Electrons Libres

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La nouvelle œuvre de James Flint, l’auteur d’Habitus, nous entraîne à la suite d’un certain James Cooper, programmeur dans un complexe militaire britannique, qui se prénomme en vérité « Ash » (cendre). Cela n’a rien d’un point de détail quand on connaît le titre original du livre : The Book of Ash. Le roman colle ainsi aux basques de son narrateur – pour des aventures qui débutent en Grande-Bretagne avant de se poursuivre aux Etats-Unis – parti sur les traces de Jack, son père, sculpteur ténébreux dont il apprend le décès en recevant son urne funéraire, sans indications précises quant à sa provenance ou à son destinateur.

Les cendres réunies dans ce récipient marqué d’un sigle étrange amènent Cooper à revisiter son passé à l’aide du périple qu’il entreprend en Amérique du Nord. En rencontrant les personnes qui ont côtoyé son père au cours des dernières décennies, en parcourant les lieux où il a travaillé, en découvrant ses obsessions, la teneur de son œuvre artistique, il se met à réévaluer l’image qu’il avait gardée de son géniteur depuis son enfance.

Il comprend ainsi progressivement les raisons qui l’ont poussé à les abandonner, lui et sa mère, au sein de la communauté libertaire où ils vivaient alors en Cornouailles, pour s’en aller outre-atlantique. Là, éternel militant, il sculptera des matériaux radioactifs en réaction à la dissémination par des gouvernements irresponsables des déchets nucléaires issus de cette industrie.

Le fait que Cooper occupe un emploi sur une base militaire liée à l’armement atomique n’a sans doute rien d’innocent dans ce contexte familial bien particulier. Son comportements et les avis qu’il émet sont d’ailleurs marqués d’une bonne dose d’immaturité - qui, si elle se révèle souvent drolatique, le cynisme et les sarcasmes à la Michel Houellebecq faisant régulièrement mouche, peut néanmoins être directement reliée aux questions laissées en suspens par la dissolution affective de sa famille et l’éloignement définitif de son père. Il semblerait bien que Cooper se soit en effet opposé à Jack de façon systématique, par procuration, en faisant tel choix de carrière, en portant tel jugement sur ses collègues, en mettant l’accent sur tel aspect de sa vie plutôt que sur tel autre. Bien qu’absent, Jack est parvenu à jouer un rôle prépondérant dans la vie de son fils, qui ressent soudain le besoin de gratter là où ça fait mal de manière à mieux se comprendre. De façon à remettre son existence sur des rails plus sains.

De Boston à Atomville, Cooper met à jour le parcours surprenant de son artiste de père, disparu dans l’incendie accidentel ( ?) de son atelier, situé à proximité du centre névralgique du complexe nucléaire américain. Il découvre, ce faisant, les relations que Jack établissait entre le travail effectué au cœur des centrales nucléaires – plus spécifiquement, de celui des surgénérateurs – et celui accompli jadis par les alchimistes. Les deux disciplines ne visent rien d’autre selon lui qu’à atteindre et altérer la substance même de la matière, dans un processus de purification atomique. Par le biais de cette analogie, il est ainsi parvenu à tisser un lieu métaphorique entre la science et la para-science, qu’il cherchait à matérialiser à l’aide de son art…

Le roman est émaillé d’une multitude de reproductions photographiques qui aident à mieux visualiser les lieux décrits par Cooper. James Flint s’est en effet inspiré de l’œuvre d’un authentique sculpteur pour dresser le portrait de Jack. La fameuse « Herme » (sorte de borne kilométrique dans la Grèce antique) créée par ce dernier, qui constitue en quelque sorte son chef-d’œuvre, mentionnée à de multiples reprises dans le livre, paraît ainsi avoir été modelée à partir d’une oeuvre réelle de cet artiste.

Bien qu’il oscille sans cesse entre le roman humoristique, le récit ésotérique, politique, écologique et psychanalytique, Electrons libres ne perd jamais le cap qu’il s’est fixé au départ. Il s’agit d’un oeuvre intelligente et distrayante, dense et légère, qui réussit le grand écart entre la technologie de pointe et les divagations ésotérique les plus fumeuses, le tout vécu à travers le prisme d’un individu drôle et blessé, en quête de cette figure paternelle disparue qu’il retrouve peu à peu au fil de son aventure.

James Flint, Electrons libres, 566 p., traduit de l’anglais par Alfred Boudry, Le Livre de Poche

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