HAUCHECORNE Anthelme 01

Auteur / Scénariste: 

Fin 2014, tu confiais à l’équipe de Phénix tes projets pour l’année à venir, incluant l’écriture du Carnaval aux corbeaux. Un an et deux mois après, celui-ci est publié. Comment as-tu fait pour être aussi rapide ? Ce livre a dû bénéficier d’un gros travail d’affinage, ne fusse que pour la caractérisation des personnages au phrasé poétique. Est-ce une écriture spontanée ou as-tu eu des difficultés pour l’écrire ?

Comme tout un chacun, il m’arrive occasionnellement de dormir. Voire de m’écrouler de fatigue sur mon clavier. Fin 2014, lors de l’entretien donné à Phénix, Le Carnaval aux corbeaux était déjà bien avancé. Ce qui ne m’a pas empêché depuis d’écrire deux autres romans, à paraître prochainement.

Je ne pratique pas l’écriture spontanée. En revanche, je pratique l’écriture acharnée dans le métro, dans les files d’attente, dans ma cuisine, en marchant dans la rue… Même quand le sommeil m’emporte, il n’est pas rare que les personnages s’invitent dans mes songes.

En matière de style, je ne suis jamais pleinement satisfait. À chaque réécriture, même au sein de passages que je pensais « finis », je trouve toujours matière à remanier.

La principale difficulté, dans la rédaction du Carnaval aux corbeaux, aura été de parvenir à museler Alberich, le nabot bavard, personnage dont l’incontinence verbale perturbait ma concentration.

 

Une question que tout le monde se pose, surtout moi, comment as-tu obtenu la parution de cette version particulièrement luxueuse alors que la plupart des maisons d’éditions grappillent le moindre interligne pour gagner de la place ?

Avec Graphicat, les Éditions du Chat Noir défendent une ligne dédiée aux beaux livres. Les finitions – reliures, choix du papier, embellissements de couverture… – sont déterminées en fonction du projet et de la collection pour conserver les deux identités, celle de l’œuvre et celle de l’éditeur.

Le Carnaval aux corbeaux se différencie par ses illustrations (celles de Loïc Canavaggia, de Mathieu Coudray et quelques œuvres libres de droits) et sa maquette baroque (séparateurs et fonds décorés, cliparts, polices variées, créations graphiques incluses dans le texte…). À cela, deux explications. Concernant la richesse de la maquette tout d’abord, il se trouve que je suis graphiste amateur (lors de mes insomnies). Certains éléments (billet de fête foraine…) ont été conçus sous Illustrator par mes petits doigts. Quant aux illustrations ad hoc, comme tu l’as évoqué avec justesse, aucun éditeur ne les aurait financées. J’ai donc dû casser ma tirelire. Quand je vois le travail fourni par Loïc Canavaggia et Mathieu Coudray, je me dis que cette vingtaine d’illustrations prolongeant mon univers représentent plus à mes yeux que n’importe quel séjour en bord de mer. Chacun dilapide sa fortune comme il l’entend.

Pour autant, la publication du Carnaval aux corbeaux aura relevé du parcours du combattant. Je déplore l’extrême frilosité des maisons à publier ce genre d’ouvrage, soit que la complexité de la maquette les rebute, soit que l’œuvre ne s’insère pas dans les collections. Autant de raisons de remercier Mathieu Guibé et Cécile Guillot pour leur travail.

 

Le village de Rabenheim de ton roman se situe en Alsace. À un jet de pierre, on peut trouver le village de Rubenheim en Allemagne. Est-ce une coïncidence ? Pourquoi choisir cette région ?

Je plaide la coïncidence. Rabenheim, que l’on pourrait traduire de l’allemand par Bourg-aux-corbeaux (traduction approximative, je dégage toute responsabilité), est une pure invention. Que les habitants de Rubenheim dorment tranquilles, l’Abracadabrantesque carnaval ne prévoit pas de s’installer chez eux.

Le choix de l’Alsace en revanche est délibéré. Il s’agit d’une région au folklore foisonnant qui possède, entre autres, son propre croquemitaine (Hans Trapp) et dans laquelle se sont tenus de grands procès de sorcellerie (Molsheim et surtout le Ban de la Roche). C’était aussi le moyen commode d’inviter dans mon récit la mythologie de l’Allemagne voisine. Je pourrais encore m’extasier sur l’architecture alsacienne, son vin et sa bonne chère. Sans oublier les amis.

 

Le monde des itinérants est assez particulier. L’idée d’exploiter ce milieu t’est venue comment ? As-tu été inspiré par de quelconques légendes qui t’auraient orienté dans ton scénario ?

L’envie me démangeait depuis trèèès longtemps. Des influences me poussaient en ce sens : La Foire des ténèbres de Ray Bradbury, Beetlejuice de Tim Burton, Arlis des Forains de Mélanie Fazi, Carnivàle de Daniel Knauf… Le déclencheur aura été la découverte du Cirque noir, que ce soit sous forme de spectacles (cabaret, freak show…) ou de musique (The Dresden Dolls, Diablo Swing Orchestra…).

L’univers en orbite autour du Cirque noir offre toutes les friandises dont je raffole : descriptions rococo, personnages ravagés et dandysme dégoulinant. C’était de la pure provocation. Je n’ai pas su résister.

Le Carnaval aux corbeaux emprunte à divers mythes (Nibelung, dwergars, chasses sauvages…). On peut cependant isoler son élément central, cette fête foraine d’outre-tombe qui se rapporte quant à elle aux contes des cortèges fantômes (auxquels le médiéviste Claude Lecouteux consacre son ouvrage Chasses infernales et cohortes de la nuit au Moyen Âge). Il existe un vaste corpus de légendes où il est question de morts rendant visite aux vivants, pas nécessairement armés des pires intentions.

Hélas, nombre de ces récits païens ont glissé dans l’oubli.

Le temps d’un roman, j’ai voulu leur offrir une réhabilitation.

 

Tout un langage imagé vient fleurir et agrémenter ton histoire. Je fais référence aux expressions poétiques utilisées pour désigner les attractions foraines par exemple. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire une relation avec le monde imaginaire de Poudlard écrit par Rowling, ses sortilèges « endoloris » et autres « remontant de Pomfresh ». Est-ce volontaire de ta part, une influence inconsciente, ou désirais-tu uniquement porter en avant le côté loufoque et excentrique de cette kermesse démoniaque ?

Tôt dans l’écriture du Carnaval aux corbeaux, il m’est apparu que l’ambiance reposerait en bonne part sur l’emploi des mots adéquats. Il eût été dommage de mettre en scène une fête foraine de l’étrange sans retranscrire son excentricité.

La parenté avec Harry Potter est flatteuse. L’objectif poursuivi est le même : immerger le lecteur dans un univers décalé et provoquer le dépaysement. Le vocabulaire assure cette fonction.

J’ai rempli ma hotte de Père Fouettard de mots aux sonorités amusantes, mais aussi de termes inquiétants empruntés aux lexiques de Poe et de Lovecraft (cyclopéen par exemple). Bien sûr, le lecteur imprudent trébuchera également sur des néologismes flambant neufs (nécrochimie, sombrécume…) ainsi que sur les références aux folklores germanique (nachtrabe, nixe…) et scandinave (Élivágar…).

À l’instar des dragées de Bertie Crochue, il y en a pour tous les goûts.

 

Il y a un genre de paradoxe entre l’univers féerique que tu dépeins et les évènements. Un monde enfantin et enchanteur qui s’adresse à tous avec ses loufoqueries et facéties, face à un envers du décor bien plus sinistre qui s’adresse plutôt à un public plus âgé. Comment t’est venue cette volonté de transporter le lecteur dans cette zone d’ombre qui mêle les souvenirs agréables et la terreur ?

Je ne suis pas le premier à emprunter ce sentier biscornu, entre féerie et ténèbres.

D’autres grands malades m’y ont précédé, que ce soit Tim Burton (Big Fish) ou Guillermo del Toro (L’échine du diable, N’aie pas peur du noir, Mama). Au niveau pictural, citons aussi le courant moderne Creepy & Cute. Bref, nous sommes quelques-uns à aimer salir les aquarelles de l’enfance avec nos encres suspectes.

Ce paradoxe, à mon sens, remonte aux contes de jadis, dont la fonction était à la fois d’émerveiller les garnements et de les mettre en garde. Il serait réducteur d’assimiler les fables originelles aux récits édulcorés, formatés, en vogue aujourd’hui. Les contes de Perrault, d’Andersen ou des frères Grimm abritaient leurs zones d’ombre, où Le Carnaval aux corbeaux plonge ses racines.

En dernière analyse, ajoutons que l’adolescence est une période effrayante où notre rapport au monde change, où nous changeons nous-mêmes.

L’adolescence est le synonyme vite oublié de l’inconnu.

As-tu une date pour le second tome et peux-tu en dresser un rapide synopsis ? Va-t-il être une continuité de l’existence du héros Ludwig ?

Pas de date précise pour le moment. Fin 2017 me semble précipité, dans la mesure où Loïc Canavaggia et moi-même sommes tenus par d’autres engagements (claquement du fouet éditorial). En revanche, l’horizon 2018 paraît confortable. Deux années d’attente pourraient paraître longues. Je rappelle cependant que Le Carnaval aux corbeaux se suffit à lui-même. Les lecteurs ne resteront pas sur leur faim.

Le dernier tome du diptyque s’intitulera À la cour des nuits d'hiver. Nous y retrouverons Silke, Ludwig, Gabriel et leurs camarades plongés dans une nouvelle aventure. Au revoir fête foraine, bonjour forêt drapée de blanc, nuits venteuses et empreintes curieuses dans la neige. Si Le Carnaval aux corbeaux penchait vers l’automne et la Toussaint, À la cour des nuits d'hiver rendra hommage au cœur froid de l’hiver. Au menu, d’autres créatures échappées de la mythologie germanique, sur fond de nuit de Yule.

 

Tes droits d’auteurs pour ce premier tome du Carnaval aux corbeaux vont être reversés à l’Unicef. J’ai remarqué que tu reverses systématiquement tes droits d’auteurs à des organismes humanitaires ou de défense. As-tu un message particulier à faire passer à ce sujet ?

Pas de message particulier, non. Le monde se porte bien. Tout va pour le mieux. Et je ne sais plus quoi faire de mon argent.

 

Critique du Niebelung ici

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