Hannibal, la série prometteuse de Bryan Fuller

L’histoire...

L’action se déroule des années avant l’arrestation du docteur Hannibal Lecter, psychopathe calculateur imaginé par Thomas Harris et consacré au cinéma par l’interprétation d’Anthony Hopkins.

L’histoire se centre autour de Will Graham, un jeune profiler du FBI qui possède des capacités exceptionnelles. En effet, il a une prédisposition pour se mettre à la place des tueurs en série grâce à une empathie atypique. À tel point qu’il peut même imaginer et revivre toutes les scènes de crime, tout simplement en extrapolant ses déductions. Mais l’histoire ne commence véritablement que lorsque le jeune homme, de nature très instable, devient le patient du célèbre psychiatre Hannibal Lecter.

Elle se focalise alors sur la relation complexe et ambigüe qui se crée entre Hannibal et Will. C’est avant tout l’histoire d’une amitié atypique entre deux personnes profondément singulières et solitaires.

Dans un premier temps, le très méfiant Will rejette l’aide d’Hannibal, car ce dernier ne peut pas s’empêcher de l’analyser. En effet, pour Hannibal, Will est le cas d’étude de sa carrière. Un patient tellement unique qu’il attise sa curiosité. Alors que la plupart des autres personnages poussent Will sur le chemin de la normalité, Hannibal a tendance à le manipuler pour qu’il reste sur le chemin de la singularité. On ne sait pas vraiment si c’est pour rester proche de son seul ami potentiel ou s’il le dirige à des fins beaucoup plus obscures. Finalement, Hannibal va trouver en Will une personne potentiellement capable de le comprendre et Will va trouver en Hannibal un confident et un soutien solide. C’est sur ce point que leur relation est ambigüe. On perçoit très vite qu’ils ont besoin l’un de l’autre, mais que leur dépendance est forcément vouée à l’échec.

En effet, dans le roman et le film Dragon rouge, Will Graham est décrit comme étant l’homme qui réussit à mettre Hannibal Lecter derrière les barreaux. Mais comment va-t-il faire pour percer à jour le célèbre psychopathe ? Voilà ce que l’on tente d’imaginer en se basant sur l’univers des romans de Thomas Harris.

Actuellement, deux saisons sont disponibles et la troisième sortira courant avril-mai 2015.

 

L’univers des romans...

Les codes des romans de Thomas Harris sont très bien repris : suspense, tension psychologique, atmosphère glauque et malsaine, personnages principaux mystérieux et complexes, enquêtes et fonctionnement du FBI, tueurs en série froids et dérangés, caractère transcendant et mystérieux des meurtres, etc.

De nombreux clins d’œil aux livres et aux films sont également présents. Même si certains détails ont été modifiés. Mais ces changements sont plutôt bien trouvés et intéressants dans l’ensemble.

 

Une série prometteuse sur plusieurs plans...

Tout d’abord elle rétablit le code fondamental des romans : Hannibal est un thriller psychologique, pas de l’horreur.

Il faut savoir que Thomas Harris est avant tout un auteur qui travaille énormément sur le suspense et la tension psychologique. Mais le fait qu’il donne aussi dans le malsain (cannibalisme, meurtres sordides et personnages dérangés) ont fait souvent basculer les interprétations cinématographiques dans l’horreur et parfois même dans le ridicule.

Mais avec cette adaptation, on revient clairement plus dans le genre du thriller. Hannibal mélange un peu le thriller du genre Seven de David Fincher et l’univers conte noir de Tim Burton ou des frères Grimm.

Pour ceux qui se questionnent sur le niveau de violence, elle sert avant tout d’outil à la tension narrative. Chaque scène de crime est presque comme la découverte d’une œuvre d’art horrifique. L’esthétisme est très recherché et inspiré. Les images sont quelques fois sanglantes, mais elles restent regardables. Pas de scènes gores et vulgaires à la Saw. Même quand Mason Verger se mutile le visage avec un couteau, c’est toujours dans l’obscurité et avec un jeu de lumière rigoureusement étudié et approprié.

En fait, votre pire ennemi, c’est surtout votre imagination. Par exemple, on vous montre constamment Hannibal en train de cuisiner et de manger des abats et vous ne savez jamais si c’est de la viande humaine ou pas. Quand le danger n’est pas présent à l’écran, il est tout de même suggéré. Un peu comme une épée de Damoclès présente au-dessus de la tête des protagonistes, installant une tension permanente et donnant une intensité remarquable à certaines scènes.

Pour ce qui est de la mise en scène et de la réalisation, elles sont très soignées et étudiées. C’est vraiment un show de très bonne qualité de ce point de vue. Chaque plan semble millimétré. De plus, les contrastes et les jeux de lumière sont bien étudiés et travaillés, faisant souvent passer les personnages de l’ombre à la lumière et vice et versa. Cela donne parfois un côté presque théâtral. Il y a même des réalisations plutôt intéressantes, comme toutes les scènes où Will Graham revit les meurtres par sa simple imagination. Elles sont très bien conçues et originales.

Les dialogues sont également très bien écrits. Hannibal Lecter joue notamment beaucoup sur les mots. Surtout lorsqu’il s’agit de la nature de la viande qu’il sert à ses invités.

Il y a aussi pas mal d’humour noir, mais hélas trop peu pour sortir de l’atmosphère pesante.

Mais le point fort réside surtout dans le scénario. Il est très bien rédigé et rempli de retournements de situation. En effet, même si les spectateurs savent qui est réellement Hannibal Lecter, les personnages de la série l’ignorent. Et c’est là l’un des atouts de ce projet. Le spectateur veut savoir comment la vérité va éclater au grand jour et comment les autres personnages vont réagir. Le suspense tourne également autour de la relation ambigüe entre Hannibal et Will, car plus les épisodes défilent et moins on arrive à distinguer lequel des deux est le plus dangereux ou le plus manipulateur.

Le grand plus, c’est également le casting. C’est impossible que vous ne connaissiez aucun des acteurs présents. Après question interprétation, tous les comédiens sont très crédibles, que ce soit les personnages principaux ou secondaires. Et même si les protagonistes paraissent un peu difficiles à cerner au début, leur psychologie est vraiment bien approfondie au fil des saisons.

 

La petite controverse autour d’Hannibal...

Il faut tout d’abord préciser que les interprétations d’Anthony Hopkins et de Mad Mikkelsen ne sont en rien comparables. Pour la simple bonne raison qu’ils n’interprètent pas vraiment le même personnage.

Anthony Hopkins incarne l’Hannibal Lecter des romans. Dans la trilogie de Thomas Harris (Dragon rouge,  Le silence des agneaux et Hannibal), Hannibal Lecter est connu pour être un vrai prédateur. Un génie de la manipulation extrêmement violent et amateur de chair humaine. La vraie nature d’Hannibal est connue de tous, il n’a donc pas besoin de se cacher. C’est pourquoi l’interprétation d’Anthony Hopkins est saisissante et viscérale.

Mad Mikkelsen joue Hannibal Lecter avant son arrestation. Un psychopathe en liberté qui doit cacher en permanence sa véritable nature. Du coup, le visage de son personnage est parfaitement froid et insondable. On ne sait jamais ce qu’il pense. Et au final, il s’avère encore plus intrigant, manipulateur, fourbe et intelligent que le cannibale joué par Anthony Hopkins. L’interprétation de Mad Mikkelsen est donc plus dans la sobriété, la finesse et la violence latente. Il apporte beaucoup de prestance et d’élégance au célèbre personnage. Son Hannibal Lecter est constamment dans la maitrise des autres et ses desseins noirs ne sont dévoilés qu’au compte-goutte. Il faut donc prendre son mal en patience pour voir le personnage se lâcher et prendre plus de risques.

Les intérêts artistiques d’Hannibal sont également beaucoup plus développés dans cette série (élocution savante, cuisine, art de la table, musique, goûts vestimentaires, beaux-arts, etc.).

 

Les autres personnages...

 

Will Graham

Mad Mikkelsen interprète certes un Hannibal Lecter tout à fait fascinant, limite hypnotique. Mais l’interprétation de Hugh Dancy est tout aussi réussie et prenante. Son Will Graham se révèle tout aussi mystérieux qu’Hannibal. À la fois instable, torturé, cinglé et un peu perdu, il paraît même présenter des symptômes d’autisme. Son jeune profiler hypersensible est tout aussi touchant que dérangeant.

Will Graham n’est cependant pas décrit de manière aussi instable et sombre dans le livre Dragon rouge. Mais je pense que ces corrections autour de Will étaient nécessaires. Afin de donner plus de relief au personnage, qui a tendance à apparaître bien plat et craintif, aux côtés du magnétique et charismatique Hannibal Lecter. Il suffit de se référer aux adaptations cinématographiques, pour voir à combien il se faisait complètement écraser par la présence d’Hannibal. Mais ici, Will Graham trouve vraiment mieux sa place grâces aux changements apportés et cela donne l’occasion à Hugh Dancy d’immortaliser le protagoniste.

 

Jack Crawford        

Laurence Fishburne livre un Jack Crawford imposant et intimidant. Et plutôt dangereux, dans la mesure où il met tout en œuvre pour arriver à ses fins et ne tient pas en compte les dommages collatéraux, surtout sur Will. Pour lui, le jeune profiler est un outil de grande valeur, et rien de plus.

C’est un personnage qui gagne énormément en profondeur au cours des saisons, en particulier avec sa situation de couple délicate et tragique. Mention spéciale à Laurence Fishburne et Gina Torres, qui forment un couple particulièrement touchant à l’écran.

 

Alana Bloom

Voilà un exemple parfait de personnage qui change de sexe. Il faut dire que les protagonistes féminins sont extrêmement rares dans les livres de Thomas Harris, et ce n’est pas très vendeur pour une série.

Dans le roman Dragon rouge, le Dr Alan Bloom est à peine évoqué. Il y est dépeint comme un psychiatre qui n’éprouve pas le moindre intérêt pour le cas de Will Graham, mais ce n’est pas vraiment le cas dans cette adaptation. Le Dr Alana Bloom peut donc être considéré comme un rôle plutôt inventé, qui fait vaguement référence au livre.

Au cours de la première saison, Alana Bloom a une fonction importante. Après tout, c’est elle qui met en contact Hannibal et Will. Et Caroline Dhavernas apporte une bonne touche classe et glamour. Mais même si l’actrice est belle et joue très bien, son personnage devient vite ennuyeux, fade et souvent à côté de la plaque (surtout dans la saison 2).

Le problème, c’est qu’Alana s’impose dès le début comme plus droite, compréhensive et humaine que les autres, mais elle sombre hélas bien vite dans un côté moralisateur répétitif. Ce qui devient franchement irritant au bout d’un moment. De plus, elle a tendance à trop donner dans le tout est noir ou tout blanc. Si Will fait une bonne action c’est un ange, s’il en fait une de mauvaise c’est un monstre. Je trouve qu’elle retourne un peu trop facilement sa veste en cours de route et qu’elle a un peu tendance à abandonner Will à son triste sort.

 

Abigail Hobbs

Kacey Rohl est parfaite dans son rôle de jeune fille mal à l’aise, broyée par les actions effroyables de son père. Un petit oisillon blessé, pris en étau entre Will et Hannibal, qui se disputent le rôle de père de substitution. C’est un personnage à fleur de peau, au regard empli de fragilité, auquel on s’attache rapidement.

 

Les personnages qu’on adore détester      

Lara Jean Chorostecki, Raúl Esparza et Michael Pitt, qui jouent respectivement Freddie Lounds, Frederick Chiton et Mason Verger, donnent beaucoup d’intensité aux méchants de l’histoire.

Dans les romans, Freddy Lounds est un petit journaliste véreux qui manque d’allure, mais ce n’est pas le cas ici. Il apparaît sous les traits féminins d’une blogueuse qui a un sens de l’éthique plutôt douteux. Elle marque d’ailleurs les esprits dès sa première apparition, nue et trempée de la tête aux pieds devant son écran d’ordinateur. Sulfureuse, impulsive et sournoise, la belle rousse perspicace joue tellement avec le feu qu’elle pourrait bien y laisser des plumes.

Raul Esparza nous livre un Dr Chilton particulièrement arrogant, maniéré et détestable. Il est plutôt convainquant, même s’il surjoue un peu part moment.

Et que dire de Mason Verger ? Tous les fans l’attendaient avec impatience. « La seule victime du Docteur Lecteur à avoir survécu », interprétée par Gary Oldman dans Hannibal (2001). Si vous avez vu ce film et que vous avez eu pitié de ce personnage handicapé et défiguré... La version jeune de Mason Verger va vous faire radicalement changer d’avis. Michael Pitt donne juste froid dans le dos. Il dépeint un jeune et riche héritier capable du pire. À la fois tyrannique, insensible, amoral et complètement dérangé. Il est détestable au plus haut point et on attend presque avec impatience le moment où il va récolter la monnaie de sa pièce.

 

Pour conclure...

Hannibal n’est pas une série policière banale. Elle a un univers et un esthétisme propre particulièrement marqué. La réalisation et la mise en scène sont millimétrées et c’est justement ce qui rend les scènes sanglantes regardables.

La violence est souvent exposée à la manière d’une vision cauchemardesque et artistique. En fait, la brutalité est peinte de manière si esthétique et créative qu’il en ressort des fois une espèce de sentiment d’irréalité, proche du genre fantastique. Chaque scène de crime est recherchée et dégage une espèce de beauté sombre. Un peu à l’image du poème La charogne de Charles Baudelaire. On a souvent l’impression que la mort est élevée au rang d’art, un peu comme un reflet de la propre opinion d’Hannibal sur ses crimes.

Ce n’est donc pas vraiment une série destinée à tout le monde. Mais le sujet est traité avec brio. Les personnages et les dialogues sont taillés sur mesure. Et les acteurs sont tout simplement parfaits.

Donc, si vous n’avez pas froid aux yeux, que vous aimez les thrillers psychologiques et les personnages complexes et excessifs, je vous recommande vivement cette série, qui est vraiment un bel hommage à l’œuvre de Thomas Harris.

Sections: 
Type: 

Ajouter un commentaire