Uchronie (L')
Tous les passionnés de ce genre en plein expansion connaissent l’ouvrage fondamental d’Eric Henriet paru chez Encrage en 1999 : L’Histoire revisitée, panorama de l’uchronie sous toutes ses formes.
Le même auteur poursuit sa trajectoire et livre à présent un ouvrage théorique sur le sujet, plus passionnant encore. J’écris théorique car le précédent était plus axé sur l’historique du genre et parcourait l’Histoire au travers de ses avatars uchroniques, en citant de très nombreux exemples. Tel n’est pas du tout le propos du présent livre, lequel se veut réflexion sur le thème. Il s’inscrit dans le cadre de la collection « 50 questions » de l’éditeur. Il s’agit donc de faire le tour d’une thématique en cinquante questions. Elles vont ici de ’D’où vient le mot uchronie’ (1) jusqu’à ’En guise de conclusion, quels voeux formuler pour l’uchronie ?’ (50) Au travers de ce questionnement interne, Henriet interroge le genre. L’uchronie est-elle une fin en soi ? (5) Pourquoi les historiens ont-ils recours à l’uchronie ? (4) Peut-on avoir recours à l’uchronie pour enseigner l’Histoire ? (15) Tous les récits de terres parallèles sont-ils uchroniques ? (43) ou ’De manière générale, quelles sont les raisons d’écrire une uchronie ? (45).
L’auteur, au début de son dernier ouvrage, se penche sur un nécessaire historique, sur les mots-clés du genre (point de divergence, événement fondateur), sur les sous-genres (uchronie de fiction, uchronie personnelle), les genres annexes (histoire secrète, politique-fiction, steampunk) ou, enfin, les termes techniques hérités de la science-fiction (boucle, paradoxe, voyage temporel, monde parallèle). Il ne résiste pas bien entendu à évoquer rapidement quelques exemples typiques mais toujours alléchants : et si Pilate avait gracié Jésus ? (26). Et si Hitler l’avait emporté ? (32). Le tour est complet, et l’amateur passionné tout comme le néophyte aura une vision totale de la chose uchronique. Il n’évite même pas la troublante proximité du négationnisme (33). Henriet, aussi, a le sens de la formule : « S’il existe un nombre infini de mondes alternatifs possibles, peu présentent un intérêt littéraire. Un univers dans lequel votre serviteur s’est cassé la cheville gauche au lieu de la droite est certes uchronique mais risque de n’intéresser personne » (10). Ou : « Dans le cadre de l’uchronie historique, de nombreux projets visant les adolescents sont en cours encore qu’il faille, dans ce cas, faire attention à ne pas ’enseigner’ l’Histoire alternée sans s’assurer au préalable qu’ils ont bien connaissance de l’Histoire officielle » (50).
Personnellement, j’ai beaucoup apprécié la question 45 sur les raisons d’écrire une uchronie. Hormis des raisons qu’ Henriet estime – avec justesse – marginales (le pur comique, le négationnisme, la vengeance personnelle ou ’uchronie-prétexte’), il en voit trois, qui me paraissent en effet essentielles, et posent question. L’expérience historique tout d’abord, ou la pure réflexion scientifique. Le message pédagogique ensuite, qui peut faire de l’uchronie un ’outil prédictif’ destiné à sensibiliser le lecteur aux avenirs évitables. La nostalgie enfin : « annuler ce qui a été et le remplacer par ce qui aurait du/pu être ».
Voilà donc l’ouvrage théorique central sur l’uchronie, à lire, à relire, et à méditer longuement. D’autant plus qu’il se lit très facilement, le style d’Eric Henriet alliant érudition, rigueur, et limpidité. Très belle préface d’Emmanuel Carrère. Et, in fine, voulez-vous un petit clin d’oeil ? Que serait donc devenu notre univers sans l’existence du Phénix 58 ? J’en frémis... Heureusement, Henriet y a veillé (50).
Eric HENRIET, L’uchronie, ill. De couverture Alexandra Vassilikian, 262 p., Editions Klincksieck, coll. « 50 questions »