Innocence des bourreaux (L’)

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Dans une supérette de quartier, quelques clients font leur course, un jour comme tant d'autres. Parmi eux une jeune maman qui a laissé sa fille de trois ans seule à la maison devant un dessin animé. Seulement quelques minutes le temps d'acheter ce qui manquait pour son repas.

Parmi eux, un couple adultère, parmi eux une vieille dame et son aide familiale, un caissier qui attend de savoir s'il va être papa, une mère en conflit avec son adolescent...

Des gens normaux, sans histoire, ou presque.

Et puis un junkie qui, à cause du manque, pousse la porte du magasin, armé et cagoulé pour récupérer quelques dizaines d'euros. Mais quand le braquage tourne mal et que, dans un mouvement de panique, les rôles s'inversent, la vie de ces hommes et femmes sans histoire bascule dans l'horreur.

Dès lors, entre victimes et bourreaux, la frontière est mince. Si mince…

 

Après le diptyque impitoyable composé de « Derrière la haine » et « Après la fin », on attendait Barbara Abel de pied ferme… Cette diablesse, qui n’a jamais eu peur de regarder la violence et les pires déviances dans le blanc des yeux, allait-elle une fois encore tremper sa plume dans l’encre la plus noire pour examiner les tréfonds de l’âme humaine ?

 

Avec cette « Innocence des bourreaux », la réponse est… complexe. Parce qu’en auteur exigeante, Barbara Abel s’est refusé à bâtir son récit sur une structure qu’elle connait bien. Ici, pas de cellule familiale précisément étudiée et puis ensuite soumise à la pression irrésistible d’un drame. Ici, pas de progression en spirale, pas de descente par palier dans les abysses. Pour ce nouveau opus, la romancière adopte une trame narrative qui n’est pas sans rappeler celle des films catastrophes des années ‘70, ou celle des séries télévisées. Soit la présentation d’une galerie de personnage, que rien ne semble relier, mais qui filent tous sur une trajectoire de collision. Et l’accident se déroule entre les allées d’une petite supérette, où un junkie se précipite pour commettre un hold-up, dont les conséquences vont être catastrophiques pour tous les personnages.

 

La force de cette narration éclatée, c’est qu’elle permet de vivre l’histoire à cent à l’heure, de passer d’un personnage à l’autre, d’offrir un regard toujours neuf, au fil des pages, sur une situation de départ qui ne cesse de se dégrader. C’est la règle du genre, les personnages révèlent peu à peu leurs tourments, leurs valeurs, leurs limites… Et dans cet exercice, Barbara Abel est une orfèvre. Elle parvient à décrire, comme personne, la tension qui s’empare d’une mère déterminée à sauver son enfant, ou les tourments d’une jeune cadre dynamique qui imagine son univers familial s’écroulant à la suite d’une relation sans lendemain…

 

D’autre part, cette impression « épisodique » finit par frustrer quelque peu le lecteur. Pourquoi ? Parce que pour sacrifier au nécessaire mouvement d’un roman qui se doit d’être contenu dans un nombre de pages « raisonnables », Barbara Abel sacrifie une partie de ce qui fait la particularité et l’originalité de son approche littéraire : le temps du développement. Les personnages semblent passer d’un état mental à un autre entre deux chapitres… Sans que l’on puisse vraiment s’y attacher de comprendre toutes les subtilités que dissimulent leurs évolutions. Cette « Innocence des Bourreaux » pourrait fait l’objet d’une série courte, en une dizaine d’épisode, où l’histoire pourrait respirer et les personnages gagner en substances.

 

En l’état, le nouveau roman de Barbara Abel est un excellent divertissement, un véritable page-turner dont on ne s’arrache qu’à la dernière, excellente, phrase… Mais on regrette malgré tout que cette histoire ne soit pas plus longue.

 

L’innocence des bourreaux par Barbara Abel, Éditions Belfond

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