Jackpots
Le fan de RAH que je suis se permettra de remarquer que les quatre nouvelles - qui datent de l’époque où Robert Heinlein créait la science-fiction moderne en expliquant à des lecteurs totalement naïfs tous les détails nécessaires pour que le récit ne parte pas dans le grand n’importe quoi -, paraîtront inutilement longues et verbeuses à un lecteur qui sait tous ces détails (surtout après cinquante ans de lectures heinleiniennes). Si ces textes étaient publiés aujourd’hui pour des lecteurs qui ont une certaine habitude des enchaînements d’idées, ils pourraient être réduits de 20% au moins.
Ce qui n’enlève rien à l’intérêt, et à la qualité, des idées développées, surtout si on prend en compte le moment où ils ont été publiés.
Quel lecteur des années 50 aurait pensé qu’on puisse faire un récit (Sky lift, Sous le Poids des responsabilités) sur les conséquences de l’accélération d’un mobile, quand on réfléchissait uniquement à la vitesse et que les craintes proposées au sujet de la vitesse par les savants du dix-neuvième siècle s’étaient avérées sans fondement ? Les premiers accidents liés à l’accélération dans les jets n’étaient pas encore connus du public.
La gestion de la possession d’une arme ultime (pas exactement la bombe atomique, mais quelque chose d’apparenté) envisagée dès 1941, avant même que les USA ne prennent part à la Guerre Mondiale, fait de Solution insatisfactory, Solution non satisfaisante une anticipation saisissante. Goldfish bowl, La Création a pris huit jours peut décevoir le lecteur français, par sa ressemblance avec Le Péril bleu. Sauf que le lecteur américain ne connaissait pas le texte de Maurice Renard, RAH sans doute non plus (il faudra que je lui pose la question par table tournante) et que la version heinleinienne est plus courte, plus drôle. Surtout sa fin...
Quant à Year of the Jackpot, Une Année faste (le titre français n’est vraiment pas bon, celui utilisé par Fiction était moins mauvais), c’est un des plus drôles des textes de Heinlein que je considère comme l’auteur le plus systématiquement drôle de la SF, seulement souvent au second degré quand Sheckley reste en général au premier. Potiphar Breen explique, de façon complète, la statistique à l’usage des nuls et Heinlein imagine alors que la théorie des cycles devienne une loi absolue et précise et qui s’appliquerait aussi au monde physique. Et si plusieurs cycles se recoupent... la fin du calendrier maya n’est pas loin...
Ce recueil est à lire avec modération : êtes-vous capables d’absorber en une seule fois quatre concentrés de réflexion, d’humour, d’amour de l’homme, à peine dilués par les rallonges inutiles ? Merci encore une fois à Actu SF de nous rappeler que Robert Anson Heinlein reste d’actualité avec des textes vieux de plus de cinquante ans.
Jackpots de Robert Heinlein, traduit par Jean-Pierre Pugi, Éric Picholle, Aurélie Villiers et présenté par Éric Picholle, illustration Scott Blair, 234 p., 15 €, ISBN 9782917689264