HOSSEIN Robert 01

Je devais m’en douter. Une rencontre avec un monstre sacré comme Robert Hossein ne pouvait manquer de constituer une expérience surprenante. Je m’attendais à découvrir un héros ténébreux, taciturne, revenu de beaucoup de choses, et voilà que j’ai fait la connaissance d’un homme d’une grande simplicité, qui se refuse à se prendre au sérieux (j’ai d’ailleurs scandaleusement coupé toutes les interjections où il se maltraite !), d’un humaniste qui pose sur le monde le regard pénétrant d’un rêveur éveillé. Par moments, la parole, benoîte et posée, sort du cadre convenu, échappe à la logique étriquée du questions-réponses et prend son envol. Je me cale au fond de mon fauteuil, je me laisse porter par cette voix profonde et les ors et les marbres de l’hôtel me paraissent briller d’une étrange lumière. C’est alors que je comprends ce qui se produit : Robert Hossein s’exprime par images, par associations d’idées, rapides et diffuses. La linéarité du propos y perd sans doute en logique, mais la vérité, la force et la beauté du mot y gagnent en ampleur. Silence. On tourne…


P.E. : On connaît le Robert Hossein du thriller, mais moins celui du fantastique. Dès lors, que pensez-vous d’un festival comme celui du Fantastique, de la science-fiction et du thriller de Bruxelles ?

R.H. : Je suis venu par curiosité.

P.E. : D’accord, mais qu’est-ce qui vous a poussé à participer à ce festival ?

R.H. : Je vais toujours voir les films des autres. Mais je ne m’organise pas trop, je n’ai pas le temps de le faire. Cependant, je trouve que des festivals comme celui-ci, c’est formidable. À propos d’expérience formidable, je vais en tenter une moi-même. Je joue pour le moment une pièce au théâtre Marigny à Paris qui est un hommage à Alfred Hitchcock. C’est un suspense policier américain. C’est l’histoire d’une femme seule à New York qui, en attendant son mari, téléphone à tout New York et tout New York lui répond. Elle surprend une conversation qu’elle ne devrait pas entendre. Elle essaie d’ameuter tout le monde. Chaque fois qu’elle appelle, les personnes à qui elle téléphone apparaissent sur un écran. Elles disparaissent quand elle raccroche. Elle s’aperçoit qu’elle est tombée dans un piège abominable. Elle discute avec des gens qu’elle n’a jamais vus et qui ne l’ont jamais vue. C’est hallucinant. C’est un spectacle interactif. C’est le public qui choisit son assassin. Cela s’appelle « Surtout ne coupez pas ». Et l’on rajoute : « Vous ne pourrez plus jamais téléphoner sans penser à cette histoire ».

P. : Quels sont les ingrédients nécessaires pour faire un bon thriller ?

R.H. : Prenez « Les Brumes de Manchester », « Le Vampire de Dusseldorf », « Le Collectionneur ». Ce sont tous de bons thrillers. Ce qu’il faut avant toute chose, c’est une situation, une intrigue originale. Premièrement une histoire, deuxièmement une histoire et troisièmement une histoire. L’originalité, le suspense, la manière dont les choses sont dosées, il faut surprendre continuellement, avoir le sens d’une certaine dérision humoristique, qui vous tient complètement en haleine. Pour moi, le thriller type, c’est « L’ombre d’un doute ». C’est génial.

P.E. : Quels sont les thrillers récents qui vous ont marqué ?

R.H. : « Basic Intinct », c’est génial. J’aime bien les films mystérieux, étranges, avec un climat, une ambiance.

P.E. : Au fond, vous aimez bien Hitchcock !

R.H. : Oui, ainsi que tous les films que Bogart a tournés. On ne refera jamais mieux. « La Femme à abattre » , c’est un chef-d’œuvre. « Casablanca » aussi, c’est superbe. De même que « Le port de l’angoisse ».

P.E. Quels romanciers appréciez-vous ?

R.H. : Brussolo, par exemple… Mais où sont les films tirés de ses œuvres ? J’aime beaucoup Agatha Christie, Edgard Wallace, Steeman avec « L’Assassin habite au 21 », on ne peut pas faire mieux. Frédéric Dard, le maître.


P.E. Ne trouvez-vous pas qu’il y a régression ces dernières années ?

R.H. : Oui. Il y a un manque de goût. Le polar devrait être à l’image de « L’Étranger » de Camus. Il y a une série qui a disparu, qui pour moi, était la plus belle : la série Blême. Autre chef-d’œuvre absolu du polar noir : « Le Meurtre de Roger Ackroyd ». Il y a aussi Boileau-Narcejac. À vrai dire, aujourd’hui, tout est trop mêlé, le crime, la violence, le cul. Il y a un manque total d’originalité. C’est souvent désespéré, avec un manque d’originalité, et plus de suspense du tout. Maintenant on veut faire « à la manière de ». On veut être « moderne ». Or, un polar devrait être intemporel.

P.E. Pourquoi les cinéastes français s’agenouillent-ils devant le géant américain ?

R.H. : Certains seulement. Les autres devraient proposer des choses que les Américains ne font pas. Cela dit, je suis passionné par le cinéma américain. L’ancien, le nouveau : il y a des choses admirables. « Titanic », « La liste de Schindler » par exemple. Mais, êtes-vous certain que tout le monde a quelque chose à dire ?

Je vais vous raconter l’histoire d’un livre d’un auteur français qui va être publié prochainement. C’est l’histoire d’un mec qui se fait buter. Une femme a vu le meurtrier. Hélas, le tueur l’a vue, elle aussi, mais elle est incapable de le reconnaître. Résultat : une lutte contre la montre. Une seule journée pour mettre le grappin sur le meurtrier. À partir de ce moment, les flics ne lâcheront plus la fille. C’est peut-être le plus beau suspense que j’ai lu de ma vie. La journée d’une femme. C’est sublime, limpide comme de l’eau. Ce qu’il y a d’étonnant dans ce bouquin, c’est que le scénario est prévu au milieu de choses imprévues. Vous croyez savoir tout ce qui peut se passer, or, tout est caché. Tout ce qui peut se passer réellement est imprévisible. C’est fabuleux. Et pourtant, il y a un début, un prolongement et une fin.

P.E. Vous préférez l’épure à l’amoncellement.

R.H. : L’amoncellement c’est l’action. C’est en même temps la peur, les contacts, les états d’âme, les rêves, des destinées, des besoins, des désirs, des nostalgies.

Si j’avais dû faire un film sur le Festival de Cannes, cela se résumerait à un plan. Le Festival est fini. Sur la plage déserte, il y a un peu de vent. Un homme arrive comme un promeneur, avec un imperméable, avec un chapeau à la Bogart. Il vient vers la caméra. Il s’arrête. La caméra plonge. On voit un vieux journal du Festival. On y voit la photo déchirée d’un film qui a été présenté. La caméra vient sur cette photo. Le pied du mec passe. La caméra le suit. Le journal s’effrite. Le type s’éloigne de la plage. C’est ça, la vie du Festival. La plage, le sable, cette fureur, ces lumières, ces passions, ce cinéma, cette vie, ce cœur, ces esprits, ces volcans, ces caractères. Pendant le Festival, c’est sublime et puis c’est le calme, le désert, l’abandon.

Ma conclusion, c’est qu’il ne faut pas être original pour être original. La simplicité est forte en elle-même.

P.E. : Comment expliquer la tendance actuelle : retour à la science-fiction, au romanesque, aux récits de cape et d’épée ?

R.H. : Parmi les jeunes il y a beaucoup d’inspiration, mais c’est tellement dur d’y arriver. L’humanité est en train de mourir par manque de considération. L’humanité vit mal, les gens vivent mal de faire des métiers qu’ils n’ont pas choisi. Et moi, je pensais que la connaissance vous permettait de faire un choix. C’est faux. Il faut vraiment fuir, aller quelque part. Là où on a une chance. On se bat pour les besoins au lieu de se battre pour les désirs. Vous avez toute une jeunesse désespérée de ne servir à rien. Je ne dis pas qu’on est nécessaire, mais au moins on peut être utile. Or, on est dans une société où on n’a pas le sentiment d’exister. Le rêve est anéanti, l’imaginaire aussi. Je suis persuadé que nous ne sommes jamais qu’une expérience de plus.

C’est dans tout ce qui est inutile que l’on trouve l’essentiel.

Tout vient de l’enfance, et tout ce que je viens de vous raconter, vient de mon enfance. Quand vous êtes solitaire, vous montez au-dessus d’un arbre, vous regardez l’horizon et vous partez à la conquête de l’espace. Et il n’y a plus aucun obstacle. Quand vous devenez adulte, on vous apprend que la ligne droite est le plus court chemin d’un point à l’autre. Et c’est la première IMMENSE erreur, pour ne pas dire connerie qu’on vous inculque. C’est en faisant des virages, en perdant du temps que j’arriverai vers le but que je me suis fixé. C’est dans tout ce qui est inutile que l’on trouve l’essentiel.

Propos recueillis le 23 mars 1998.

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