ai écrit le premier parce que j’avais découvert une autre frontière d’acier (bien avant que ce crétin congénital de Trump en fasse l’apologie), qui me rappelait les barbelés séparant les deux Corées. J’ai voulu construire une intrigue autour de ce décor ahurissant, parce que la situation en elle-même était effroyable. Dans Les veilleurs, le sujet de fond c’est la différence et la peur ou le rejet qu’elle génère. On a beau vivre au troisième millénaire, ne pas être hétérosexuel, ou arriver d’un pays étranger pour demander asile, pose problème. En dépit de tous les grands discours humanistes communément admis. C’est consternant, mais c’est le constat que chacun peut faire en étudiant l’actualité.
Si ce livre s’adresse avant tout aux adolescents et aux jeunes adultes, c’est parce que je pense qu’ils doivent prendre conscience de certaines dérives qui nous menacent, qui LES menacent.
En postface des Veilleurs, tu signales que ce roman a été long à se dessiner. Comment t’est venue l’idée de cette vision apocalyptique de Paris ?
Elle s’est imposée il y a presque 10 ans, tandis que je vivais encore dans le 14e arrondissement. À l’époque, j’aimais beaucoup marcher à travers Paris, la nuit. J’aimais le décor, l’ambiance. J’avais envie d’y plonger des personnages…
Et puis j’ai écrit une série de thrillers historiques pour 10-18, et d’autres romans adultes. Tout ça prend du temps. Je les ai un peu oubliés, mais ils demeuraient là, en toile de fond. Petit à petit, Les veilleurs ont pris le pouvoir dans ma tête. Quand ils ont occupé un peu trop de place, il a fallu les en faire sortir. Voilà qui est fait !
Il y a dans le roman une foule de personnages, chacun s’octroyant à tour de rôle un chapitre plus ou moins long. Et chaque personnage a une personnalité bien fouillée, qui permet de l’identifier aussitôt. Est-ce que tu tenais un petit annuaire des protagonistes, ou certains sont venus ainsi au bout de la plume ?
Je procède de la même façon pour tous mes romans : je sais quasiment tout de chacun de mes personnages avant de commencer à écrire. Je tiens cela du jeu de rôles, que j’ai beaucoup pratiqué par le passé. Cela dit, il m’arrive encore de me laisser surprendre, quand certains personnages prennent le pouvoir. Baptiste, par exemple, a décidé de faire des choses qui n’étaient pas prévues au départ, ce qui m’a obligé à modifier mes plans.
J’adore travailler ainsi, en me levant le matin sans avoir une vue très précise de ce que je vais écrire. J’observe les personnages, je me contente de décrire leurs choix, leurs actes. Et j’éprouve une véritable jubilation à le faire.
On sent chez l’auteur une véritable tendresse pour certains personnages plus que d’autres, par exemple, Marie, Ilan, Alexandre et Baptiste, sans parler de Steiner et de son acolyte. Était-ce une volonté de ta part, ou c’est plus le développement de l’intrigue qui l’a voulu ?
Tu as raison, j’éprouve une véritable tendresse pour eux. D’ailleurs, ça me touche à chaque fois qu’un lecteur le note. Cela peut paraître « bateau », mais j’aime tous mes personnages, même les plus détestables, même les plus monstrueux. Je mets une part de moi en chacun d’eux et je n’arrive pas à les mépriser ou à les haïr. Je pense qu’aucun de nous n’est tout noir ou tout blanc, mais que l’humain se définit en niveaux de gris… J’aime à explorer la part sombre de chacun d’entre nous et c’est ce que je m’efforce de faire, dans tous mes romans.
Puisqu’on parle de loups-garous, mais aussi de vampires et de goules, es-tu fan de films comme Hurlements, Wolfen, voire Underworld ? Ou es-tu plutôt Hammer films ?
Pourquoi devrait-on toujours choisir entre fromage et dessert ? J’aime les deux. Je me suis construit à travers le cinéma et la bande dessinée, depuis ma plus tendre enfance. J’ai grandi au milieu des images qui m’ont donné envie de raconter mes propres histoires. Les romans se sont imposés au fil des ans et aujourd’hui je lis davantage que je ne consomme de cinéma – par manque de temps, surtout.
De plus, je crois que les mots sont plus forts que les images, dans la mesure où ils font jaillir une vision différente chez chaque lecteur. Un grand réalisateur, un grand illustrateur nous séduisent par LEUR vision d’une histoire. Ils nous imposent un rythme, un cadrage, un choix artistique.
Un auteur nous fait suffisamment confiance pour nous abandonner son histoire afin que nous la réinventions à l’aune de nos propres sensibilités. On s’approprie ses mots, tant et si bien que son histoire devient la nôtre. Au final, il y a autant de versions d’un même livre que de lecteurs.
La fin du roman laisse bien sûr la porte ouverte à une suite. Est-ce que tu voyais dès le départ une histoire en plusieurs tomes, ou cette idée s’est imposée au cours de l’écriture ?
Non, je le jure ! Je m’étais promis que cette fois, ce serait un « one shot »… et une fois de plus, je me suis laissé piéger.
C’est le drame, quand les personnages prennent le pouvoir. Cela dit, j’en suis très heureux. J’ai encore deux ou trois choses importantes à dire sur ces sujets qui me sont chers.
Autant prendre le temps.
Le mot de la fin ?
Je n’aime rien tant qu’échanger avec les lecteurs, au gré des salons et des rencontres. J’espère pouvoir le faire encore longtemps, car c’est un bonheur sans cesse renouvelé. Le contact direct permet à l’auteur d’avoir un véritable retour sur son travail, et c’est formidable.
Je n’écris pas pour moi, mais pour les autres – et je suis à chaque fois bouleversé quand un livre rencontre des lecteurs. Alors, si d’aventure vous avez envie de venir à ma rencontre…
N’hésitez surtout pas !
Merci beaucoup d’avoir accepté de jouer le jeu.
Merci à toi pour ces questions !
Critique des Veilleurs ici !