Gibier (Le)
Trente ans après la chute de l’apartheid, les Furies, déesses du châtiment, viennent à Paris initier leur danse macabre. Qui sont-elles venues venger ?La journée du commissaire Paul Starski commence assez mal : son épouse demande le divorce, son chien adoré est mourant et une prise d’otages l’attend dans un appartement parisien. L’âme morose, il se rend sur place avec sa coéquipière, la glaciale et pragmatique Yvonne Chen, et découvre les corps d’un flic à la dérive et d’un homme d’affaires sud-africain. Tous les indices accusent Chloé de Talense, une brillante biologiste. Starski n’ose y croire : Chloé était son grand amour de jeunesse. Afin de prouver son innocence, le commissaire prend l’enquête à bras le corps – et certainement trop à coeur –, tandis que les meurtres se multiplient. Car l’étau se resserre autour de la biologiste qui semble être le gibier d’une chasse à courre sanglante lancée à travers la capitale. Starski prend peu à peu conscience que rien n’arrêtera les tueurs. Pire, qu’à fureter au-delà des évidences, il vient peut-être lui-même d’entrer dans la Danse des Furies...
J'ai découvert (et apprécié !) Nicolas Lebel avec sa série Merlicht, dont j'ai dévoré chaque enquête avec gourmandise. D'ailleurs, je pense à ce curieux personnage chaque fois que j'entends une sonnerie de téléphone un peu décalée (et je glousse bêtement dans mon coin). Du coup, je me suis lancée dans ce nouveau roman sans même lire la quatrième de couverture.
Ô râge, ô désespoir ! De Merlicht, nulle trace ! À la place, il est question de chasse, que j'abhorre. Lebel aurait-il cédé aux sirènes du dieu argent pour signer un traité d'assassinat légal des bêtes à poils et à plumes ? Ce sera quoi le prochain ? Les mille recettes de venaison de tonton Nicolas ? Plumer un faisan en dix leçons ?
Ouf. Que nenni.
Les animaux que l'on chasse entre ces pages ont bien quelques pilosités ici et là, mais sont bien humains. L'analogie avec la chasse est même carrément jubilatoire, car pratiquement jusqu'au bout, les protagonistes échangent leur rôle à qui mieux mieux, passant de gibier à chasseur dans un jeu de chausse-trappes et de labyrinthe où ils se perdent. Mais attention : le lecteur, bien que baladé et secoué par ses certitudes qui s'écroulent les unes après les autres, n'est lui jamais perdu. Car Nicolas Lebel sait construire des intrigues solides et qui savent où elles vont.
En revanche, je ne peux promettre que vous ne pousserez pas des gniiiiiiiii ! d'énervement de vous être faits avoir...
Entre poupées russes et jeu de chaises musicales, Le gibier, porté par l'écriture parsemée d'humour de Lebel, se savoure avec jubilation, comme un cuissot de sanglier assaisonné de sauce grand veneur.
L'absence de l'équipe de Merlicht est pardonnée dès les dix premières pages, tant l'auteur a su recréer un tandem de choc, à la fois drôlissime et profondément crédible. Il utilise les codes habituels du polar, avec un flic en crise traînant une coéquière sans empathie. Pourtant, les raisons du mal-être de Paul Starski (oui, oui, il a osé, et ça passe crème !) et du comportement d'Yvonne Chen sont aux antipodes de ce que l'on lit habituellement. Il reprend toutes les ficelles mais les retricote à sa façon, avec virtuosité.
Et, comme toujours chez Lebel, on trouve en filigrane une profonde humanité et une rage assumée envers certains travers de nos sociétés et les horreurs qui en découlent. Ne vous y trompez pas : malgré l'humour et les personnages truculents, Le gibier est un polar sombre, presque noir, à l'atmosphère aussi oppressante qu'une véritable chasse à l'homme.
Nicolas Lebel se réinvente sans cesse, pour notre plus grand bonheur. Il se fait plaisir et atomise la routine ronronnante dans laquelle trop d'auteurs finissent par tomber. Il a bien raison !
Souvent, dirait Yvonne.
Le gibier de Nicolas Lebel, éditions Le Masque, ISBN 978-2702449851, 21,90 €