Fanchon

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Rue Dussaussois, à Bruxelles, vit une famille.

Une famille qui va mal, depuis la mort du père. La mère n'en finit pas de ressasser son deuil, la grande fille d'un premier mariage n'en finit pas d'opposer une rébellion post-ado à une situation qui la dépasse, Victor le bébé essaie de se faire oublier, la grand-mère paternelle tente tant bien que mal de garder un cap approximatif.

Et puis il y a Fanchon, 7 ans, perdue dans un petit canot sur la mer déchaînée des tristesses adultes, qui ne sait plus quoi inventer pour attirer l'attention sur son propre chagrin, pour qu'on se souvienne qu'elle existe.

Une famille somme toute plutôt ordinaire, confrontée aux traumatismes de la vie.

Fanchon pourrait être un roman aussi banalement quelconque que ses protagonistes.

Seulement il y a la plume de Véronique Delpêtre. Une écriture ciselée, qui joue avec les mots, les triture, les tresse, les entortille, les sort de leur usage habituel, les marie dans des unions improbables mais qui font mouche. Il y a de l'Oulipo, du Queneau, du Tati chez l'autrice, une poésie sublime bourrée d'humour, une tendresse lexicale qui fait ressortir les fêlures des uns et des autres. Les phrases s'enroulent dans le cerveau, on a envie de les dire à voix haute pour encore mieux les savourer. Proche d'une certaine oralité, la plume de l'autrice reste néanmoins complètement littéraire.

Chaque personnage a droit à sa façon d'écrire, ce qui insuffle un dynamisme et un rythme âpres au récit.

Fanchon est une Zazie confrontée à l'incurie de ceux qui sont censés prendre soin d'elle, l'aimer, la choyer, l'aider à grandir. Mais elle doit trouver sa voie seule et l'unique adulte à entendre ses appels désespérés de fillette en manque d'amour et de repères se révèle inadéquat. Au détour d'une phrase, l'autrice donne vie au pire mais aussi à de magnifiques moments où l'amour éclate, même si c'est toujours de manière maladroite ou trop tardive.

Tout au long du livre, on glousse, on rit, on savoure cette langue aussi riche et fertile qu'un bon terreau odorant. Pourtant, le propos est loin d'être léger. On rit pour ne pas pleurer, en réalité. Car par le biais de Fanchon et des autres, Véronique Deprêtre s'empare de notre coeur et de nos tripes et les presse sans pitié, nous laissant vides, anéantis, après avoir refermé le livre. Pourtant, étrangement, la sensation de drôlerie perdure en dépit de la gravité de l'histoire. Et le personnage de Fanchon restera longtemps dans nos têtes après la lecture. Au moins mille milliers d'heures, comme la fillette se plaît à dire.

Chronique à vif d'une catastrophe évitable, Fanchon est un coup de coeur absolu, que je ne peux que vivement vous encourager à découvrir. Prévoyez les Kleenex pour essuyer vos larmes d'hilarité et moucher votre morve d'émotion.

 

Fanchon, de Véronique Deprêtre, chez On lit Éditions, ISBN 978-2875601162, prix 17 €

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