Infâmes (Les)

Auteur / Scénariste: 

Freedom Oliver, une femme alcoolique et suicidaire, se cache en Oregon depuis la mort brutale de son mari, mafieux de bas étage. Protégée par le FBI, elle noie dans la gnôle l’abandon de son fils et de sa fille à une famille adoptive. Mais tout bascule le jour où deux évènements coïncident : sa fille Rebekah est enlevée et le présumé assassin de son mari sort de prison, décidé à se venger de Freedom dont le témoignage l’avait fait condamné. Freedom boucle ses bagages et traverse le pays, direction le Kentucky, pour retrouver sa fille.

 

Un mot sur l’auteur

Jax Miller, de son vrai nom Anne O’Donnel, est née à New-York et vit en Irlande. Les infâmes est son premier roman et a rencontré un énorme succès. Traduit en treize langues, il a notamment remporté en France le Grand prix des lectrices Elle en 2016 et le prix Transfuge 2015 du meilleur polar étranger.

 

Mon avis

Rédiger une chronique sur un roman ayant connu un tel succès critique et public ne devrait à priori poser aucun souci. J’aurais dû le lire en deux jours et vous expliquer pourquoi c’est un livre formidable qu’il faut absolument lire. Mais il arrive parfois que le chroniqueur soit quelque peu perplexe à la fin de sa lecture et considère la couverture du roman qu’il vient d’achever en se demandant si on lui a bien envoyé le bon livre. Parce qu’en ce qui me concerne – mon avis n’engage que moi –, j’ai du mal à comprendre pourquoi Les infâmes a fait un tel carton. Ce polar noir, qui entend nous plonger dans le sud profond des USA en un road trip angoissé et nerveux, avait tout pour me plaire, avec ses antihéros qui se mettent sur la tronche ou tissent des alliances de circonstance. Les premiers chapitres plantent le décor de belle manière et sont écrits avec les tripes. Comme si l’auteur avait peur de mourir demain, elle nous dresse en quelques phrases-uppercuts un portrait halluciné de Freedom et des infâmes qui sont à ses trousses, éveillant des échos de Dennis Lehanne (la famille Delauney fait vaguement penser à celle de Jimmy Marcus de Mystic River), voire de James Lee Burke. Mais la différence s’arrête là, avec la même violence qu’un bolide qui percute un mur.

Lorsque l’histoire décolle, le roman s’écroule comme un château de cartes. Les infâmes est un premier roman, et ça se sent. Il en porte à la fois les qualités – affranchissement des règles, écriture spontanée – et les défauts – qui sont exactement les mêmes. À vouloir brosser des personnages hors du commun, l’auteur les fait sombrer dans la caricature. Pire, elle n’hésite pas à aller à contre sens de leurs personnalités. Dans la réalité, même les fous ont une certaine cohérence. Les infâmes ne cesse de mettre à mal la suspension d’incrédulité du lecteur. Freedom se délite au fur et à mesure que le récit progresse. Voilà une femme qui a passé les 15 dernières années à boire, fumer et gober des cachetons mais qui est dotée d’un charme irrésistible, qui se bat comme un soldat d’élite et a une excellente condition physique. Et encore, ces capacités hors du commun ne sont rien en comparaison de ses aptitudes psychologiques. Le fait est que tous les personnages des Infâmes se révèlent peu crédibles, leurs choix pour le moins suspects, le plus étonnant étant le dernier né des Delauney, un infirme moteur cérébral qui est un double de Stephen Hawking.

L’auteur a voulu bien faire, cela se sent. Mais elle en a trop fait. L’histoire mêle trafiquants d’armes, extrémistes religieux, bikers hors-la-loi, flics infiltrés, Indiens chamans en un blougi-boulga qui devient rapidement incompréhensible et tiré par les cheveux. La faute en incombe davantage à son éditeur qu’à son auteur. Ce roman possède un vrai potentiel, mais ressemble à un premier jet. Le récit aurait pu être brûlant et donner un vrai bon polar poisseux et âpre, si Jax Miller l’avait centré sur l’histoire de cette femme blessée qui cherche sa fille, à travers ce Kentucky qui demeure au final anecdotique. L’histoire pourrait aussi bien se passer en Arizona ou dans le Montana. Mais ce n’est pas le pire. En refermant le livre, j’avais la curieuse impression que l’auteur venait de signer une des fins les plus moralisatrices qu’il m’ait été donné de lire depuis longtemps.

 

En conclusion

Les grands auteurs de polars américains utilisent une trame sombre pour dresser un portrait acide de leur pays, à travers des personnages blessés, fragiles, humains. On peut citer James Ellroy qui depuis trente ans redessine Los Angeles, Denis Lehanne qui explore les bas-fonds de Boston, James Lee Burke qui nous traîne dans la moiteur étouffante de la Louisiane, de très grands écrivains qui explorent la noirceur des âmes. Jax Miller avait l’ambition d’écrire un roman de ce genre, violent, rugueux, incandescent. Au final, ses personnages caricaturaux et son récit abracadabrantesque prennent feu et se consument eux-mêmes.

Ce roman m’a laissé un goût de cendres dans la bouche, celui d’un feu éteint depuis longtemps et que l’auteur n’a pas réussi à rallumer, malgré ses efforts. Un récit plus simple, qui se serait centré sur l’essentiel, (la relation mère-fille et le Kentucky, cadre idéal pour dépeindre cette Amérique ancrée sur des valeurs réacs) aurait pu être une réussite. Il en reste un feu de paille, vite oublié.

 

Les infâmes de Jax Miller, Éditions J’ai lu, octobre 2016 (Ombres noires, 2015).

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