Exorcisme par Elodie Beaussart

Andreas Vauclair dut s’arrêter en haut de l’escalier : son cœur battait à tout rompre et il posa la main droite sur sa poitrine comme pour en calmer les pulsations, tandis que de la main gauche il étreignait la rampe de noyer délicatement ouvragée.

Après la scène effrayante à laquelle il venait d’assister, le silence feutré du pavillon administratif  lui apparaissait comme une bénédiction. Cependant, il aurait presque préféré rester là-bas, au milieu des cris stridents, plutôt que de devoir aller prévenir son supérieur, comme lui avait demandé la surveillante générale de l’hospice : c’était pour lui une entreprise beaucoup plus risquée…

Il traversa le palier illuminé par les rayons dorés du soleil et s’engouffra dans le couloir de droite qui, par contraste, lui parut plus sombre. Au fond du corridor, il attendit quelques secondes devant la porte sur laquelle une plaque de laiton indiquait : « Dr Edmond D’ENGHIEN – Médecin aliéniste – Directeur de l’Hospice d’Artois ».

« Courage », se dit-il, essayant – en vain – de convoquer le visage d’Apollonie, sa fiancée. Elle devait lui rendre visite en fin d’après-midi.

Il soupira, frappa à la porte et entra.

La vaste pièce débordait de sculptures, objets hétéroclites et souvenirs exotiques, d’antiquités amoncelées dans de vastes armoires vitrées, sans compter les centaines de bocaux contenant divers exemplaires d’organes humains ou animaux, fœtus et autres trophées macabres qui donnaient la nausée à Andreas.

Assis sur un tabouret, Edmond d’Enghien avait remonté les manches de sa chemise blanche sur ses bras à peine couverts de duvet blond. Il auscultait un homme entièrement nu, allongé sur le divan recouvert d’une couverture en velours rouge. Âgé d’une cinquantaine d’années, le patient exhibait un sourire édenté et ses yeux reflétaient le vide. Il était installé d’une étrange manière : la jambe gauche restait en suspension, parallèlement à la jambe droite ;  le bras gauche se soulevait au-dessus de la tête dans une pose non naturelle.

— Approchez, Dr Vauclair, dit Edmond D’Enghien.

Il se tourna vers Andreas et lui sourit. Le jeune homme sentit son cœur s’emballer à nouveau tandis qu’il observait les fins cheveux blonds du médecin serpenter jusque dans le col largement ouvert de sa chemise.

— Quelle chaleur, n’est-ce pas ! dit Edmond. Vous devez étouffer, avec votre veston : vos joues sont empourprées et j’entends d’ici votre respiration laborieuse… N’allez pas me faire une congestion !

— Ça va, répondit Andreas. Vous savez bien que je suis frileux.

Edmond rit et lui fit un clin d’œil, puis il reporta son attention sur l’homme allongé devant lui. Il prit le bras gauche du malade et le détendit jusqu’à ce qu’il soit parallèle aux jambes. Quand il le lâcha, le membre resta figé dans la même position. Les yeux du patient ne cillèrent pas et rien dans son visage n’évoquait une quelconque conscience.

— Je vous présente Samuel Vasseur, un beau spécimen de catatonique ! s’exclama le Dr D’Enghien d’un ton ravi. Ses fils l’ont amené tout à l’heure. Sa femme est morte il y a une semaine et depuis, il est comme ça.

— C’est effrayant, murmura Andreas. Son corps doit être une crampe géante à l’heure qu’il est…

Edmond haussa les épaules.

— La catatonie est le stade ultime du mal mélancolique et agit comme un anesthésiant puissant et naturel. Le malheureux est au-delà de la douleur.

Le médecin-chef se leva et se dirigea vers le grand bureau qui occupait la moitié de la pièce. Saisissant un carnet relié de cuir, il écrivit en belles lettres déliées : Mercredi 21 juin 1871. Puis il commença à décrire le cas de Samuel Vasseur. Sa chemise entrouverte découvrait le haut de son torse où la sueur perlait au milieu des poils blonds.

— Mme Ceylandre m’a envoyé vous chercher, dit Andreas. (Il se demandait quel goût aurait cette sueur s’il passait la langue sur… Seigneur, ça suffit maintenant ! Arrête de penser à ça !) La famille de Joséphine Pruvot est là.

— Les visites ne commencent qu’à seize heures.

— Ils ne viennent pas voir Mme Pruvot : ils amènent sa fille, Flore. Ils disent qu’elle est possédée.

Edmond D’Enghien releva la tête de son carnet et revint vers Andreas.

— Intéressant ! N’est-ce pas la jeune fille que nous avons rencontrée dimanche dernier ? Elle avait ramené de la broderie et essayait d’intéresser sa pauvre mère à son ouvrage…

— C’est bien elle. J’ai eu toutes les peines du monde à la reconnaître : elle profère des obscénités, cherche à mordre et à griffer tous ceux qui l’approchent. Imaginez qu’ils ont dû l’attacher sur une charrette pour l’amener ici… C’est affreux…

Andreas se sentit soudain pris d’un vertige et il s’appuya sur le mur, près d’une console où trônait une statuette hindoue.

— Cher ami, murmura Edmond en s’approchant du jeune homme.

Il leva sa main droite et passa ses doigts dans les courts cheveux châtain de son assistant.

Andreas baissa la tête, tremblant de honte et d’excitation. Puis il tenta de se dégager mais Edmond fut plus rapide et le repoussa contre le mur. La console vacilla et la statuette de Shiva tomba avec un bruit sourd sur le parquet.

Le visage d’Edmond était tout près du sien.

— Il va nous voir, murmura Andreas en désignant le patient qui était resté dans la position que lui avait donné le médecin auparavant.

— Mais non, il n’est pas plus conscient que cette statuette. Laissez-vous aller, Andreas. Commençons déjà par enlever ce veston…

— Arrêtez ! Je ne peux pas, je suis fiancé. Je ne suis pas… ce genre d’homme…

Edmond le plaqua contre le mur en le tenant fermement par les deux épaules. Ses yeux bleu clair étincelaient de malice.

— Vraiment ? Mais alors, Dr Vauclair, comment expliquez-vous le trouble qui vous saisit à chaque fois que je m’approche de vous ? Croyez-vous que je n’ai pas remarqué comment vous me regardez ?

Edmond relâcha son étreinte et Andreas, déséquilibré, tomba à genoux.

— Très bien, dit le médecin-chef. Si vous ne savez pas ce que vous voulez, c’est votre problème. Mais je vous préviens : vous devrez chercher un poste ailleurs. Peut-être même est-ce ce que vous voulez, après tout : l’occasion de rentrer en Allemagne, après l’éclatante victoire de votre peuple contre le nôtre…

— Dieu tout-puissant, je ne suis pas Allemand, mais Suisse !  cria Andreas. Et j’en ai assez de tous les regards de travers que je dois supporter chaque jour à cause de mon accent !

Il porta les poings à ses yeux pour écraser les larmes qui sourdaient sous ses paupières.

Edmond s’agenouilla près de lui et le prit dans ses bras. Andreas se raidit, puis se laissa aller contre la poitrine chaude de son supérieur, humant l’arôme de sueur qu’elle exhalait. Seigneur, c’était le mal absolu, c’était un péché, c’était… si bon.

— Je suis désolé, dit Edmond. Je ne voulais pas m’emporter, mais depuis six mois que vous êtes ici, vous me rendez fou… Et arrêtez de vous préoccuper de votre accent. Ça vous rend encore plus exotique et attirant…

Il prit le visage d’Andreas entre ses mains et le releva vers lui, plongeant son regard dans les yeux noisette du jeune homme, effaçant la trace des larmes sur les joues glabres, lissant du doigt les lèvres charnues et boudeuses de son assistant.

— Je suis plus âgé que vous, donc plus doué en chantage, souffla-t-il, mais vous savez bien que l’essentiel n’est pas là. Vous me tenez autant que je vous tiens.

Ils s’embrassèrent, tandis qu’au rez-de-chaussée la porte du pavillon s’ouvrait et se refermait.

Les lèvres d’Edmond étaient chaudes et passionnées, celles d’Andreas froides à cause des larmes. La langue d’Edmond goûta le sel répandu sur les lèvres d’Andreas, puis s’ouvrit un passage à l’intérieur, cherchant plus loin, et Andreas accepta cette nouvelle sensation alors même qu’il essayait de convoquer à nouveau l’image de sa fiancée, en vain. Il ne l’avait jamais embrassée… d’ailleurs, il n’avait jamais embrassé personne. Jusqu’à ce jour.

Alors que les pas de la surveillante générale retentissaient dans l’escalier, Andreas sentit une vague de chaleur le submerger. Un spasme le secoua tandis que leurs lèvres se séparaient, puis Edmond le saisit par les aisselles et l’aida à se relever.

— Eh bien, Mme Ceylandre, dit-il d’un ton essoufflé juste au moment où la porte du bureau s’ouvrait. Que se passe-t-il donc ?

 

*

— Melle Pruvot ! Flore !

Edmond d’Enghien était penché sur la jeune fille, dont les chevilles et les poignets entravés étaient retenus aux pieds du divan. Éructant, le visage congestionné, les yeux révulsés, celle-ci prononçait d’une voix cassée des mots sans queue ni tête.

Edmond se tourna vers Mme Ceylandre, qui tenait par l’épaule la sœur de Flore, Clémence Vollin.

— Quel âge a-t-elle ?

— Quinze ans, Docteur.

Il approcha sa main du visage de la jeune fille et la retira avant qu’elle ne le morde. Le claquement de dents retentit dans toute la pièce et Clémence retint un sanglot.

— Où est le Dr Vauclair ? dit Edmond. J’ai besoin de lui.

— Il est parti se changer, Monsieur. Voulez-vous que j’aille le chercher ?

— Oui. Dites-lui de venir immédiatement. Et raccompagnez Madame Vollin et sa famille, dit-il en désignant Clémence. Nous allons nous occuper de votre sœur, ajouta-t-il à son intention. Revenez demain en fin d’après-midi, il y aura peut-être une amélioration.

Une fois les femmes sorties, Edmond se réinstalla près de la jeune fille et la regarda pensivement. Elle avait tellement hurlé auparavant que sa voix ne sortait plus que par aboiements rauques qui faisaient pitié. Le corsage de sa robe était délacé, ses cheveux pendaient librement sur ses épaules et devant son visage.

Quelques minutes plus tard, Mme Ceylandre réapparut, accompagnée d’Andreas. L’horloge comtoise du bureau les salua en sonnant cinq heures de son timbre grave.

— Merci Mme Ceylandre, dit Edmond. Le Dr Vauclair et moi-même allons examiner la patiente. Veillez à ce que personne ne nous dérange.

— Bien, Monsieur.

La surveillante fit une légère révérence et se retira, fermant doucement la porte derrière elle.

Andreas Vauclair avait passé un pantalon de lin marron et une chemise écrue dont il avait remonté les manches. Évitant le regard d’Edmond, il se dirigea vers les hautes fenêtres du bureau, observant l’horizon derrière les arbres du parc. Le ciel avait pris une teinte jaunâtre tandis qu’au loin de lourds nuages gris s’amoncelaient. L’atmosphère était plus pesante que jamais.

— Il va y avoir de l’orage, dit-il.

Puis il se tourna vers le divan où Flore tirait en grognant sur ses liens.

— Où est passé le catatonique ?

— Je l’ai fait installer dans le pavillon des malades calmes, dit Edmond.

— Vous avez une salle d’examen, pourquoi recevez-vous Melle Pruvot ici, dans votre bureau ? Attachée, en plus… Ça pourrait sembler inconvenant.

Edmond se mit à rire.

— Je la reçois ici parce que j’ai tout le matériel nécessaire sous la main pour la soigner et – je l’espère – la guérir.

— Mais les médicaments…

— Je ne parle pas de médicaments, Dr Vauclair. Je parle des accessoires nécessaires à l’exorcisme auquel nous allons procéder.

Andreas le regarda, interdit.

— Un exorcisme ? Mais nous n’avons ni le droit, ni les compétences pour procéder à un rite d’une telle importance… Nous risquons de renforcer la puissance du démon sur…

— Dr Vauclair, nous sommes face à un tableau classique de crise hystériforme. Il n’y a pas de démon.

— Blasphème ! s’écria Andreas, et il se signa.

— Cependant, reprit le Dr D’Enghien, si cette jeune fille croit qu’elle est possédée, nous devons jouer le jeu, entrer dans son délire. C’est le seul moyen de la délivrer.

Andreas secoua la tête.

— Je ne suis pas d’accord. Nous devrions appeler un prêtre.

Edmond s’approcha d’Andreas et prit sa main, qu’il caressa pensivement.

— Allons, réfléchissez. La famille de Melle Pruvot l’a amenée ici, à l’hospice,pas à l’église. Nous soignons déjà sa mère et ils nous font confiance. Vous aussi, vous devriez me faire confiance…

La chaleur dans le bureau devenait insupportable et les premiers grondements du tonnerre leur parvinrent.

— J’ai parlé à sa famille avant de venir vous prévenir, tout à l’heure, reprit Andreas en libérant sa main. Ils m’ont dit que Flore était allée se promener dans les champs et qu’elle était passée près des  « pierres gémissantes »…

— Oh, les menhirs ? C’est un endroit charmant, il faudra que je vous y emmène un jour…

— C’est un lieu maléfique où doivent rôder d’anciens démons. D’autant plus que nous approchons la Saint-Jean, et l’on sait que des sabbats ont traditionnellement lieu à cette époque…

— Oh, épargnez-moi vos superstitions catholiques ! ricana Edmond.

Il se dirigea vers une armoire dont il ouvrit les portes, puis il commença à fouiller à la recherche d’ustensiles pour le rituel.

— Et vos cheveux, soupira-t-il tandis qu’il attrapait un gros bocal transparent sur lequel une étiquette indiquait « Eau bénite de Lourdes ». Vous êtes très beau, Andreas, mais cette coiffure si stricte vous va mal. Vous n’êtes pas militaire, vous êtes mon assistant, et j’aimerais tellement (il sortait maintenant un grand crucifix doré) que votre style reflète un peu plus de liberté, d’insouciance…

Andreas soupira.

— Écoutez, Dr D’Enghien, avec tout le respect que j’ai pour vous… Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Une fois pour toutes, je suis fiancé. Arrêtez de vouloir me…

… séduire allait-il dire, mais Flore Pruvot poussa alors un hurlement strident et se cambra, tirant sur ses liens avec tant de force que le divan glissa de quelques centimètres sur le parquet. Un long filet de bave coula de ses lèvres tandis qu’elle crachait des mots inconnus.

— Mon cher, pouvons-nous cesser cette discussion inutile et nous mettre au travail ? dit Edmond.

*

 

In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti…

Flore Pruvot se tordait, hurlait et gémissait devant le Dr D’Enghien qui récitait le texte imprimé dans un minuscule livre aux pages poussiéreuses.

Exsurgat Deus et dissipentur inimici ejus…

Edmond avait ouvert en grand les deux fenêtres du bureau, par lesquelles on apercevait le ciel devenu d’un gris métallique sombre et régulièrement zébré d’éclairs. Le tonnerre grondait, de plus en plus proche, mais l’air restait incroyablement chaud et immobile.

Ecce Crucem Domini, fugite partes adversæ ! s’écria le médecin-chef, brandissant la grande croix dorée qu’il avait sortie plus tôt de l’armoire. Montre-toi à nous, démon ! Donne-nous ton nom !

Flore poussa un rugissement et sur la peau de sa poitrine, au-dessus de son corsage défait, apparurent des marques rouges qui formèrent lentement l’inscription : ASTAROTH.

Ça fonctionne ! s’écria Edmond. Dr Vauclair, aspergez cette malheureuse d’eau bénite !

Il avançait vers la jeune fille en tenant la croix comme une lance. Ses  longs cheveux emmêlés balayaient son front et ses yeux, tels le ciel, avaient viré du bleu au gris sombre. En le regardant, Andreas sentit revenir son excitation.

Ô Seigneur, pria-t-il en plongeant les doigts dans le bocal d’eau de Lourdes, purifiez-moi, libérez-moi de ce désir impie, exorcisez-moi !

Flore hurla quand les gouttes d’eau bénite touchèrent sa peau, et les tendons de son cou gonflèrent comme des cordages tandis qu’une voix rauque et gutturale sortait soudain de sa gorge :

— JE SUIS LÀ. QUE VOULEZ-VOUS, HUMAINS ?

— Libère cette enfant de ton emprise ! s’écria Edmond.

— Monsieur, êtes-vous vraiment sûr qu’il ne s’agit que d’une crise d’hystérie ? dit Andreas en se rapprochant du médecin-chef. Elle ne peut quand même pas faire apparaître ces lettres sur sa poitrine par la simple force de sa volonté ! Et cette voix…

— Dr Vauclair, vous n’avez aucune idée de la puissance que peut receler l’hystérie quand elle se déploie complètement dans un jeune esprit. Il faut continuer !

— SI TU VEUX QUE JE PARTE, TU DOIS M’OFFRIR QUELQUE CHOSE EN ÉCHANGE, tonna la voix bestiale.

Andreas tressaillit et se réfugia derrière son chef.

— Laissez-moi aller chercher un prêtre… supplia-t-il.

— Chut ! Que veux-tu en échange, démon Astaroth ?

— LE PÉCHÉ ! L’INTERDIT ! LE SEXE !

— Ah ah ! fit Edmond en attrapant Andreas par le cou. Cette idée me plaît, j’ai quelques péchés sexuels en réserve, que je n’ai pas encore essayés. Et vous Andreas, avez-vous envie de pécher avec moi ?

Le jeune homme recula.

— Mais, au nom de Dieu, vous êtes vous-même possédé ! s’écria-t-il.

Au même instant, un éclair fabuleux éclaira le parc et illumina la pièce de sa lueur argentée, tandis qu’un monumental coup de tonnerre faisait trembler le pavillon. Les médecins sentirent le parquet vibrer sous leurs bottines et Andreas lâcha le bocal qui tomba dans un fracas et répandit son contenu à ses pieds. Edmond lâcha la grande croix dorée et se jeta sur son assistant. Celui-ci se débattit mais son pied glissa dans l’eau répandue sur le parquet et les deux hommes tombèrent par terre.

Soudain, comme si les vannes du ciel s’ouvraient, une pluie diluvienne s’abattit au-dehors avec un bruit de cataracte.

— Seigneur, nous sommes damnés ! hurla Andreas. C’est l’Apocalypse !

— Mais non, c’est juste un orage, dit Edmond en plaquant son assistant au sol (Il profita du trouble du jeune homme pour le saisir fermement par la taille et le retourner sur le ventre). Il est temps d’officialiser notre relation, mon cher ! Astaroth nous l’ordonne !

Andreas essaya en vain de se dégager de l’étreinte d’Edmond tandis que celui-ci se mettait à réciter d’une voix puissante :

Exorcizamus te !

Andreas sentit les cheveux de son partenaire effleurer sa nuque et l’excitation revint, cent fois plus intense que cet après-midi.

— Je ne veux… pas…, gémit-il.

Omnis immunde spiritus, omnis satanica potestas !

Pantalon baissé. Quelque chose de dur pressé contre ses fesses. Une violente bourrasque d’air frais s’engouffrant dans la pièce.

Omnis incursio infernalis adversarii !

« Horde de l’infernal ennemi », se répéta Andreas, oh Seigneur…

Et accompagnant le vent presque glacial qui déferlait dans le bureau plongé dans l’obscurité, cette chose innommable et impensable entra en lui, le souillant et le purifiant à  la fois, et il cria de douleur et de jouissance mêlées.

*

 

Quand Mme Ceylandre entra, soulevant sa lourde jupe noire et rajustant son bonnet de dentelle trempé par la pluie, le Dr D’Enghien détachait les liens de Flore Pruvot et Andreas Vauclair remettait son pantalon.

La surveillante générale réprima un sourire et se précipita au chevet de la malade.

— Comment va-t-elle ? Il y a eu des cris, nous étions tous inquiets.

Edmond sourit et désigna la jeune fille.

— Nous sommes venus à bout de sa crise et elle se porte beaucoup mieux, n’est-ce pas Mlle Pruvot ?

La patiente hocha la tête et un sourire fatigué éclaira son visage en sueur.

Jésus-Marie-Joseph, s’écria Anne Ceylandre. Comment donc avez-vous fait pour venir à bout de ce démon ?

Flore Pruvot baissa les yeux et rougit.

— C’est que… Il n’y avait pas de démon, murmura-t-elle.

— Mlle Pruvot est venue dimanche dernier pour rendre visite à sa mère et il semblerait qu’elle m’ait trouvé à son goût, dit Edmond. Aussi a-t-elle monté cette comédie pour me convaincre d’avoir une relation sexuelle avec elle lors d’un prétendu exorcisme. Et j’aurais sans doute eu beaucoup de mal à résister à cette tentative de séduction si je n’avais pas… d’autres penchants.

Il se rapprocha d’Andreas et l’embrassa sur le front tandis que Mme Ceylandre fermait pieusement les yeux.

— Je peux savoir ce qui se passe ici ? fit soudain une voix féminine.

Une jeune fille brune venait d’entrer dans le bureau et regardait Edmond et Andreas d’un air furieux.

— Apollonie ! dit Andreas.

Il fit un mouvement pour se dégager d’Edmond, mais celui-ci affermit sa prise et le garda prisonnier de son étreinte.

La jeune fille se dirigea droit vers son fiancé, sans un regard pour Mme Ceylandre ni pour Flore Pruvot.

— Je veux savoir ce qui s’est passé ici ! répéta-t-elle.

— C’était… c’était juste un exorcisme, murmura Andreas.

Edmond le pressa contre lui et lui embrassa la joue sans quitter Apollonie du regard.

— Un exorcisme ? répéta celle-ci en hochant la tête. Très bien, voilà mon exorcisme à moi.

Et elle gifla Andreas.

— Sois damné, dit-elle avant de tourner les talons devant l’assistance bouche bée.

— Eh bien voilà, cette histoire de fiançailles est finalement réglée, se réjouit Edmond. Vous voyez Andreas, il vaut mieux que vous restiez avec moi : jamais je ne vous ferais une scène pareille.

Le jeune homme ouvrait la bouche pour répondre quand soudain, une voix rauque et gutturale s’éleva du divan où reposait Flore Pruvot :

— MERCI POUR CETTE AGRÉABLE OFFRANDE…

Mme Ceylandre et le Dr Vauclair se signèrent en voyant les yeux révulsés de la patiente et les lettres « ASTAROTH » qui marquaient à nouveau sa poitrine.

— … MÊME SI CE N’ÉTAIT PAS CE À QUOI JE M’ATTENDAIS !

Puis les lettres disparurent sans laisser de traces et le visage de Flore redevint normal tandis qu’elle regardait les médecins et la surveillante d’un air surpris.

— Quoi… que s’est-il passé ?

Edmond sourit et déposa un léger baiser sur les lèvres d’Andreas.

— C’était juste un exorcisme, dit-il.

Et Andreas lui sourit.

 

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