GUSO Isabelle 01 2/2
Première partie ici !
Vous avez tenu à mettre une postface pour justifier votre texte, l’éditeur ayant ajouté celle d’un avocat. Avez-vous eu des réactions très négatives, des attaques ?
En fait, dans la première version du manuscrit, il n’y avait pas de mot d’auteur. Pour vous dire la vérité, c’est un texte dont je me serais bien passée. La plupart de mes amis (en dehors du cercle littéraire) ignore ce dont je parle dans cette postface et je ne tiens pas à ce qu’ils l’apprennent par un livre. Sans compter que je n’ai jamais cherché à susciter de la compassion ou de l’admiration par cet élément de mon passé. Je n’ai pas envie d’être perçue comme « quelqu’un de bien malgré » ; j’aimerais être quelqu’un de bien tout court. J’ai aussi la crainte que certaines personnes m’accusent d’essayer de vendre en instrumentalisant mon drame personnel. Donc la présence de ce mot d’auteur est ce qui me stresse le plus dans ce livre (je m’en rends compte aujourd’hui qu’il est paru parce que c’est la réaction à ce mot que j’attends toujours avec le plus d’angoisse).
Pourtant, mon éditrice et moi avons pensé qu’il était nécessaire.
Quand nous avons soumis le manuscrit à des relecteurs (ils ont été nombreux le sujet étant difficile à traiter), les réactions ont été dans l’ensemble très positives. Mais la première négative nous a fait réaliser que certaines personnes allaient nous accuser de nous moquer de la souffrance des victimes.
La pédophilie est un thème qui revient dans des propos démagogiques très sécuritaires parce que toute personne voulant défendre la présomption d’innocence ou le droit aux libertés individuelles se verra répondre « Alors vous voulez que de pauvres enfants continuent à se faire violer ! »
Dans la mesure où nous avions prévu d’éventuels débats, cafés-littéraires et autres rencontres qui m’auraient demandé de répondre directement à mes détracteurs, je ne pouvais pas me permettre de réagir à chaud à un tel argument.
On a beau avoir grandi et pansé certaines blessures, on garde des faiblesses ; j’ai conscience des miennes, c’est peut-être ma seule force. Je connais une personne qui, chaque fois qu’elle entend un psy se plaindre des punitions inadéquates pour certain type de comportements déviants s’insurge. Pour elle la « pendaison par les couilles » est le seul remède envisageable. Quand quelqu’un adopte un point de vue qu’elle assimile à la défense des criminels, elle dit « Il faudrait qu’il subisse ce que les victimes ont subi pour se rendre compte de ce que ça fait ». Je l’ai ainsi entendue dire qu’il faudrait « qu’on viole leurs enfants »… Ce n’est pas la seule personne que je connaisse à avoir ce genre de discours, même si la plupart du temps, le langage est plus politiquement correct. Notre gouvernement qui prône de se mettre « du côté de la victime » encourage ce point de vue qui tient de l’empathie à sens unique (et oublie bien souvent que les criminels ont été des victimes eux-mêmes).
Alors j’ai imaginé un débat où quelqu’un me dirait quelque chose de ce genre, à savoir que mes propres enfants devraient subir ce sort pour que je puisse prendre la mesure du problème. Je sais qu’à ce moment-là, j’aurais révélé à chaud ce que je dis dans ce mot d’auteur. J’en aurais même dit bien plus. Bien trop, par rapport à ce que je suis capable d’assumer. Je crois n’avoir rien à envier à personne dans le registre du drame, mais je n’ai aucun envie de « faire pleurer dans les chaumières ».
C’est une certaine lâcheté qui m’a poussé à prendre les devants et à répondre à mes éventuels détracteurs à froid.
Ensuite, il y a la raison plus « noble », et c’est elle aussi qui justifie la présence de la postface d’un avocat. Pour qu’un message passe, il faut éviter que ses détracteurs puissent le balayer d’un simple revers de la main. Un revers en forme de « une gauchiste utopiste qui n’a aucune idée des vraies souffrances des victimes ». La présence du mot d’auteur, c’est pour répondre à la deuxième partie de l’affirmation. Celle de l’avocat, c’est pour la première. La fiction est sublimée, utopiste, la postface de Maître Mô propose de vraies pistes concrètes (création d’un numéro vert, par exemple) et démontre que l’histoire a pris appui sur des éléments psychologiques réels.
Plusieurs personnes ont jugé ces deux textes superflus, mais c’est parce que ces personnes-là avaient la faculté par elles-mêmes de s’ouvrir au problème. Or, on ne peut rien changer en parlant à des gens déjà convaincus ou prédisposés à la réflexion. Ces deux textes ne changeront rien pour les indécrottables qui ne voudront toujours répondre à la haine que par la haine. Ils agaceront peut-être ceux qui n’en avaient pas besoin. Mais ils aideront, je pense, à toucher tous ceux qui ne sont ni dans un camp ni dans l’autre et c’est à mon avis ceux-là qu’il faut sortir d’un carcan de pensée trop souvent entretenu.
Pour ce qui est des critiques déjà tombées, il n’y en a pas eu de très violentes. La plupart sont privées, venues de mon entourage, pas du milieu littéraire. Ce qui prouve que, précautions ou pas, il est très difficile de bousculer les préjugés du citoyen lambda (le littéraire ayant une plus grande habitude de penser au-delà des « faits » médiatiques). Parallèlement, il y a eu quelques réserves émises par ceux qui connaissaient déjà le sujet et ont trouvé que nous n’étions pas allées assez loin. Je reste donc assez philosophe : quand les uns disent que vous allez trop loin et les autres pas assez, c’est que vous avez réussi à être plus ou moins au milieu. On ne peut pas écrire un livre comme celui-là et plaire à tout le monde.
Maintenant, si le livre sort du cadre du fandom littéraire pour ne serait-ce qu’effleurer la sphère médiatico-politique, je ne doute pas que les réactions vont être beaucoup moins modérées.
Présumé coupable pose des questions essentielles pour notre société. La pensez-vous capable d’en débattre sereinement ?
Je pense que quelques personnes pourront en débattre. J’espère pouvoir faire un tout petit peu bouger les lignes des gens les plus modérés, les plus aptes à remettre leurs certitudes en question.
Je ne pense pas qu’un changement profond puisse s’envisager actuellement. Tout simplement parce qu’il est plus facile de se venger, même sur des innocents, que d’accepter l’impuissance qu’on ressent face aux drames. Et puis pour la plupart des gens, il y a tellement plus urgent. Ce sont les retraites, le pouvoir d’achat, le chômage qui font voter la majorité des citoyens. Savoir quel politicien leur apportera un quotidien plus confortable.
Je suis plutôt partisane de « changer le monde » à petite échelle. Peut-être que quelqu’un lira mon livre, peut-être qu’il en parlera à un ami en disant « Tu te rends compte du drame de ces hommes… Je n’avais jamais imaginé ». Peut-être que l’ami lui répondra « Ben en fait, je n’ai jamais osé te l’avouer mais… ».
Et peut-être que si beaucoup de « quelqu’un » se mettent à parler les uns avec les autres, un changement plus profond pourra s’amorcer.
Votre récit contient de nombreux coups de griffes contre le monde moderne. Etes-vous un auteur engagé ?
On est toujours un mauvais Sherlock Holmes de soi-même, alors j’aurai du mal à me définir. Mais on me l’a reproché en tout cas.
Mes textes naissent des petites et des grandes souffrances, je peux y raconter le drame d’une femme dépressive parce qu’elle est passée à côté de tous ses rêves, celui d’un chômeur en fin de droit ou celui d’un samourai qui ne se satisfait pas du carcan imposée par sa culture… Mais tous ces drames personnels s’inscrivent dans un cadre social et souvent ils y sont liés. Alors, quand ce sont des textes qui s’inscrivent dans notre monde, ils mettent en cause la responsabilité de notre société.
Mais mes mondes SF ou médiévaux fantastiques sont pareils. Je crois simplement que je ne peux pas détacher le comportement de l’Humanité en général des drames individuels. Je peux critiquer tel ou tel gouvernement parce que c’est celui qui est en place et que je vois les effets de sa politique. Mais à grande échelle, je pense que c’est le fait que l’être humain se soucie avant tout de son bien-être immédiat qui crée les grands déséquilibres (parce qu’il y a toujours un pour devenir plus fort, et que celui qui est en dessous réclame que le plus fort lui abandonne une partie de sa richesse… sans envisager lui-même d’en laisser une partie à celui qui se situe en dessous de lui).
Mais je sais aussi qu’il y a une grande part de générosité chez l’être humain. Il faut juste savoir la toucher et la développer. Si mes textes sont « engagés » c’est surtout en cela : essayer de nous amener à comprendre les autres et à prendre en compte leurs souffrances.
Après, il est évident que si un gouvernement se montre particulièrement versé dans l’art de parler à l’égoïsme de chacun pour accroître les exclusions et les injustices sociales, tout en désignant telle ou telle catégorie comme bouc émissaire… Je pourrai, éventuellement, avoir des textes qui laisseraient transparaître ma profonde désapprobation.
Le héros part pour le Japon en quête de sagesse. Vous avez un attrait particulier pour ce pays ?
J’ai un attrait particulier pour toutes les cultures différentes, mais hélas pas toujours le temps d’approfondir, ni les moyens de voyager. J’ai lu pas mal de mangas dans ma jeunesse, mais ça n’a jamais été tant l’histoire qui me touchait que le phénomène manga, ce qu’on sent comme aspiration derrière telle ou telle fiction (des mangas comme Roujin Z ou Tokyo Babylon où le problème de la vieillesse apparaît en moteur ou en filigrane ; Tajikararo qui parle de la désertification des villages…). Puis ça m’a amenée à lire la Pierre et le Sabre et la Parfaite Lumière, deux romans très riches en enseignements qui m’ont eux-mêmes donné envie de développer tout un univers fantastique dans le Japon médiéval.
Ce que j’aime dans le Japon, c’est toutes les idées préconçues qu’il véhicule. Pour certains, il est associé à des fêtes traditionnalistes avec jeunes filles en kimono et jeunes hommes qui s’inclinent pour un oui ou un non. Pour d’autres à l’efficacité économique. Pour d’autres encore à la modernité (à cause de l’essor technologique)… La vérité, je pense, c’est que le Japon, comme toute démocratie moderne, cherche son identité entre le présent et le passé. Mais cette image qu’il véhicule en faisait le cadre idéal pour un héros en quête de sagesse.
Certains m’ont reproché de véhiculer une image faussée du pays, mais il ne faut pas oublier que tout est vu à travers les yeux de mon héros. Il a pris à travers les arts martiaux et ses lectures une vision de ce qu’il pense être la quintessence du Japon. Un « esprit » qui ne fait pas partie de la vie quotidienne d’une bonne part des Japonais (ou alors de façon inconsciente). Un peu comme un Japonais viendrait en France persuadé d’y retrouver un esprit particulier né de Rousseau, des philosophes des lumières et de la Révolution… Et il trouverait des gens qui roulent en Honda et boivent du Coca).
Plus généralement, quelles sont vos influences littéraires ? Ou autres ?
Très honnêtement, mes influences sont avant tout de l’ordre du vécu. J’ai tour à tour aimé des auteurs très différents (de Léa Silhol à Stephen King, vous conviendrez qu’il y a un monde !) Je lis encore aujourd’hui quelques livres politiques ou de la littérature générale. J’avoue qu’il ne m’arrive jamais de me dire « J’ai envie d’écrire comme ça, ou d’écrire ce genre d’histoire ».
J’aime les fictions mais ce que je porte en moi vient avant tout du monde qui m’entoure. Pour ce qui est de la « façon » de le dire, j’apprends surtout par opposition. J’aime tel auteur puis un jour je me dis « Tiens, il emploie un peu trop telle formule ou telle image » et de me dire que je dois me méfier de ne pas faire la même chose.
Maintenant, il y a sans doute des influences inconscientes… Je laisserai le lecteur (et les critiques) m’en apprendre davantage sur moi-même.
Et pour finir, quelle est votre actualité littéraire ?
Pour le moment, je navigue dans la micro-édition, ce qui implique des délais de parution assez importants. Personnellement, c’est quelque chose que j’apprécie. Un jour, bien sûr, j’aimerais de vivre de ma plume. Mais pour le moment, ça me permet d’écrire au rythme qui me convient (en fonction surtout de mes trois enfants en bas âge). C’est également l’occasion d’explorer de nombreuses voies (voix) et d’écrire des textes qu’un éditeur plus important n’oserait peut-être pas, parce qu’ils ne seraient pas assez rentables pour son nombre de tirage habituel.
Évidemment, la contrepartie c’est qu’il faut parfois attendre longtemps pour voir ses projets se concrétiser.
J’ai une trilogie qui devrait paraître chez Argemmios (une histoire qui se déroule dans le Japon médiéval fantastique que j’ai évoqué plus tôt), mais je ne saurais dire quand. Deux nouvelles devraient aussi paraître dans des anthologies de cet éditeur. J’ai également un roman en cours de relecture à leur soumettre bientôt ainsi qu’un recueil qui est presque achevé.
J’espère aussi avoir encore l’occasion de collaborer avec Griffe d’Encre dont la ligne éditoriale plus proche du réel me plaît beaucoup. Je vais leur soumettre très prochainement un recueil assez « engagé » (parce qu’on peut peut-être admettre que la situation cauchemardesque évoquée plus haut m’a poussée à aiguiser une plume un peu plus critique). J’ai également deux novellas en cours d’écriture que j’aimerais leur proposer. Mais je sais que leur calendrier est très chargé.
Alors en attendant, j’engrange des « noisettes pour l’hiver » ou plutôt pour un éventuel printemps éditorial pour moi. J’ai un long manuscrit de Science Fantasy que je n’ai pas encore soumis et je continue à écrire au fil de mon inspiration. Je me dis que si un jour j’ai une chance de paraître de façon plus régulière, cette « réserve » m’évitera peut-être le calvaire de la page blanche.
Pour aider mes éventuels lecteurs à suivre cette actualité encore un peu décousue, j’ai créé un blog : qui s’est élargi depuis à un certain nombre d’autres sujets. Vous pourrez y faire un tour si vous souhaitez en savoir davantage.